Chapitre 4

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Eleonora

Comme d'habitude, oncle Hans essaie de faire des blagues, mais rien n'y fait : il est loin d'avoir l'humour en lui.

Dimanche est arrivé plus vite que je ne l'aurais voulu.

Je suis entourée de mon oncle et de sa femme, les seuls qui osent me parler. Le reste de la famille ne daigne même pas me lancer un regard. Même mes grands-parents ne font pas attention à ma présence. Seule Elin compte.

Finalement, ma mère ressemble assez à ses parents. Je suis bien content d'avoir mon père comme parent proche.

- Comment va Herman ? demande l'oncle Hans.
- Papa va parfaitement bien. Il a rencontré quelqu'un il y a quelques années maintenant, et il est très heureux avec elle.
- Tant mieux, je suis content pour lui. Tu lui passeras le bonjour de notre part. Nous l'aimons vraiment beaucoup.
- Je lui transmettrai.

Je quitte la salle en silence et pousse la porte arrière. Cette maison... elle ne m’a jamais réellement appartenu. Pas plus que cette famille. Une impression étouffante me serre la poitrine.

L’air de septembre est sec et piquant. Une brise me frôle la nuque. Enfin, je respire. Je descends les quelques marches du perron et m’avance vers le jardin, comme je le faisais autrefois.

Je m’installe sur ma balançoire, celle que mon père avait construite pour moi, mon nom gravé dans le bois usé. Elle grince doucement sous mon poids. Mon regard se perd dans les souvenirs.

- Que fais-tu dehors, Eleonora ? demande une voix glaciale.

Je me fige. Je n’ai pas besoin de me retourner. Je reconnaîtrais ce ton sec entre mille.

- Je prends l’air, maman.

- Ne fais pas d’histoire. Rentre. Elin va souffler ses bougies.

Je reste là. À contempler les feuilles mortes qui dansent sous mes pieds. Mon cœur bat trop fort.

- Pourquoi m’as-tu invitée ? demandé-je, toujours assise, me balançant doucement.

Un silence. Puis

- Parce que tu dois être présente pour ta sœur. Elle a vécu une vie difficile.

Et là, quelque chose en moi craque.

- Stop. Arrête, maman. Ça suffit. Elin n’a pas eu une vie difficile. C’est moi qui ai grandi dans son ombre. C’est moi qui ai grandi sans toi.

Elle fait un pas vers moi. Je me lève.

- Tu n’as jamais été là. Pas un anniversaire. Pas une fête. Pas un mot doux. Tu n’as jamais été ma mère. Tu as toujours fait comme si je n’existais pas.

-Tu es une petite capricieuse, ose-t-elle.

Ses mots me frappent en pleine poitrine. Et soudain, je ne tremble plus. Je brûle.

-Demander de l’amour, ce n’est pas un caprice. Ce que tu m’as fait, c’est du rejet pur. Et tu sais quoi ? Je n’en veux plus. Je ne mendierai plus jamais une place dans ta vie.

Ma voix se brise un instant. Mais je reprends, plus ferme :

- Tu n’es désormais plus ma mère. Et je ne suis plus ta fille. C’est fini. Définitivement. Je ne me laisserai plus jamais humilier.

Je la regarde une dernière fois. Aucune émotion dans ses yeux. Rien. Même pas de surprise. C’est peut-être ce qui me fait le plus mal.

Je tourne les talons sans attendre de réponse et traverse la maison comme une étrangère. Je quitte ce lieu comme on s’échappe d’une prison.

Je ne vais pas mentir en disant que je ne sens rien. Elles sont ma famille. Le chagrin est en moi, mais j'ai tellement supporté de grossièretés que je ne verserai aucune larme pour elles. Mon esprit a déjà décidé de la direction que je prends. Je souhaite voir une seule personne.

J'arrive rapidement. La maison de mon père se dresse devant moi. Je coupe le contact de la voiture et descend. Je toque, et la compagne de mon père ouvre la porte.

- Ah, Eleonora. Entre.
- Papa est là ?
- Bien sûr, il est dans le jardin, vas-y.
- Merci, Lucinda.

Lucinda est originaire d'Espagne. Mon père et elle se sont rencontrées il y a trois ans maintenant. Ils se sont croisés sur la plage pendant les vacances de mon père, qu'il passait avec des amis. Lucinda et papa ont eu un coup de foudre l'un pour l'autre. Elle est venue prolonger ses vacances à Stockholm et n'est jamais repartie. Elle a autant eu un coup de foudre pour mon père que pour la capitale. Je l'aime énormément, et elle rend mon père heureux, donc je le suis aussi.

Je me dirige vers le jardin. La maison de mon père est d'une splendeur étonnante. Je ne comprends toujours pas comment il fait pour se payer tout ça avec son petit boulot dans une librairie.

Il est en train de désherber les petites pousses le long de la terrasse. Il a dû m'entendre arriver, car il relève la tête dans ma direction.

- Eleonora, tu ne devrais pas être chez ta mère ?
- Je devrais.
- Que s'est-il passé ?
- C'est fini, papa, dis-je, avec de l'amertume dans la voix.
- Oh, ma chérie. Viens là.

Mon père ouvre ses bras, et je m'y réfugie aussitôt. Quand il m'a recueillie à mes 16 ans, je lui ai expliqué tout ce que j'avais vécu pendant toutes ces années sans lui. Il connaît tout et il déteste encore plus ma mère pour l'enfer qu'elle m'a fait vivre.

- Comment te sens-tu ? je l'exige-t-il.
- Libre. Déçu, mais heureuse en même temps. Je devrais plutôt ressentir de la culpabilité, mais je n'y arrive pas.
- Tu n'as pas à te sentir coupable, ta mère ne peut s'en prendre qu'à elle-même. Malheureusement, je ne pense pas que cela lui fasse quoi que ce soit. Au contraire, elle sera probablement contente de s'être débarrassée de toi, comme elle l'était après mon départ.
- Elle n'était pas contente quand tu es parti. Au contraire, elle t'a voué une haine qu'elle a voulu me transmettre. Mais ma haine s'est retournée contre elle.
- Je suis si fier de toi, Eleonora. Tu es une femme exemplaire, et j'espère qu'un jour tu connaîtras l'amour et que tu élèveras tes enfants avec bienveillance.
- Ce n'est pas près d'arriver.
- J'espère quand même être grand-père avant ma mort, dit-il en rigolant.

Papa a toujours su me remonter le moral avec son humour. Il est très doué pour ça.

Nous avons passé la soirée ensemble. J'ai dîné avec eux un délicieux repas que Lucinda avait concocté. C'était vraiment bon.

Je suis sur le chemin du retour. J'ai reçu plusieurs appels de ma mère au cours de la soirée mais je n'y pas répondu une seule fois.

Je gare la voiture dans notre garage, puis monte dans notre appartement. Anna et Hendrik sont devant la télé quand j'arrive. J'essaie de faire le moins de bruit possible, pour ne pas les déranger, mais Anna relève la tête vers moi. Je lui souris et lui fais comprendre d'un regard que je lui raconterai tout demain. Je n'ai qu'une seule envie : aller me coucher. La journée a été éprouvante et pleine d'émotions.

~

Dans quelques jours, je m'envole pour le Danemark. Mes derniers préparatifs pour ma présentation sont maintenant terminés. Il ne reste plus qu'à faire ma valise.

J'ai eu un appel avec la princesse Astrid, il y a une semaine. Nous avons évoqué ma venue, et nous sommes toutes les deux ravies de nous rencontrer. J'ai hâte de découvrir le Danemark.

Blenda a fait un excellent travail depuis que je l'ai embauchée, et je n'ai aucune crainte à l'idée de lui laisser la boutique pendant deux semaines. Anna me rejoint quatre jours avant mon retour pour voir avec Astrid quel style de robe elle souhaite. Nous en avons déjà parlé au téléphone, et Anna a pu créer plusieurs croquis. La princesse n'aura plus qu'à choisir qu'elle préfère parmi ces modèles.

Monsieur Albert m'a réservé une place en classe affaires, et une voiture m'attendra à l'aéroport de Copenhague. Je n'ai jamais voyagé en classe affaires. Je vais faire tache parmi les gens qui seront à mes côtés.

Mais pour être honnête, je n'ai jamais pris l'avion et je suis très apeuré à l'idée de monter dans cet engin. Si j'avais dit ça à Monsieur Albert, il ne m'aurait jamais laissé prendre l'avion seul.

Je ne suis pas du genre anxieux, mais entrer dans une famille royale me met dans un état de stress. Je suis une fille de la ville, une simple fille venant d'une famille moderne, qui ne ressemble en rien à la noblesse. Mettre les pieds dans un palais est loin d'être habituel pour une personne comme moi.

Tellement de questions me trottent en tête. Est-ce que je vais comprendre les demandes de la princesse ? Est-ce que la famille royale va accepter que je sois l'organisatrice de ce mariage ? Est-ce qu'ils sont tous comme le frère de la princesse ? Sera-t-il là ?

Tout cela est nouveau pour moi, mais j'espère que je vais réussir.

Je dois réussir, pour notre boutique et notre réputation.

Je dois respirer et croire en moi. Je suis douée dans mon travail, il n'y a aucune raison de ne pas réussir ce mariage. Nous avons toujours réussi les mariages que nous avons organisés, alors un mariage royal ne peut pas être un fiasco.

Je dois croire en moi, en nous, et surtout en mes compétences.

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