Partie 2 : Trouble

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   Le vent soufflait. Siècle après siècle, ce fluide invisible acheminait, au gré de son indomptable volonté, les météos se succédant. Force directrice pour les flocons nuageux ou caresse abrasive pour la roche elle-même, le pouvoir venteux animait la vie céleste en domestiquant les nuages récalcitrants. Ses courants s’opposaient, se confrontaient et s’esquivaient dans une danse tourbillonnante menant selon leur dictat météorologique des conditions propices ou inhospitalières à l’existence. En contrebas, la vie terrestre accusait cette humeur lunatique, tant gorgée de sa faveur intermittente que meurtrie par ses bourrasques incontrôlées. La végétation dansait. Les cours d'eau s’agitaient. Le vent soufflait.

Des orages pluvieux étaient fréquents pendant la saison chaude. La chaleur sèche attirait cette dépression électrique, de sorte qu'il n'était pas rare qu’une couverture nuageuse grisante tapisse le ciel des soirées estivales. C’était le cas ce soir-là. Cette couverture grisonnante était un moment propice pour la pêche en eau douce, car elle camouflait les silhouettes terrestres.

Quelques Oraï aguerris se motivèrent à la tâche. Et même si la météo s’y prêtait, le rendement du temps investi par rapport à la récompense n’était déjà pas exceptionnel sans qu’il y ait d’événements perturbateurs. Les Oraï en question prirent place au niveau du lac Pitirou situé à deux lieues à l’ouest du village. Comme leur coutume le recommandait, le peuple céleste variait ses sites de pêche pour ne pas exercer une pression inadaptée sur les populations aquatiques. Et comme la grande majorité des lacs de bonne taille, celui-ci était habité par un village de Fées.

Pour la première fois depuis les temps anciens, ces créatures en question érigèrent à l’égard des membres d’Orion une hostilité inopinée. À leur arrivée, et malgré la distance qui les séparait encore, elles avaient émis des râles raclants au timbre menaçant manifestement tournés vers les visiteurs. Peu habitués à ce genre d'accueil, les Oraï diplomates s'approchèrent avec précaution des points de pêche et restèrent à bonne distance. Ils prirent place un court instant et n’eurent pas le temps de se fondre dans l’environnement pour piéger quelques poissons téméraires tant la tension stridente qui régnait était oppressante. Le ton agressif des créatures féériques ne cessait de s’intensifier. Plusieurs d’entre elles s'étaient approchées. À moitié immergées, le buste provocateur, elles tapaient désormais d’un mouvement explicite du poing dans l’eau. D’autres avaient pris leur envol, mugissant un souffle plus aigu que le précédent, mais tout aussi offensif. Les Oraï n’étaient pas les bienvenus. La femelle dominante ne faisait pas partie de cette partition belliqueuse. Elle restait en retrait, bien en visu pour jauger le dénouement.

Parmi les quatre membres du peuple céleste, Yon voulut découdre cette adversité inhabituelle. Muni d’un pas léger, il s’élança d’une démarche prudente vers l’étendue d’eau remuée par les courants aériens. L’élément aqueux ne se comportait pas comme un liquide insaisissable pour Yon. À l’inverse, au contact de la plante de ses pieds, les remous superficiels s’aplanirent pour prendre l'apparence d’un support neutre. Il avança ainsi, pas à pas, indescriptiblement délesté de toute pesanteur sur la surface du lac. Sa détermination se ressentait dans ses mouvements lents, d’une constance et d’une prestance rythmées. Il voulait démêler la situation. Et son approche intrépide fut plutôt vécue comme une provocation indécente qu'une volonté diplomatique. Les quelques Fées encore immergées rejoignirent leurs semblables en stationnement aérien. Les cris aigus râpeux, qui n'avaient cessé, reprirent d’une nouvelle intensité.

La tension était palpable. À quelques mètres de hauteur se dressaient les créatures ailées qui n’étaient point perturbées par la météo agitée et ses bourrasques. Elles surplombaient le visiteur arrogant qui se maintenait en lévitant sur l’eau tandis que leurs ailes chantaient un bruit de frottement serré. Yon avait stoppé son avancée, qui de son aplomb calme et résolu faisait face à l’hostilité. D’aucuns auraient pu croire que c’était lui qui dominait la scène. Ce fut après quelques secondes de confrontation distancielle que la femelle dominante, répondant au nom de Naya, s’approcha. Les râles stridents stoppèrent. La dominante ne prit pas son envol et resta à moitié immergée dans le lac comme l’avaient fait quelques-unes de ses semblables un instant plus tôt. Les deux protagonistes se toisèrent dans un silence entrecoupé de grognements intestinaux provenant des créatures aquatiques.

Ce fut Yon qui rompit l’ambiance tendue le premier. Il avait parlé dans un dialecte particulier appartenant aux peuples féeriques. Son articulé buccal était ample et lent, permettant d'émettre des sons laryngés profonds et caverneux. Naya daigna répondre. Son interlocuteur renouvela l’opération à laquelle la Fée finit par rétorquer. Cette langue qui était plus une éructation rocailleuse qu’un phrasé s'appareillait bien avec l’intention inamicale des propos.

L’échange grave ne s’éternisa pas. Naya clôtura celui-ci d'une ultime réponse vindicative. Yon se détourna et repartit de sa même démarche, sur la surface de l’eau, vers ses alliés. Ils quittèrent les lieux sans autre prétention.

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 Yon avait transmis les informations au Cercle. La nouvelle se répandit et la sidération gagna le village. Cette animosité se retrouva dans toute la région. Un émissaire avait été envoyé dans les villages voisins les plus proches comme celui de Céphée. Les rapports étaient identiques d’où qu’ils viennent. Le comportement des Fées avait changé même au-delà de la région. Les relations entre les deux peuples étaient passées d’une attitude respectueuse à une agressivité sans sommation.

À l’instar des autres villages, le cercle d’Orion prit une décision radicale. La pêche en eau douce fut ainsi une activité abandonnée par les Oraï. Sans en comprendre l'origine profonde, le village consentit.

Parmi les grandes étendues aquatiques salines, appelées océans, se trouvait l’océan Laguna, loin à l'ouest. Non seulement la distance posait problème pour s’approvisionner, mais de plus, la pêche océanique n’était pas pratiquée par les Oraï. Le village d’Orion était plus contrarié par cette tension entre leurs espèces que par l'adaptation alimentaire.

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