Chapitre 7 — Une alliance forcée

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Eleonora

La soirée d'hier ne s’est pas déroulée comme je l’avais imaginé. Le retour du prince a chamboulé ma présence avec la famille royale et ma soirée n’a pas été celle espérée.

Cependant, ma rencontre avec la princesse Astrid dépasse de loin la catastrophe du soir.

En parlant du prince, nous l'attendons dans l’un des salons du château depuis déjà une bonne vingtaine de minutes.

Nous discutons en attendant.

— Savez-vous monter à cheval ? demande la princesse.

— Je n’ai pas souvent eu l’occasion, mais je sais me débrouiller.

— Nous irons faire un tour aux écuries, j’ai hâte de vous montrer Héméra.

Je hoche la tête.

Nous avons aussi eu le temps d’évoquer sa vie de princesse : les cours de solfège, ceux de valse depuis l’âge de 10 ans, les promenades équestres et les heures de tricot avec la reine et leurs dames de compagnie.

Elle a eu tant d’activités que j’ai du mal à suivre. Astrid semble avoir aimé chacun des loisirs qu’elle a pratiqués. Je ne sais pas si j’aurais supporté autant de cours pour des choses qui ne me sont d’aucune véritable utilité.

— Veuillez m’excuser pour le retard.

La voix rauque du prince résonne dans la pièce.

Il s'installe sur le canapé à côté de sa sœur, vêtu d’une tenue d’équitation. Il est bien matinal pour une sortie à cheval. J'aurais aimé qu'il oublie cette entrevue, mais, pour le bien du mariage, je dois accepter sa présence.

— Nicolaï, il était temps que tu arrives.

— J'étais avec Zéphyr et je n'ai pas fait attention à l'heure.

Il marque une pause et se tourne cette fois-ci vers moi.

— Madame Nilsson, dit-il, les yeux fixés aux miens.

— Si nous collaborons, alors appelez-moi Eleonora, s’il vous plaît.

— Bien, commençons. Ce sont vos idées ?

Il jette un œil aux planches posées sur la table entre nous : trois tableaux de ce que j’ai imaginé pour ce mariage royal. Elles attendent les critiques de Son Altesse.

— C’est exact, dis-je en rapprochant les planches plus près d’eux. Il manque les traditions de votre pays ; j’espérais qu’on puisse les incorporer à l'un des tableaux d'inspiration.

— Je vois.

Ses yeux vont d’un tableau à l’autre. Il examine chaque détail et chaque idée, sans manquer de dire quand quelque chose ne lui plaît pas. Astrid montre chaque détail qu'elle apprécie à son frère, mais rien n’arrache le moindre rictus de sa part.

J'explique pendant près d'une heure chaque inspiration.

Je passe du tableau bohème chic, avec des tons beige et blanc nacrés, à celui aux couleurs typiquement de Noël, rouges et blanches, avec un énorme sapin au fond de la salle, puis à la dernière planche, totalement blanche, pour évoquer la pureté de l’union de la princesse et du duc.

— Eleonora, vos idées sont incroyables ; voilà exactement pourquoi je vous ai engagée. Sans même se connaître, vous avez réussi à réunir des idées que j'apprécie énormément.

La princesse est souriante, pleine de joie face à mon travail. Je sais que ce que j’ai produit lui plaît, mais elle n’acceptera rien sans l’avis de son frère.

Je la remercie et finis par tourner mon regard vers lui.

Il n'a pas décroché un mot depuis que j'ai terminé mes explications. Aucune émotion ne transparaît dans son regard. Sa tête repose sur son poing, maintenu par son coude posé sur son genou. Le prince prend une de mes planches dans sa main libre. Il observe, la repose sur la table, puis recommence avec une autre.

La princesse finit par lui donner un petit coup de coude dans les côtes. Il relève la tête vers nous.

Ses yeux jonglent entre sa sœur et moi. Il pose la planche qu’il tenait sur la table basse et s'installe plus correctement dans le canapé.

— Nicolaï, as-tu perdu la parole ? demande Astrid.

— Non.

— Qu’en pensez-vous ? demandé-je à mon tour.

Pas de réponse.

Il me regarde comme s’il cherchait ses mots dans mon propre regard. Il n’y trouvera que l’impatience face à sa réponse.

— Par où commencer...

— Ne prenez pas de pincettes avec moi, Votre Altesse.

— Je dois l’avouer, vous avez de bonnes idées.

Mon sourire prend place sur mon visage, peut-être trop rapidement.

— Malheureusement, aucune ne ressemble à un mariage royal, reprend-il avant de se tourner vers sa sœur. Je préfère du personnel qui connaît l’événementiel royal. Elle n’est même pas danoise, Astrid.

— Je comprends tes doutes, mais Eleonora est celle que j’ai choisie. Personne ne me fera changer d’avis.

Je ne laisse pas le temps au prince de reprendre la parole.

— Je ne suis pas danoise, mais je suis originaire d’un pays scandinave. La famille royale suédoise a également ses coutumes et traditions. Je suis tout à fait capable de comprendre les vôtres.

Je marque une petite pause avant de reprendre, plongeant mon regard dans son bleu.

— Si vous pensez qu'une critique de votre part peut me faire peur, vous vous trompez, Votre Altesse.

Ses lèvres ne bougent pas. Aucun son n’en sort. Il me fixe comme s’il essayait de comprendre qui je suis. C’est finalement la voix de la princesse qui nous sort de cette bulle.

— J'ai une idée ! Nicolaï, tu connais tout de la monarchie, tandis que vous, Eleonora, vous êtes l’une des meilleures organisatrices de mariages. Je veux que vous travailliez ensemble pour créer le plus beau jour de ma vie.

Cette fois, c'est moi qui n’ai plus de voix.

Mes yeux sont écarquillés. Mes mains retombent le long de mon corps.

Je n’arrive pas à croire qu’elle ait prononcé ces mots.

Travailler avec lui ? Alors qu'il est tout bonnement insupportable ?

C’est…

— Hors de question ! disons-nous en même temps.

— Vous n’avez pas le choix. C'est décidé, dit-elle, le sourire aux lèvres. À partir de maintenant, je vous confie mon mariage à tous les deux.

Elle se lève et sort de la pièce, contente de ce qu’elle vient d’annoncer, me laissant seule avec le prince.

Je ne comprends toujours pas comment ce changement d’organisation a pu avoir lieu.

Travailler en équipe avec un prince, c'est une opportunité.

Mais avec le prince Nicolaï… c’est l’enfer.

Cet homme, aussi charmant soit-il, n'a rien d’une personne qu’on voudrait comme collaborateur.

Cinq années à la fac à apprendre des cours par cœur pour qu’on ne me pense pas capable d’intégrer des traditions royales, c’est insultant.

Blâmer le simple fait que je ne sois pas danoise le rend tout simplement détestable.

Le Danemark et la Suède sont deux pays voisins. Deux pays nordiques.

Je ne crains pas d'apprendre de nouvelles traditions, une nouvelle langue et de nouvelles cultures.

Je ne vois pas où se trouve la difficulté à accepter que sa petite sœur souhaite passer le plus beau jour de sa vie.

Qu'il soit prince ou non, je ne changerai pas qui je suis ni ce que je vaux.

— Je ne saisis pas ce qui vient d’arriver…

— Vous venez de découvrir la facette que je déteste le plus chez ma sœur, dit le prince en se pinçant l’arête du nez. Elle a la manie de rendre les situations… comment dire… complexes.

Je ne sais pas quoi lui répondre. Les murs autour de nous semblent se rétrécir.

Je ne suis pas à l’aise face à cette situation. Je regarde autour de moi, cherchant quelque chose qui me permette de quitter l’endroit.

Mais aucune échappatoire. Rien. Juste le prince et moi. L’un en face de l’autre.

— Écoutez, Prince Nicolaï, je comprends que vous ne m'appréciez pas..., dis-je.

— Qui a dit que je ne vous apprécie pas ? demande-t-il, en me coupant dans mon élan.

— Votre hostilité à mon égard, répondis-je en riant nerveusement. Quoi qu'il en soit, nous allons devoir travailler en équipe pour faire en sorte que votre sœur soit conquise.

— Je suis, pour une fois, d'accord avec vous.

— Je vous laisse quelques jours pour mettre par écrit vos envies et vos demandes.

Je n’attends pas sa réponse. Je me lève, effectue une courte révérence et quitte la pièce.

Monsieur Albert, qui attendait patiemment au niveau de la porte, essaie de me rattraper en m’appelant, mais je n’y prête pas attention.

Je traverse les longs couloirs jusqu’à la chambre qui m'a été attribuée.

Anna arrive dans un peu plus d'une semaine.

D’ici là, il ne me reste plus qu’à survivre à la compagnie du prince.

~

Je suis dans ma chambre en train d'étudier la liste d’envies du prince.

Nous ne nous sommes pas vus depuis deux jours, depuis l’entrevue dans le salon. C’est après le repas d’hier soir que Nicolaï m'a remis en mains propres la demande que je lui avais faite.

Il a été plutôt rapide à me rendre le papier. Moi qui pensais qu’il me le donnerait une semaine plus tard.

Je me déteste déjà de dire ça, mais… il a de bonnes idées, un peu trop dans tous les sens, mais je vois le genre de mariage qu'il souhaite pour sa sœur.

Il souhaite des couleurs dans des tons beiges et blancs, des tables rondes avec une décoration plutôt basique et, surtout, la piste de danse doit se trouver au milieu de la pièce.

Ces demandes sont faciles à réaliser, mais un peu trop simples pour un mariage royal.

Organiser un mariage blanc et beige, sans touche de couleur comme le veut le prince, c’est un affront au côté jovial de la princesse.

Je place les photos imprimées sur ma planche, les disposant par-ci par-là pour que l’essentiel soit mis en valeur. Je veux la montrer rapidement à Leurs Altesses, alors je ne perds pas une minute. Ce sont finalement les coups frappés à ma porte qui me coupent dans mon élan.

Je me lève puis me dirige vers la porte. Monsieur Albert est venu il y a quelques minutes : ça ne peut pas être lui. Lorsque j’ouvre, je suis assez surprise d’y voir le prince.

Heureusement que je n’ai pas parié sur Monsieur Albert : j'en aurais perdu une main.

— Bonjour, Eleonora.

— Votre Altesse, dis-je en effectuant une révérence.

— Nous n’avons pas commencé sur de bonnes bases, vous et moi. Je veux remédier à cela…

— Comment ?

— Je me demandais si vous accepteriez de m’accompagner pour découvrir les rues de Copenhague ?

Cette demande me met mal à l’aise. L’homme en face de moi n’est pas le prince rencontré plus tôt. Non, devant moi se trouve celui qui m’a aidée lors de mon premier vol en avion.

— Pourquoi ? je demande d’un ton franc. Vous m'avez fait comprendre que je n'ai rien à faire ici, alors pourquoi êtes-vous tout à coup devenu gentil avec moi ?

— Je n'ai pas fait une première impression à la hauteur de la personne que je suis, avoue-t-il. Quand nous étions dans l'avion, vous avez évoqué n’avoir jamais quitté la Suède. Je pensais que découvrir autre chose vous plairait, mais j'ai dû me tromper. Excusez-moi pour le dérangement, bonne journée.

Il tourne le dos et se dirige vers la porte au fond du couloir.

Il s’est souvenu de ce que j'avais dit dans l'avion. Il a retenu mes mots et veut me faire découvrir sa ville. Il y a une différence entre le prince d'hier et celui qui vient de frapper à ma porte. Je suis complètement chamboulée par cette entrevue.

Je m’apprête à refermer la porte, mais une partie de moi s’y refuse.

— Attendez ! dis-je en sortant dans le couloir. Ce serait un honneur pour moi d'avoir une visite guidée, qui plus est par le prince.

— Retrouvez-moi dans une demi-heure dans le hall principal.

— Pas de souci.

Il sourit et se retourne pour rentrer dans sa suite. Je rentre dans la chambre et m’installe sur le lit. J’essaie de comprendre et de réfléchir à ce qui vient d'arriver, mais je choisis de laisser le temps faire les choses.

Je ne sais pas ce qui m’attend, mais je suis heureuse de pouvoir, peut-être, repartir à zéro. Le prince a fait un premier pas vers moi ; c’est mon tour d’en faire un.

Être ici pour le travail ne m’empêche pas de visiter. Copenhague a toujours été une ville qui me faisait rêver lorsque je la voyais dans des magazines de voyage.

Aujourd'hui, c’est moi qui suis dans cette ville et je compte bien en profiter avant de repartir.

Le Danemark pourra-t-il faire chavirer mon cœur ?

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