Eleonora

Une petite citadine…

Comment peut-on parler ainsi d’une personne qu’on ne connaît pas ?

Je sais que ce monde est cruel envers ceux sans titre, mais j’avais naïvement refusé d’y croire.

Nous sommes au 21ème siècle. L’époque du 19ème est révolue depuis longtemps maintenant.

Je n’accepte pas qu’on puisse encore faire des différences de statuts.

Je comprends l’importance de la royauté, mais pas celle de la discrimination.

Voilà une demi-heure que je tourne en rond dans ma chambre. J’essaye de calmer la tempête en moi afin d’éviter à mon impulsivité de prendre le dessus.

Anna doit m’appeler d’une minute à l’autre. Elle arrive demain au Danemark pour faire découvrir ses croquis pour la robe de la mariée.

Je suis tellement heureuse de la revoir d’autant plus avec cette femme dans les parages.

Je me souviens que c’est elle qu’il avait au téléphone lors de ma première entrevue téléphonique avec la princesse. Sa promise…

Il n’a pourtant pas l’air de l’apprécier… pas comme une femme qu’on s’apprête à épouser.

La sonnerie de mon smartphone résonne et je m'empresse de répondre.

— Anna ! Comment vas-tu ?

— Bien. Je suis contente de t’entendre.

— Je le suis tout autant.

— J’ai hâte de te rejoindre.

— A quelle heure arrives-tu ?

— 10h. Je suis impatiente de rencontrer la princesse. Comment est-elle ?

— Tu vas l'adorer ! dis-je avant que mes pensées ne s’invitent dans la discussion.

La première tradition de ce royaume me revient en mémoire : la valse des célibataires.

La danse n’a jamais été un plaisir pour moi mais ce moment avec le prince… lui m’apprenant leur coutume… c’était incroyable.

Pour la première fois, je pense avoir aimé danser.

Derrière ses airs hautains, le Prince Nicolaï peut se révéler étonnamment charmant et rassurant. Il a réussi à me mettre à l'aise dans un élément qui n'est pas du tout le mien.

— Eleonora ?

— Oui…

— Que racontes tes pensées ?

— Comment sais-tu ? je souffle, amusé.

— Tu arrêtes de parler à chaque fois que tes pensées s’imposent un peu trop.

Anna me connaît mieux que je ne me connais moi-même. Elle a toujours su reconnaître mes différentes réactions et émotions avant que je les trouve.

— Raconte-moi, demande-t-elle.

— J’ai dansé… je commence sans attendre sa réponse pour terminer. Avec le prince.

— Tu as… quoi ? dit-elle en hurlant au téléphone.

Je rigole face à sa réaction. Anna connaît mon angoisse face à la danse mais je pense que c’est surtout l’annonce de mon partenaire qui l’a fait réagir ainsi.

— Tu as très bien entendu. J'ai appris à danser une valse avec le Prince, c'est l'une des traditions royales. Je n'ai pas vraiment eu le choix.

— As-tu aimé ?

— Pour être honnête… j'ai vraiment apprécié danser.

— C'est la danse ou le Prince que tu as apprécié ?

— Très drôle Anna.

Notre communication s’est poursuivie sur la boutique. Anna m'a parlé des prouesses de Blenda. Elle a organisé un mariage bohème pour l’une de ses amies. Anna m'a envoyé des photos de l’évènement et je dois avouer qu'elle a fait un très beau travail. Je suis extrêmement contente de l'avoir recruté.

C’est une jeune femme avec beaucoup de talent.

Je suis reconnaissante de la vie que je suis en train de construire. Nous sommes parties de rien pour arriver jusqu'au palais royal du Danemark.

Je suis tellement heureuse de partager cette nouvelle aventure avec Anna. Une cofondatrice et une meilleure amie en or.

~

Je suis installé dans la bibliothèque.

La femme de ce matin était présente au diner. Une Duchesse.

Elle n’a pas cessé de me lancer des regards insistants, auxquels je n’ai accordé aucune importance. Rentrer dans son jeu ne m’apporterait rien.

Les discussions trop protocolaires sur les questions de royauté me rendaient mal à l’aise. Je me suis excusé auprès de la famille royale et je suis venue ici pour travailler sur mon tableau de présentation.

Je n'ai plus beaucoup de temps avant mon retour en Suède.

La bibliothèque est vraiment magnifique. Je pourrais y rester des heures.

C'est un endroit calme à la différence du salon.

Ici, c'est paisible.

Loin de l’inconfort de ma présence ici.

La feuille face à moi, sur laquelle j’ai disposé quelques idées, me semble encore trop fade.

Je la chiffonne et la jette à l'autre bout de la pièce. Mes mains passent sur mon visage fatigué de ne pas réussir dans ce que j’excelle habituellement. Je libère un souffle avant qu’un sursaut me prenne.

— J'aurais peut-être dû me munir d’un bouclier pour me protéger des lancer de feuilles, dit une voix familière.

Mon regard se tourne directement vers la voix du Prince Nicolaï.

— Je suis navrée Prince Nicolaï…

— Ne vous en faites pas.

Il ramasse la feuille à ses pieds et la déplie pour en voir le contenu. Vu son enthousiasme à chaque proposition, celle-ci ne plaira pas non plus.

Il est loin d'être facile à convaincre.

Devoir séduire le futur roi avec mon travail avant la future mariée, c'est la mission la plus complexe depuis que j'ai commencé ce travail.

Je vais penser à le rajouter dans mon Curriculum Vitae si je réussi à le convaincre.

Le papier entre ses mains est examiné en large et en travers.

J'attends la critique mais celle-ci ne vient pas. Au contraire, il s'installe sur la chaise à mes côtés.

— Il est tard pour travailler, dit-il.

— A vrai dire, il me reste 5 jours pour confectionner l’inspiration parfaite. Le sommeil n’est pas ma priorité.

— Je vois.

Il prend soin de regarder chaque illustration.

— Mettons-nous au travail.

— Nous ? demande-je en détournant la tête pour planter mon regard dans le sien.

Je n’ai jamais vu des yeux aussi magnifiques. C'est un bleu électrique absolument envoûtant.

— Je ne suis pas très agréable avec vous mais ma sœur se marie dans peu de temps. Elle a exigé que l’on fasse équipe, alors laissez-moi vous aider.

— Ne vous sentez pas obligé de m'aider.

— Ce n'est pas le cas. Parlons traditions.

Il reste là, à mes côtés, pendant une heure à évoquer chaque tradition avec enthousiasme.

La deuxième tradition de leur royaume veut que la personne appartenant à la famille royale porte une touche de couleur rouge pour rappeler le pays Danois.

C'est une très belle tradition pour montrer à leur patrie leur importance en ce jour.

Je dois trouver un accessoire ou demander à Anna d'incorporer une broderie rouge dans la robe de la Princesse. Elle devrait être plutôt simple à mettre en place.

La troisième correspond à la décoration. Elle doit être minimaliste et dans des tons blancs, beiges et crème. Ça doit être délicat et sobre.

La pureté du couple doit être mise en avant, c’est pourquoi je dois utiliser des tons doux.

J'ai déjà de nombreuses idées.

— Le rouge doit-il être mis en avant dans la décoration ? demande-je.

— C’est possible mais en petite quantité. Nous sommes fiers de notre pays mais comme je vous l'ai expliqué, un mariage royal doit rester le plus modeste possible. C'est pour ça que je tiens tellement à ce que notre personnel s’en occupe car ils connaissent ce qu’on recherche.

— Je vois… je pense à des petits diamants rouges qui peuvent suffire ou des petits rubans rouges autour des vases, écrivais-je sur mon cahier.

Le prince continue dans ses explications pour en venir à la quatrième coutume.

Elle porte sur les fleurs, et plus précisément leurs couleurs. Il faut qu’elles soient blanches afin de rappeler à nouveau la pureté de leur amour et rose pour la tendresse que les mariés devront avoir l'un envers l'autre.

— Y-a-t-il des variétés de fleurs spécifiques ? je demande tout en m’emparant de mon stylo pour y noter la réponse.

— Aucune. Avec cette tradition, chaque mariage royal est différent grâce aux fleurs. Bien qu'elles soient toujours de la même couleur, elles sont toujours de variétés diverses. Je vous laisse choisir celle que vous préférez.

— Merci pour votre réponse.

Le Prince Nicolaï finit par se lever et diriger vers la sortie.

Je note les derniers détails qui parcourent mes pensées mais une interrogation me fait face. Il me semble qu'il a oublié une tradition. Il y en a 5 et pourtant je n’en ai noté que 4…

— Il en manque une, dis-je.

— Je préfère vous la montrer. Venez avec moi.

Je me lève, ramasse mes affaires et les range dans mon sac. Je dépose une bretelle sur mon épaule et me dirige au côté du Prince qui m'attend à l'entrée de la bibliothèque.

La douceur de la nuit refroidit mon bout du nez. Le ciel nuageux de la journée à laisser place à des milliers d'étoiles dans un ciel beaucoup plus foncé. J'aime les soirées de fin d'année, elles sont fraîches mais elles sont toujours aussi belles.

Personne ne parle. Le Prince à mes côtés se déplace de façon millimétrée. Il a l'air ailleurs comme si une guerre avec ses propres émotions se passait dans son for intérieur.

Je connais ce sentiment. Je suis moi-même dans ce conflit depuis bien trop longtemps.

D’une façon ou d’une autre, il me donne envie d’en découvrir plus que je le veux en temps normal.

— Si vous continuez à me regarder de cette façon, je vais finir par rougir, dit-il.

Je détourne mon regard, gênée d’avoir été découverte en train de le regarder.

— Veuillez m'excuser, Votre Altesse.

— Nous sommes arrivés.

Je regarde autour de moi mais il n’y a rien. L’endroit est sombre et seuls les murs nous entourent. Je ne comprends pas vraiment ce que nous faisons là.

J'ai du mal à trouver une tradition dans ce genre d’endroit.

Je tourne tout autour de moi mais rien ne bouge sauf...

Nicolaï ne se trouve plus à mes côtés.

Je suis désormais seule dans cette pièce sombre et inquiétante. Je ne crains pas le noir mais je ne suis pas à l'aise là où je me trouve.

Je tourne autour de moi encore une fois et lorsque je m'arrête, la lumière jaillit et je suis bouche bée face au spectacle qui m'entoure.