Xavier

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J'aimais bien le catéchisme.

J'aurais dû le détester pourtant : ça se passait le jeudi matin, seul jour où j'aurais pu rester au lit un peu plus longtemps.
J'aimais bien d'abord parce que j'étais doué. Chaque fois que l'abbé Billard posait une question, je savais y répondre :
« Qui a créé le ciel et la Terre ?
- C'est Dieu.
- Bien ! Jimmy. »
« A qui fait-on offense quand on fait un péché ?
- A Dieu.
- C'est exact, Jimmy, tu as compris. »
« Qui est le père de Jésus ?
- C'est Saint-Joseph !
- Non, Xavier, ce n'est pas Saint-Joseph.
- C'est Dieu.
- Oui, Jimmy, c'est Dieu le père de Jésus. »


Je pouvais continuer à somnoler sur mon banc ; dés que l'abbé Billard me posait une question, je répondais : « Dieu », et il était content.


J'aimais bien aussi le catéchisme parce que les camarades que j'y retrouvais n'étaient pas les mêmes qu'à l'école. Je faisais partie de la paroisse des quartiers modestes, alors que les enfants de ma classe habitaient dans la cité qui venait d'être construite, avec tout le confort moderne qui nous manquait tant ici. Je me sentais moins exclus dans ce milieu qui était le mien.
Quand je sortais de l'école, je devais rentrer directement à la maison. Il me fallait exactement sept minutes pour faire le trajet en me dépêchant ; si je dépassais ne serait-ce que d'une minute, c'était parce que j'étais allé traîner on ne sait où et j'avais droit au mieux à des remontrances. Au catéchisme, c'était différent car on ne sortait pas toujours à la même heure. Souvent j'avais le temps de rester plusieurs minutes m'amuser avec les copains. Entre l'église et la salle de catéchisme il y avait un grand terrain vague. Nous pouvions nous y donner à cœur joie avec nos vélos. C'est au cours d'une de ces récréations que j'ai été pour la première fois en contact avec Xavier. Il était adossé à un mur, tout seul, quand un de mes camarades, Luc, me le désigna et me dit :
« Tu le connais le gars là-bas ? Eh bien c'est un lèche-cul.
- Qu'est-ce qui te fait dire ça ?
- Rien, je dis ça comme ça.
- On va le voir ?
- Oui, d'accord, on va s'amuser. »
Ma bicyclette avait de très bons freins, et je la maîtrisais parfaitement. Je décidai de faire une petite frayeur à ce garçon : je filai droit vers lui, et stoppai mon véhicule au tout dernier moment.
« Tu te crois malin ! me dit il, en détournant le regard.
- C'était juste pour te faire peur, ce n'était pas méchant. C'est comment ton nom ? lui demandai-je.
- Xavier, me répondit-il, maintenant, laisse-moi tranquille.
- Il n'est pas commode, dis-je en me retournant vers Luc.
- Je te l'avais dit, laisse tomber. »

A cette époque l'abbé Billard avait besoin d'enfants de cœur. Luc avait été le premier à proposer ses services. Comme c'était mon meilleur copain, et que d'après lui, c'était très amusant de faire ça, je me suis laissé convaincre à mon tour de servir la messe. Je pensais que ce serait une occasion supplémentaire de se voir. Le planning de l'abbé en décida autrement :
- Tu seras avec Xavier, me dit-il, tu aimes bien Xavier, n'est-ce pas ?
- Oh, oui, bien sûr, monsieur l'abbé. »


Ce qui devait être un amusement fut en fait une corvée. Plusieurs fois par semaines je devais me lever encore plus tôt que d'habitude pour voir un prêtre boire du vin de messe devant quelques vieilles femmes bigotes, accompagné d'un garçon qui ne m'adressait presque pas la parole et me regardait même avec dédain. J'ai tenu deux ou trois mois comme ça, puis j'ai fini par trouver une bonne excuse pour mettre fin à ce service.


J'avais 12 ans, l'âge de faire ma première communion. Ce sacrement était précédé de trois jours de retraite, afin de bien se préparer à l'événement. C'était la première fois que j'avais l'occasion de quitter cette famille qui m'oppressait, d'être libéré de mon père qui me tyrannisait. Le cadre était merveilleux. Nous logions dans un manoir bien entretenu, avec tout le confort, situé au milieu d'un immense parc boisé. Nous étions une vingtaine d'enfants, encadrés par l'abbé Billard, et parmi eux : Xavier.
Dés le départ nous sommes entrés tous deux en compétition : c'était à qui serait le plus dévotieux, donnerait le plus de voix pour chanter les cantiques, répondrait le plus souvent « Dieu » aux questions de l'abbé Billard. Curieusement cette rivalité nous rapprocha. Le premier soir, au moment de choisir son lit dans le dortoir, nous nous sommes tout naturellement installés l'un à côté de l'autre. Ensuite nous ne nous sommes plus quittés d'une semelle. Que ce soit dans la salle de catéchisme, au réfectoire, dans les processions ou même pendant les temps libres, nous étions côte à côte, voire épaule contre épaule.
Je ne sais pas si c'était parce que «le seigneur m'avait regardé», mais j'étais passé de la mort à la vie. Je ne m'étais jamais senti aussi bien que dans ce manoir en pleine nature, en compagnie de Xavier. Pour moi c'était plus qu'un copain ; pour lui je ne savais pas, je n 'ai jamais su, je ne sais toujours pas. A la fin de la retraite nous sommes rentrés chacun chez soi, et je ne l'ai plus jamais revu.


Cette histoire peut sembler banale, mais pour moi elle représente beaucoup. A l'âge de 12 ans je venais de connaître le premier amour de ma vie. Le retour à la maison avait été douloureux.

De ce cafard qui m'a tenaillé pendant de nombreux jours il me reste encore quelque chose, quarante huit ans plus tard.

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