Vernissage
Dire Straits - Money For Nothing
Le grand soir de Simon est arrivé. Ma cote n’a jamais été aussi haute, et il est sûr de vendre les 8 tableaux dans les deux premières heures et d'exploser le précédent record.
Je ne m'intéresse guère à cette course au record. Cela fait bien longtemps que mon compte en banque a du mal à baisser. La vie de campagnard a bien des avantages. Pas de dépenses superflues.
Celui qui a le plus de mal avec mes revenus, c’est mon banquier qui m’appelle à chaque fois que j’ai une grosse rentrée pour me proposer une solution de crédit pour acheter une maison ou un placement super alléchant. A le voir aussi insistant, il doit se faire souffler dans les bronches par sa direction car je veux que mon argent reste sur mon compte courant et qu’on n'y touche pas.
Ce soir, je vais mettre un autre déguisement pour la soirée.
Celui de barman.
Ça me rappelle à chaque fois mes jeunes années ou je devais financer mes études. Et quand vous souhaitez savoir ce que pense les gens, donnez-leur de l’alcool. Et en plus, ce n’est pas très difficile, dans les vernissages, on ne propose que du champagne et du vin. Pas besoin d’une remise à niveau sur les mojitos ou les cosmo.
Si au début Simon me trouvait ridicule à faire le serveur, il était toujours surpris des infos que je lui rapporte. Il est surtout d’accord avec ma stratégie depuis le jour où j’ai surpris une conversation entre deux femmes dont l’une souhaitait séduire le gérant de la galerie. Avec lui, tout tourne autour de l’argent et du sexe.
Comme le reste du monde cela dit en passant.
Je me demande même par moment s’il ne se drogue pas juste pour elles. Je ne l’ai jamais vu se droguer en ma présence, ni en émettre l’envie lors du peu de soirée que l’on avait passé ensemble. Je ne vais pas m’en plaindre, le savoir normal pendant la journée c’est mieux pour le business.
La soirée se passe comme d’habitude. Avec le temps je repère tout de suite les profils.
Les critiques sont toujours dans l’exagération vestimentaire. Toujours dans un excès de couleurs et d’artifice, voulant donner l’impression d'être en avance sur la mode. Ils se permettent même de donner leur vision du message de l’artiste qui se révèle souvent à l’opposé du propos. Dire que certains sont payer pour rien, n’est guère une exagération, mais une abominable réalité.
Les acheteurs sont beaucoup plus réservés. Ils sont plus attentifs aux détails de chaque tableau. Leurs tenues sont la plupart du temps sobre. Tout juste devine-t-on que la valeur de l’ensemble dépasse allègrement le smic. Et ils s’attardent rarement une fois leur choix fait.
Et enfin, les “remplisseurs de salle” ou plus communément appelé les pique-assiettes. Ils se composent d’étudiants en arts pour certains, d’amateurs éclairés mais n’ayant pas les moyens de se payer ce genre de peinture et de mes préférés, les spécialistes de la chasse au champagne gratuit et aux toasts au saumon.
Alors que je sers une jeune fille déjà légèrement éméchée au bout de 2 coupes, je repense à Vanessa. N’habitant pas loin, elle a dû passer devant la galerie et regarder attentivement les toiles en vitrine, elle qui était étudiante en histoire de l’art. C’est surement cette curiosité qui la poussé à vouloir voir la transcription que j’avais pu faire de ses histoires avant de se rappeler avoir déjà vu le style quelques part.
C’est le seul tableau que je n’ai pas en visuel depuis mon poste. Simon voulait l’exposer au milieu mais j’ai souhaité l’avoir loin de moi. J'éprouve encore quelques remords d’avoir dû la tuer.
Mais bon ce qui est fait est fait et concentrons-nous sur la soirée.
Il est 22h, et comme annoncé, tous les tableaux ont été vendus. Simon est heureux et à sa manière de se gratter le nez de manière répétitive, son dealer doit l'être aussi.
Il me jette quand même des regards régulièrement afin d'être sûr qu’il n’en fait pas trop.
Même s’il est le gérant de la galerie, il n’en oublie pas pour autant qui en est le propriétaire.
Il n’y a plus rien à manger mais il reste encore du champagne. Simon a même sortie les bouteilles de réserve qu’il avait prévu en cas de grosses ventes. Il se pavane comme un paon à donner ses explications sur le nom de chaque œuvre. C’est toujours marrant les explications qu’il donne, et sa vision des œuvres qui sont à des années-lumière de la mienne. Mais du moment qu’il les vend, ça me fait plaisir.
Quelques fois je me dis que je pourrais arrêter de les vendre et me limiter à peindre. Mais je ne peux me permettre de prendre ma retraite pour l’instant.
Et bien avant l’argent, c’est leurs émotions qui me nourrissent.
Elles nourrissent mon inspiration pour peindre, elles nourrissent mon âme pour continuer à vivre. J'ai besoin d’elles et de leurs histoires pour combler ce vide qui est en moi.
Simon a rangé les peintures afin de les mettre en sécurité, à baisser la lumière et mit le son à fond pour faire la fête. Même si je ne m'intéresse pas au prix, je suis quand même curieux de savoir à combien se monte le montant total des ventes pour qu’il ne craigne pas de payer une amende pour tapage nocturne.
Alors que tout le monde fait la fête et danse, je repère vers la vitrine en face de moi une femme regardant vers l'extérieur. Elle doit faire 1m60/65, des cheveux châtain clair coupé court et une robe longue couleur violet mettant en valeur sa taille. Elle n’a pas l’air de s’amuser et regarde la rue.
La rue ou moi ?
J’ai un doute car je crois déceler dans le reflet son regard qui me fixe. Je dois surement me tromper et je préfère penser à autre chose et aller chercher du vin dans la réserve. Ça coutera moins chère que de balancer du champagne à tout va.
A mon retour, la jeune femme de la vitrine m’attend à mon bar. Quelque chose cloche chez elle mais je ne sais quoi.
Alors que je pose les cartons pour sortir les bouteilles, elle me sourit sans rien dire
- Bonsoir, que puis-je vous servir ? dis-je en jouant mon rôle de barman
- J’hésite encore. Que me proposez-vous?
- Il reste un peu de champagne sinon ça sera du vin blanc mais il n'est pas très frais. Avec un glaçon ça passera très bien.
- Allons pour un verre de vin avec deux glaçons s’il vous plaît
- Parfait
- Et en passant j’aime beaucoup ce que vous faites
- Ce n’est pas très compliqué de servir des verres mais merci pour le compliment
- Je ne parlais pas de votre prestation de barman
Je me redresse pour analyser ce qu'elle vient de me dire. Elle prend son verre avec un grand sourire qui habille merveilleusement son regard et repart dans la salle ou je la vois se dandiner pour la première fois
Qui est cette femme ?
De quoi parle-elle exactement ?
Sait-elle pour les peintures ?
Mais surtout, que sait-elle d’autres ?
Je ne savais pas quoi faire et je me sentais piéger. Elle n’a pas fait qu’éveiller ma curiosité, elle a mit tous mes sens en alerte. Je jette un coup d’œil vers l'extérieur pour chercher des traces de voitures de police.
Je m'éclipse aux toilettes pour réfléchir.
Pas besoin de paniquer pas pour l’instant. Si elle savait pour les meurtres je serais déjà entouré de policiers. Elle a juste dû découvrir mon secret concernant l’auteur des tableaux. N’est pas Banksy qui veut.
Je retourne dans la salle espérant en apprendre un peu plus.
J’essaie de feindre l’indifférence mais je la recherche.
Je ne la vois plus.
Comment peut-elle me dire une chose pareille et disparaître sans rien dire.
J’entends du bruit venant du couloir. Je reconnais la voix de Simon. Il a dut aller dans son bureau prendre une trace.
Je balaie la salle du regard mais je dois me rendre à l’évidence ; elle est partie. Cette disparition soudaine a le don de m’énerver un peu plus.
Quel est l'intérêt de me dire cela et de partir aussitôt
Mais je ne suis pas au bout de mes surprises
Simon surgit du couloir, riant à hautes voix et se grattant le nez. A ses côtés, la femme de tout à l’heure.
Mais à quoi joue-t-elle ?
Simon remarque mon agacement de le voir en compagnie de cette femme.
Il vient me voir quelques minutes après, profitant qu’il n’y ait personne au coin bar
- Ca va ? j’ai fait un truc de mal ?
- Non ça va. Evite juste de faire trop d’aller-retour dans ton bureau avec des gens. Et essuie toi mieux le nez
- Ha merde. Désolé. Elle voulait une trace discrète donc je l’ai emmené. C’est un joli morceau, donc tu vois, je n’ai pas pu résister. Mais elle ne veut pas se laisser embrasser la salope.
- Tu l’as connais au moins ?
- Non, mais elle a prit mon numéro. Je pense que bientôt je la connaîtrai plus en profondeur, dit-il a joignant un déhanché obscène à ses mots.
- Fais attention quand même.
Simon retourne faire la fête, rassuré de ne pas avoir fait de connerie.
Elle est un mystère entier cette femme. Elle me parle puis prend le numéro de Simon. Quelque chose ne tourne pas rond dans cette histoire et je n’aime pas ça.
Alors que je suis perdu dans mes pensées, je la vois remettre son manteau et sortir sans dire au revoir.
Je me retiens de la suivre et de toute façon cela ne servirait à rien. Elle monte presque aussitôt dans un taxi et disparaît avec tant de questions mais aucune réponse.
Tout cela ne me plait guère.
Je préviens Simon que mon service est finit, pour donner le change devant les invités encore présent et je m’en vais.
Ils sont tous un peu trop alcoolisé pour moi et j’en ai marre de le voir se moucher.
Alors que j’avais prévu de dormir sur Paris, je prends la direction de Brisson. L’heure de route me donnera l’occasion de réfléchir à ce qui s’est passé ce soir et me préparer au pire.
Une fois à Brisson, je décide de bien nettoyer l'incinérateur et je fais le tour de la maison à la recherche d’un bracelet, une boucle d'oreille ou autre objet que j’aurais oublié. Après avoir fait le tour de chaque pièce où elle était, je décide d’aller me coucher.
Je prends un somnifère pour être sûr de m'endormir. J’ai besoin d'être reposé et d’avoir les idées claires demain pour prendre les bonnes décisions.
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