Partie 2 : Suppléant

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   Comme promit Neptune passa les jours qui suivirent à guider ses enfants et à leur révéler ses secrets. Il privilégia la théorie avant de leur autoriser quelques séances pratiques d'évanescence. L’exercice était difficile et volontiers pourvoyeur de vertige ou de malaise. Mars connaissait bien ces symptômes, et la présence d’un Ora aguerri pour superviser les premiers pas dans cette entreprise était donc nécessaire. En l'occurrence, même Lune reçut de la part de son père une pierre d’âme qu’elle devait porter pour éviter les incidents. Elles équilibraient et stabilisaient leur évanescence. Si ils libéraient leur lumen en trop grande quantité dans l’environnement, leurs pierres d’âmes freinaient cette déperdition et en absorbaient une partie. À l’inverse, si ils absorbaient trop d’essence extérieure, elles captaient l’excédent pour ne pas que leur organisme soit dénaturé et restituaient une partie de leur lumen imprégné.

La position de tailleur avec les mains jointes était la plus adaptée pour cet exercice méditatif complexe et pourtant, ce n’était que l’initiation au principe d’évanescence. Quand ils sauraient stabilisaient cette transe spirituelle, ils pourraient la reproduire en mouvement et même en combat. Les jumeaux, à l’écoute, étaient les plus heureux du monde.

À l'aube du vingtième jour, Neptune était introuvable. Il restait pourtant une bonne dizaine de lunes avant qu’il ne parte pour sa prochaine mission. Les jours suivants se ressemblèrent. Il avait disparu. Sa nature insaisissable était bien connue, mais il ne partait jamais sans dire au revoir à ses enfants comme il avait l'habitude de le faire.

La veille de sa disparition, il n’avait rien laissé transparaître. Il avait passé la journée à enseigner aux jumeaux, à les féliciter et à les chérir de son affection subtile. Quand la journée s’était achevée, ils avaient passé comme souvent la soirée devant les étoiles. Puis au moment du coucher, Neptune avait laissé ses enfants le devancer. Il avait dû aller régler quelque chose d’insignifiant avec le Cercle selon ses propos.

  • Soyez forts, avaient été ses dernières paroles lorsque ses enfants étaient sur le point de rentrer dans leur foyer familial et qu’ils le virent s’éloigner.

Son parlé avait été impératif. Ce n’était pas un conseil, mais plutôt une demande. Les jumeaux avaient certes des difficultés avec les exercices d’évanescence, mais aux côtés de leur père ils n'avaient aucune inquiétude. Ils avaient répondu avec simplicité et lui avaient souhaité une bonne nuit.

Les membres du Cercle n’en savaient à priori pas plus sur le départ anticipé de Neptune. Ils ne l’avaient pas croisé ce soir-là. Le grand-père des jumeaux qui gardait une mine contrariée depuis un certain temps n'avait pas non plus de réponse à apporter. Neptune était parti pour sa nouvelle quête.

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Les mois passèrent. La saison hivernale succéda à sa sœur automnale. Le village d’Orion restait vivant même en cette période neigeuse caractérisée par un froid sec et mordant. La proximité relative du village avec les côtes maritimes de l’ouest modérait la baisse des températures et le port d’une fourrure animale sur les épaules et les hanches était le plus souvent suffisant. Pour ce faire, le peuple d’Orion utilisait des peaux d’ursat et parfois celles de gidoux, une espèce de bovidés au poil dru et rêche, à la viande généreuse et dont le pelage était idéal en cas de grand froid. Beaucoup se servaient de garde-jambes rembourrées pour se réchauffer les chevilles. Quant aux femmes du peuple céleste, elles privilégiaient à ces épaisses fourrures des pans de plumes de certaines espèces de volatiles tels que le bé, la tourtelle ou encore le cocola qui bénéficiaient d’un plumage aux caractéristiques adéquates.

Le premier était un grand oiseau long et fin faisant plus d’un métre cinquante de hauteur, aux pattes frêles et élancées de couleur noire tout comme son long bec. Son plumage sortait de l’ordinaire puisqu’il prenait une teinte bleu roi. Cette coloration s’assombrissait aux extrémités de ses ailes pour devenir couleur de nuit. Il vivait aux abords des grands lacs. Le second était beaucoup plus petit et vivait dans des niches forestières. Ses plumes étaient petites, mais tricolore. De leur racine jusqu’en distalité : noir, blanc et feu. Quant au dernier, il s’agissait d'une espèce ailée, mais qui n’était pas douée pour l’envol. C’était un volatile terrestre et même un chasseur carnivore. Relativement grand, et d’une corpulence pataude, il était fait pour traquer les rongeurs. Ses plumes d’un blanc gris étaient doubles et imperméables.

Cette préférence vestimentaire féminine avait deux explications. Les femmes Oraï étaient moins sensibles au froid que leurs homologues masculins. Leur sang serait plus chaud. Et la deuxième explication provenait d’un instinct coquet naturel. Il fallait bien attirer l'œil de leurs prétendants et quoi de mieux qu’une tenue embellie de plumes ?

De leur côté, hormis certaines espèces de conifères, la forêt s’était dénudée et les montagnes aux alentours s’étaient recouvertes d’un manteau blanc en altitude. Le hameau d’Orion en était épargné, mais le paysage aux alentours n’en demeurait pas moins terni, dépossédé de son épais feuillage et s’était tu dans un sommeil transitoire. Cette évolution hivernale se qualifiait de dormance. Les arbres et la végétation s’emprisonnaient ainsi dans un repos cyclique où leur générosité et leur abondance passée n’étaient plus que frugalité. La vie et le régime alimentaire devaient être adaptés et les Oraï n’en faisaient pas exception. Ils y étaient habitués. Devenus maîtres en l’art de la culture leur permettait de subvenir à leur besoin et leur récolte s'acclimatait au gré des saisons.

Le solstice d’hiver arriva vite et avec lui la grande fête stellaire qui concluait un cycle solaire. Quelques flocons sans prétention étaient venus assaisonner les festivités. L’animation et la joie restèrent au rendez-vous. À une exception près. Le Gardien n’était pas revenu.

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  • Il est temps de désigner un Gardien suppléant. Certaines missions ne peuvent plus attendre le retour de Neptune et il en est de même concernant nos liens avec nos frères des régions voisines.

Certains membres du cercle semblèrent approuver sans trop de scrupule. D’autres partageaient un avis moins tranché et espéraient toujours le retour prochain du Gardien. Cela n'empêcha que ces mêmes là fussent préoccupés de la situation, ni de les faire opiner aux dernières déclarations.

C’était Yon qui avait parlé ainsi. Son jugement impartial et juste faisait de lui un membre respecté et écouté. C’était des qualités qu’il partageait avec Intercrus, mais c’était justement ce qui était actuellement reproché à ce dernier. Le cercle, en outre du chef du village, de l'Élu et du Gardien, était constitué d’une dizaine de membres supplémentaires. Ils se réunissaient fréquemment pour délibérer et prendre des décisions décisives pour le bien commun.

  • Pour le bien du village nous n’avons plus le choix Intercrus. Lorsqu’il reviendra, nous évaluerons la situation, mais notre équilibre passe par la présence d’un Gardien de confiance et disponible.
  • Il semble que ce soit la plus sage décision.

À l’instar de Milas, la mère de Titania, qui venait de répondre avec gravité, la majorité salua les paroles de Yon. La décision était prise même si Intercrus s’y opposait.

  • Nos relations avec les Atlants n’ont jamais été aussi électriques. Il n’a fait que les enterrer alors même qu’il devait les apaiser. Et je n’évoque pas l’hostilité des peuples de Fées.

L’assemblée commenta en murmurant.

  • C’est assez !

La voix d’Intercrus résonna d’un ton sec. Il obtint un silence autoritaire et poursuivit : « Tu as raison sur bien des points Yon. Mais je mets au défi quiconque d’avoir pu changer le dénouement auquel nous sommes confrontés.

  • Tu n’es plus objectif. Tu le protèges trop et tu le sais. »

Seul Yon osait faire des reproches de la sorte au chef des Orions. Ils se toisèrent. Eux qui se respectaient et s’estimaient sur bien des points. Eux qui se ressemblaient tant. Il n’était pas rare qu’ils soient en désaccord, mais leur différence de point de vue n’avait d’autre source que le bien du village. Intercrus le savait bien. Et son interlocuteur avait raison. Sans se détourner de celui-ci, la mine du chef d’Orion jusque-là impassible et ridée se relâcha.

  • Nous allons faire les préparatifs et nous désignerons demain un nouveau Gardien.

Intercrus avait parlé avec conviction, donnant l’impression d’être l’auteur de la proposition alors qu’il s’agissait plus d’une résignation. Les participants approuvèrent. Ils tendirent en simultané leur bras gauche devant eux, le poing serré au-dessus d’un feu crépitant de teinte bleue. L’approbation était unanime.

  • Séance close, termina Intercrus.

Les différents intervenants se scindèrent et disparurent à tour de rôle derrière la toile de la tente. La réunion avait lieu comme d’ordinaire sous un chapiteau de toiles tendues prévu à cet effet. Il était assez grand pour contenir la dizaine de membres et recevoir en son centre un feu d’ambiance d’une couleur unique. Elle s’expliquait par l’importante énergie qui se dégageait des protagonistes et qui augmentait sa température de combustion.

Yon qui ne s’était pas retiré était resté à dévisager le chef du village avant de se rapprocher de lui. Ils n’étaient plus que tous les deux.

  • Malgré les reproches que je nourris, Neptune était un excellent Gardien. Il approuverait cette décision, où qu’il soit et quel que soit la raison de son absence.
  • Tu es toujours aussi incisif Yon. Mais tu as raison.

Intercrus soupira.

  • Il avait des défauts. Mais Neptune a toujours tout fait pour le bien du village à son propre détriment. Et c’est encore le cas.

Yon eut l’air interpellé.

  • Que sous-entends-tu ?
  • Bonne nuit Yon. Nous désignerons demain un nouveau Gardien. De mon point de vue tu es le candidat favori.

Intercrus quitta la tente. Il s’aventura d’un pas décidé dans l’obscurité de la nuit. Il n’avait pourtant aucun but précis si ce n’était rejoindre sa hutte et faire face à ses réflexions en solitaire. Il s'arrêta avec soudaineté en plein cœur du village assoupi. Les âmes dormaient. Les cabanes en bois se juxtaposaient. Leur toit végétal montrait les débuts du gel nocturne, mais les feuilles utilisées pour leur armature étaient choisies pour y résister. Elles étaient épaisses, lourdes et enduites de sécrétions huileuses leur donnant une résistance au grand froid.

Le calme régnait et seule la réflexion lunaire proposait un semblant de luminosité. Une étoile filante venait de s’enflammer. Elle avait disparu, mais Intercrus ne quitta pas le ciel nocturne des yeux.

  • Où en es-tu ? susurra-t-il.

Malgré ses capacités spirituelles, il n’était plus en mesure de localiser même avec incertitude le Gardien.

Il reprit sa course vers son foyer. Arrivé à bon port, il cala son célèbre sceptre ligneux contre un mur et se laissa tomber dans un assemblage de bout de bois, rembourré et façonné de manière à servir de siège à bascule.

Il basculait. Il méditait. Face à lui se trouvait une pierre reluisante qui lui rappela des souvenirs anciens. Puis il se détourna de l’objet et concéda qu’un temps de repos ne lui ferait pas de mal. La nuit était déjà bien avancée. Une journée spéciale les attendait à l’aube. Un nouveau protecteur spirituel allait être désigné.

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