Bonus
Anna
Le soleil d’été scandinave baigne la ville d’une lumière douce. Le soleil est là, réchauffant notre capitale.
J’observe les passants depuis la fenêtre de notre salon. Eleonora m’a congédié à la maison car son neveu ou sa nièce peut pointer le bout de son nez à n'importe quel moment.
Le petit café en face de la boutique me rappelle le père lâche de mon enfant. Il a vendu sa librairie, quittant la ville avec sa nouvelle compagne. Je ne sais pas ce qui fait le plus mal : devoir dire adieu à l’homme que j’aimais ou devoir élever un bébé sans son père.
Je serais toujours franche avec ce petit être dans mon ventre. Je lui dirais que son père n'était pas assez courageux pour nous aider. Il ou elle aura le droit de savoir que celui qui partage son sang préférait fuir loin de nous. Malgré ça si mon bébé souhaite connaître son père un jour, je ne l'empêcherai pas.
Ma main sur son ventre, je sens les pieds coups de pieds répétitifs de ce petit bout. Ça fait quelques semaines qu’il n'arrête pas de bouger. Il est descendu plus bas dans mon ventre ce qui me donne de forte douleur au niveau du bassin.
Ce bébé est en parfaite santé et se fait désirer. Mon terme était y a deux jours. Depuis j’attends qu’il décide enfin de sortir. Je dois dire que je n’en peux plus.
La fatigue. Les contractions dans la nuit. Les douleurs dans le bassin. J’en peux plus. Je veux qu’il sorte. Ce bébé commence déjà à montrer son caractère.
J’ai perdu le bouchon muqueux le jour du terme mais depuis aucun signe d'accouchement. Les contractions sont irrégulières mais commencent à être douloureuses. Surtout aujourd’hui.
Je connais pas le sexe. Je n’ai pas voulu le connaître à vrai dire. Je n’ai pas de préférence. Fille ou garçon, ce bébé est mon espoir.
Je me relève du banc. Cet enfant m’appuie sur la vessie.
Mes pas se dirigent vers la salle de bain. Mais avant que je n’y arrive, un écoulement brutal s’abat sur le sol du couloir.
Je reste là, quelque secondes, à regarder ce liquide clair sur le carrelage. Mes pensées s'emmêlent un instant : je dois nettoyer, trouver la serpillière, remettre de l’ordre… Mais une contraction douloureuse me rappelle que ce n’est pas le moment.
Je m'agrippe au mur. Souffle doucement comme me la appris la sage femme. J’attends que la contraction passe avant d’aller vers ma chambre pour me changer.
Je dois appeler Eleonora. Elle doit être avec Nicolai. Je n’ai pas envie de la déranger mais si je lui dis pas que mon bébé arrive, elle m’en voudrait toute ma vie.
Une autre contraction arrive. Je me stoppe, refait les gestes appris pour canaliser mes douleurs.
Je dépose une serviette sur le sol mouillée et quitte l’appartement, valise de maternité avec moi, pour retrouver le taxi.
— Direction Hôpital Capio Saint-Göran monsieur, s’il vous plaît.
Le taxi s’éloigne dans les rues ensoleillées de la ville. Derrière les vitres, les immeubles défilent, les touristes visitent. Le chauffeur me regarde inquiet à chaque bruit que j’émets.
Je prend mon téléphone est appelle ma meilleure amie.
Une sonnerie. Deux sonneries.
— Anna ! Tout va bien ?
— Le bébé arrive… Je suis dans un taxi. Rejoins moi. Je ne peux pas faire ça toute seule.
— Bien sûr. je suis là. Nous sommes en route.
Je raccroche pour me concentrer sur les contractions qui sont de plus en plus rapprochés. Si j’ai bien compté, toutes les 20 minutes.
Nous arrivons rapidement à l'hôpital. Le chauffeur m’aide à sortir de l’habitacle et me tend mon bagage. Je le remercie et me dirige avec difficultés vers l’accueil.
L’odeur de la désinfection, les hurlements lointains, je suis engouffrée dans ce monde médical.
La jeune femme de l’accueil s’adresse à moi avec un doux sourire. Je lui donne les papiers mais une nouvelle contraction arrive. Un gentil infirmier s’approche pour me soutenir.
On me glisse sur un fauteuil roulant, la valise sur les genoux. Les couloirs défilent à toute vitesse, blanc, interminables avec pour seul bruit le clicletis d’un lustre.
Le jeune infirmier resserre son étreinte sur mon épaule.
— Courage, on y est presque.
— Ma meilleure amie… commence-je avant qu’une contraction m’arrache un gémissement.
Je suis vite transféré sur un lit. Un sage-femme apparait accompagnée de deux autres professionnel. Leur faciès est serein. On me fait écarter les jambes pour calculer l’ouverture du col.
— Anna, c’est ça ? demande la sage-femme.
— Oui…
— Je suis votre sage-femme, c’est moi qui vait vous faire accoucher. Votre col est ouvert à 7. Votre bébé ne va pas tarder.
— Je veux ma meilleure amie… ce bébé ne viendra pas au monde si elle n’est pas avec moi.
La sage femme me serre la main.
Elle fait signe à son collègue d’aller prévenir l’accueil.
— Votre amie va arriver. Anders l’emmènera directement vers votre chambre.
Je n’arrive pas à me calmer malgré ses mots. Les contractions sont douloureuses, se rapprochant de plus en plus. Je perds espoir de la voir arriver avant la naissance. Je ne peux pas faire ça sans elle.
J’imagine son visage, ses yeux brillants et sa force tranquille. Viens, viens. S’il te plait.
Une autre vague de douleur arrive. Je crie. Je souffre. Mon coeur bat trop vite, trop fort. Je ressens la solitude de cette pièce. Pourquoi, diable, m’a-t-on abandonné ?
La porte claque. La petite blonde d’Eleonora débarque dans la pièce, fonçant droit sur moi.
— Anna ! Je suis là !
Mes larmes coulent en la voyant. Elle est là, elle a toujours été présente. Je suis tellement reconnaissante d’avoir une meilleure amie comme elle. Sa main chaude se glisse dans la mienne, m'apportant le soutien que j’attendais.
Une nouvelle contraction m’arrache un cri. La sage-femme rentre à nouveau dans la chambre pour controler le col.
— Mesdames, je crois qu’un bébé a hâte de vous rencontrer. Nous allons vous installer pour l'accouchement.
Mes yeux cherchent ceux d’Eleonora. Elle tient ma main, les yeux remplis de bonheur.
— Je ne te lâche pas. On va le faire ensemble.
Sous ses paroles douces et tendres, je trouve la force de mettre au monde mon bébé.
Son petit cri déchire l’air, pur et fragile à la fois. Soudain tout s’arrête : la douleur, la peur, la solitude. Il ne reste que ce petit être.
— Félicitations, c’est une fille, annonce la sage-femme
Une fille.
Mon bébé est une petite princesse.
Son petit corps humide et chaud se pose sur le mien. Ses doigts minuscules s'agrippent à ma peau comme pour me dire : je suis là.
Nos larmes communes, à Eleonora et moi, comblent les derniers morceaux de mon cœur.
— Bébé, je te présente ta marraine.
— Vraiment ?
J’hoche la tête incapable de dire un mot de plus. Eleonora dépose un baiser tendre sur ma tête tandis que je dépose mes lèvres sur celui de mon bébé.
Ma fille dans mes bras, ma meilleure amie à mes côtés. Finalement, c’est peut être mieux ainsi.
— Bienvenue au monde mon amour !
~
Alva Eleonora Astrid Lindberg
Née le 10 juillet 2025 à 17h48
2kg950 et 53 cm

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