Partie 2 : Festivités

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Par delà notre bourg d’Orion s’échappait une lueur valsante qui n’avait cessé de se densifier à mesure que nous nous en approchions. Cette lumière intermittente se reflétait sur nos modestes habitations et sur les feuillages arboricoles des alentours. Nous trouvèrent au centre du village l’auteur de cet éclat dansant. Des flammes courbes se déhanchaient avec cadence au cœur d’un grand bûcher enflammé dont le crépitement chantant et rythmé était audible à plusieurs dizaines de pas. Ce grand brasier, dénommé feu stellaire, resterait animé cinq jours consécutifs en l’honneur de nos étoiles-mères. Cette durée correspondait au temps nécessaire pour que la nouvelle constellation prédomine et remplace la précédente dans notre ciel astral. Cette soirée s’annonçait endiablée et ces flammes sacrées en seraient le pilier.

De retour au clan, Titania était rentrée chez elle pour vêtir sa tenue de soirée. Quant à moi, je m’étais dirigée vers notre cabane. Mars allait bientôt se réveiller, avais-je espéré.

En chemin, je croisai les membres du village qui continuaient de s’activer pour finir les préparatifs festifs. Certains préparaient une réserve de bois suffisante pour alimenter en continu les flammes stellaires. D’autres assemblaient des tables pour assurer notre futur banquet au cœur du village. Quant à nos cuisiniers experts, Prius et Amento, ils œuvraient pour ravir de leurs recettes élaborées nos estomacs déjà bien aiguisés par les senteurs diffuses. Entourés de jeunes Oraï qui rêvaient de découvrir leurs secrets, ils usaient de leur magie culinaire.

Plus jeunes, Mars et moi-même avions déjà eu l’occasion d’admirer leur technicité et leur inventivité savoureuse. Depuis tout petit, nous venions déguster en cachette leurs préparations et à force de curiosité, nous étions même devenus leurs complices, et ce malgré nos bêtises qui étaient parfois accidentelles et d’autres fois peu excusables. Je les entendais encore nous corriger verbalement. Depuis cette époque, ils étaient devenus paternels à notre égard. Il ne manquait d’ailleurs pas de nous héler pour que nous venions goûter leurs dernières associations. Ils avaient toujours su adapter les épices et les mets alimentaires en parfaite adéquation, tant et si bien que c’était un délice d’être leurs testeurs attitrés. Nous étions honorés de ce titre non officiel et nous le leur rendions bien. Le grand fourneau du village ronflait donc allégrement comme à chaque festivité.

De l’autre côté du village, le terrain d’entraînement avait été entretenu et adapté au changement de saison qui s’annonçait. Au cœur de la soirée, des combats amicaux s’initieraient par les volontaires pour honorer nos astres. En retour de nos célébrations, nos étoiles-mères alimentaient nos lumens et veillaient sur nos âmes

Je découvris dans notre nid familial que Mars s’était bien réveillée. Il était allongé dans l’herbe derrière la maison et contemplait le ciel nocturne. Sa pierre d’âme luisante restait appendue à son cou. Je le rejoignis et m’étendis à ses côtés.

  • Tu as repris tes esprits ?
  • Oui.

La nuit était tombée dans son entièreté. On apercevait la constellation du Sagittaire se dessiner. La fête n’allait pas tarder à débuter.

  • J’essaie de me remémorer ce qu’il s’est passé, dit Mars.
  • On a fait forte impression.
  • C’est encore confus dans ma tête.

Je lui relatai avec énergie les événements depuis le début de la traque jusqu’à sa confrontation physique avec l’ursat. Je soulignais la forte impression de sa prestation.

  • Mais tu as jugé bon de t’assoupir après tes efforts.

Je me moquais. Je ne pouvais m’en empêcher. Je lui racontai les explications de notre Père sur ce qu’il lui était arrivé sans omettre la pierre d’âme qui reposait sur son thorax.

  • Je vois, répondit-il avec tranquillité. Je me souviens vaguement de l'aura qui s’est émané de mon corps et de la force qui m’a envahi pour se transformer en vertiges. Cela me rappelle aussi l’éveil de mon lumen. Mais ces souvenirs sont encore flous.
  • D’après papa, tu disposes d’un lumen dense. C’est pour ça que tu n’en as pas un très grand contrôle. Alors que moi je le maîtrise parfaitement.

Notre rivalité enfantine n’avait pas de limites. Je notai sur son visage un froncement d’irritation.

  • Je sais que tu maîtrises mieux ton lumen. Je l’ai remarqué quand je suis venu te retrouver aux trois cascades. Mais essaie de combattre un ursat à mains nues et ensuite tu pourras te moquer.

Je retrouvai mon frère et sa fierté bien placée.

  • Tu as une force et un lumen incroyables, je dois bien l’avouer. Mais la prochaine fois compte sur moi pour te remettre les idées en place.
  • Je n’en doute pas. Je t’attendrai de pied ferme.

Nous rîmes en cœur tels de grands enfants que nous étions. Je lui retranscris ensuite les paroles d’Intercrus sur le domaine de spécialisation propre à chaque Ora. Et je me rendis compte que je ne lui avais pas encore parlé de l'altercation que nous avions eue avec les Atlants. J’avais encore quelques frissons en y repensant. Je décidai de ne rien dire. Il ne s’était rien passé.

  • Je comprends mieux, répondit-il.
  • Parmi les trois domaines de spécialisations, chaque Ora dispose ainsi d’une branche spirituelle dans laquelle il excelle davantage. Nous ne sommes qu’à nos débuts, mais j’ai hâte de progresser et d’en découvrir les secrets.

Mars se leva. Je suivis son mouvement du regard. Il me fit un signe de la tête en guise d’invitation puis me tendit son bras gauche.

  • Allons rejoindre les autres sinon nous allons rater l’essentiel de la soirée. Et je sais que tu ne veux pas rater nos danses rituelles.

J’empoignai son bras et m’aidai de sa force pour me redresser. Les bras toujours liés et face à face nous nous regardions. Je l’étreignis..

  • Contente que tu aies repris tes esprits Marsou.

J’étais rassurée qu’il aille bien. Le contact rapproché avec lui me soulagea de mes dernières inquiétudes. Une tiédeur se diffusa dans ma poitrine. La pierre d’âme battait à l’unisson avec nos pulsations.

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Le feu stellaire rougeoyait d’une lumière divine s’élevant à plusieurs mètres de hauteur. Des flammèches dansaient, des étincelles crépitaient, et les flammes qui s’en échappaient dégageaient une chaleur solaire palpable jusqu’à l’autre bout du village. C’était un feu animé à l’image de la soirée.

Avant de s’attaquer à la dégustation des mets culinaires, le rituel dansant devait avoir lieu. Tout le clan d‘Orion s’était regroupé autour du brasier. Leur instrument rudimentaire en place, les membres de l’orchestre étaient prêts pour assurer une rythmique légère et entraînante. Triton initia la mélodie en soufflant dans une sorte de bout de bois creux et effilé. Il s'agissait d’une seol, dont l’extrémité, enroulée sur elle-même telle une corne, se scindait en deux ouvertures. Cet outil musical transformait la vibration d’un seul souffle en deux sonorités suaves aussi bien distinctes que complémentaires. Encelade rejoignit la partition en jouant des cordes sur son gimbo qui ponctuait des sons doux et brillants, suivi de Deimos qui frappa la membrane de son instrument de percussion. Au sein de ce petit groupe dansait Iloou au rythme de ses mains qui secouaient des cercles tambourinants. La mélodie était une invitation irrésistible pour nos coeurs et du miel pour nos tympans

Les plus jeunes Oraï initièrent la valse. Lune ne tarda pas à rejoindre le mouvement. Elle était dans son élément, galvanisée par la ferveur commune. Cette danse ancestrale mêlait à la fois des gestes souples, artistiques et des mouvements martiaux incisifs rappelant nos techniques de combat. Cela donnait une chorégraphie alternative, et chaque Ora réalisait des enchaînements qui lui étaient spécifiques. Ma sœur par exemple dirigeait des mouvements fluides et circulaires, des bras, des épaules et des hanches. Ces paumes de mains prolongeaient ses gestes comme si elle cherchait à effleurer l'insaisissable air volatile. Postée sur une jambe, puis sur les deux, les genoux à moitié fléchis, un bras élevé et l’autre de front perpendiculaire à l’horizon, elle paraissait articulée par un chorégraphe. J’avais l’impression qu’elle glissait le long d’un cours d’eau invisible, comme si le courant la détestait. Nous étions jumeaux, mais cet attrait lui était unique et était une des multitudes de caractéristiques qui nous différenciait tant.

Je rejoignis la dynamique. Mes mouvements étaient brefs, secs et brusques. À la différence de ma sœur, je n’étais pas guidé par un instinct ou une partition pré-écrite dans mon organisme. On aurait pu penser que je me battais avec quelqu’un, ou avec moi-même parfois. J’aurais pu en rire. Ce n’était pas mon point fort. Malgré tout, j’appréciais enchainer les mouvements, aussi peu coordonnés fussent-ils, et rendre hommage à nos étoiles-mères de la sorte était un honneur.

Le banquet fut délectable. Les mets étaient délicieux, les fruits savoureux et la joie unanime. Nos chefs s’étaient une nouvelle fois surpassés. Mais il ne fallait pas oublier qu’on leur avait apporté un gros gibier et qu’ils avaient eu l’aide de nombreuses petites mains. J’envisageai de venir les taquiner plus tard dans la soirée.

Au milieu du repas, une autre de nos coutumes prit place. La traditionnelle séance de vision cosmique. Coéo, l'Élu actuel du village ainsi que son héritière, Titania, portaient une tunique singulière pour l’exercice. Telle une robe trop grande, de larges pans de tissus de couleur sombre couvraient leur corps. Des colliers et des bracelets confectionnés à l’aide de pierres de toutes couleurs agrémentaient leur cou, leurs chevilles ainsi que leurs poignets et des cliquetis accompagnaient leur marche jusqu’au feu stellaire. Ils vinrent s’asseoir en position de tailleur autour de celui-ci. Ils joignirent leurs mains en les opposant symétriquement dans une position particulière. Leurs pouces et index étaient pincés dans une forme de boucle, et les autres doigts étaient en confrontation de sorte que leurs mains réalisaient un triangle symétrique. La nuque courbée, ils plongèrent leur esprit dans l’infini céleste pour nous conter les remous des mouvements cosmiques et les vagues d'événements interstellaires. Le brouhaha et la musique avaient cédé leur place au silence général pour que chaque tête attentive s’abreuve du récit sidéral. Le village entier s’était assis tout autour d’eux tout en respectant une certaine distance pour ne pas perturber leur transe. Même les plus jeunes avaient saisi le caractère solennel de l'événement, et sans un son, l’attention fut captive des histoires racontées. C’était une expérience commune à chaque fête constellaire, mais toujours aussi transcendante.

Une fois la séance de Coéo et Titania terminée. Ils se relevèrent avec précaution. L’exercice de plongée cosmique demandait beaucoup d’énergie. Titania était toujours épuisée après ces séances. Coéo de son côté, qui n’était plus tout jeune, apparut plus affecté qu’à l’ordinaire et se dirigea promptement vers sa cahute. Son âge devançait celui d’Intercrus, son attitude pouvait se comprendre. Puis l’ensemble des membres du village se redressa à son tour et leva les mains en direction du ciel nocturne. Comme d’ordinaire, ma sœur et moi les imitâmes. Mais maintenant que j’avais éveillé mon lumen, je le percevais en partie et pour la première fois je le sentis s'élever vers les astres. Même si mes capacités perceptives n’étaient pas développées je présumais qu’il en était de même pour chacun de mes semblables. Quant à nos cadets, plus jeunes, ils ne pouvaient partager cette communion spirituelle, mais ils reproduirent la même posture. Ils le découvriraient comme nous en temps voulu. Mon lumen s’élevait vers le ciel infini.

          

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