Trajectoire scellée — 1
Contrairement à ce qu'Aris avait toujours imaginé, le plafond du monde n'était pas du tout plat.
Il y avait bien des contreplateaux, parfois immenses, mais la plupart du Temps, ce qui gouvernait le Ciel évoquait plus un genre de carcasse d'animal rongée de partout. Un des exilé, Bornu, un Artes presque aussi jeune que lui, raccontait que le plafond avait été creusé par des siècles de morsures du Vent et d'attaques du Vide, qui arrachait de larges portions de sa Mère depuis le profondeurs.
Aris passait ses journées à observer l'aplomb. Il n'y avait que ça à faire sur cette barge bringeballante, ballotée par le Vent.
A cause du passeur qui faisait rêgner le silence, ils parlaient peu entre exilés. Il leur interdisait de se causer mais pas de se scruter les uns les autres. Chaque passager avait sa propre détresse dans le regard, ses propres regrets, ses propres fautes... Ils étaient tous très différents. Mais à force de les jauger, Aris avait senti qu'ils avaient tous quelque-chose en commun. Outre la tristesse et la crainte commune, il y avait l'attente d'un nouveau départ et l'excitation de découvrir enfin les confins. C'est d'ailleurs ce que Rigal et Bornu avaient confirmé, les rares fois où la passeur dormait assez profondément pour les laisser échanger. C'était leur petit réconfort, ils devenaient arpenteurs. Des aventuriers, des héros qui défiaient les limites du monde. Ils ne verront plus la Cité mais feraient rêver le peuple, qui guetterait chaque jour les nouvelles de leurs avancées : un nouveau vestige, des merveilles inédites comme les palais astraux, et pourquoi pas une deuxième Cité suspendue ? Voire trouver le légendaire bout du monde...
Pendant que le plafond défilait, avec ses creux ses pleins, ses bizarreries, Aris mesurait à quel point il adorait parler, car en être privé était une vraie torture. Il avait juste envie de commenter tout ce qu'il voyait. Il y avait plein de chose étranges sur leur chemin. Des tubes gigantesques tombant de Terre, des gouffres qui semblaient remonter jusqu'aux entrailles de Terre, des vestiges de... il ne savait trop quoi, peut-être des bâtiments ? En tout cas des choses vraiment incroyables. Qui n'interessaient absolument pas le passeur, mais qui allumaient des petites lumières dans les yeux de Bornu comme dans les siens.
Bornu. Aris n'attendait que de pouvoir mieux le connaître. Il lui rappelait un peu Bane, mais en moins inquiet. On voyait l'enthousiasme et la curiosité dans son regard. Il y avait aussi Chinet, qui leur avait lâché son nom à la dérobée. Un gars plus agé et plus distant. Un Ter. C'était d'ailleurs très étonnant de retrouver un prêtre sur la barge des bannis. Aris avait imaginé que ces gens là ne commentaient jamais de crimes, trop occupés qu'ils étaient à lècher les pieds des statues. Ca ne l'arrêtait pas, lui aussi, il crevait d'envie de le connaître.
Rigal, avait l'air plus intriguant encore, vu son âge. Il devait avoir facilement dix alignements de plus. Impossible de dire le genre de tempérement qu'il avait, hormis qu'il avait l'air complement perdu.
Mais celle qui l'intriguait le plus, c'était Sléa. Grands dieux, dans la belle lueur de l'oeil du Temps se refermant, elle avait quelque-chose de fascinant. Le silence exigé, elle se baignait dedans, comme dans cette lumière. Il l'avait assez vite reconnue, il s'agissait de la Vox qui était transpassée juste après lui. La fléautée. Peau blanche, cheveux de cendres, yeux fins. Mais ça n'avait rien de gênant. Au contraire, ses traits particuliers lui conféraient une aura hors du commun.
Lorsqu'Aris pleurait en repensant à Pali, il se consolait en la regardant, elle. Il avait un peu l'impression d'être infidèle, mais en même Temps, pourquoi pas ? Il valait mieux essayer de l'oublier. La Cité était à des milliers de portées et Pali lui semblait plus loin encore. Il pouvait bien admirer Sléa devant la remontée du soleil.
Un matin, Aris s'était enfin décidé à aller lui parler. Son maladroit "Tu te rappelles de moi ? Le jour de la transpasse ?", ne l'a pas fait fuir, elle s'était même tournée vers lui avec attention, en le fixant de ses grands yeux noirs comme la nuit. C'est là que le l'autre lourdeaux l'a menacé de le jeter par dessus bord. Quel fils du Vide, celui là !
Le passeur, aussi impressionnant soit-il, n'était jamais qu'une vulgaire brute qui se croyait tout permis. Il avait un genre de statut mythique qu'ont certains citoyens - le même genre que son père critiquait toujours en disant qu'ils oubliaient leur humanité pour se la jouer "enfants des dieux" - lui donnant soi-disant tous les droits sur sa barge, mais surtout qui le protégeait. L'Aers se permettait de dormir sous leur nez, sans même se soucier qu'on ne le jette par dessus bord pour rebrousser chemin. Non, il se savait protégé par sa caste et son statut de légendaire passeur des confins, énième du nom. Dans la famille Passeur, on l'était de père en fils, une sorte de micro-sous-caste - exclusivement masculine, pour mieux affronter le Ciel et le vide - un privilège, un statut, une consécration divine. Une connerie. S'il y avait bien un truc que son révolutionnaire de père, qui tombait dans l'éternité du Ciel en ce moment, avait su lui montrer, c'était la fausseté des castes et de ces rôles. Les seules qui y réchappaient étaient la Dicte et l'Acastale, qui clairement n'avaient rien d'humain, mais il n'y avaient qu'elles deux, les autres, partageaient le même sang, la même chair et, comme disait le vieux, chiaient tous dans le même Ciel.
Seulement Aris n'était pas son père, il n'avait pas le coeur à la révolte. Le passeur ne bascula jamais au Vide.
Un beau matin, le camp des arpenteurs emergea hors de la brume.
Mais il y avait un problème, il était tout petit, tout...
Quoi ? C'était ça, le camp de base de la conquête du bout du monde ? Ce pauvre truc bancal et branlant, jonché de poussières et de débris ?
Ils s'y arrimèrent, le passeur les envoya se faire voir durant le ravitaillement, les larguant sur l'embarcadère, sans un mot, comme s'ils étaient un vulgaire fret.
Aris n'avait encore jamais à ce point ressenti la précarité de leur vie d'aggripé avant de poser le pied sur le ponton. Mais là, fini de rêver, Messagère venait de lever le voile sur la plus brutale des réalités : il se trouvait à plusieurs milliers de portées de le Cité, sur des plateformes branlantes, au milieu du néant. Et il allait tôt ou tard basculer au Ciel.
Aucune aventure. Rien d'incroyable. Pas l'ombre de ces arpenteurs courageux bravant les limites du monde. Juste un contreplateau lugubre ou s'accrochait un camp pathétique et des pauvres exilés fourbus, prêts à décrocher du plafond. Puis, en toile de fond, rien d'incroyable non plus : juste Terre et Ciel se regardant l’un l’autre. Aucune nouveauté, rien de spécial, juste un rab de désert en plus. Il n'y avait que le tracé des rails blancs traversant les pylônes pour donner un minimum de nuances aux décaissés et aux méchantes lames de roches qui écorchaient l'horizon. C'était la seule chose qui éveillait un tant soi peu l'esprit d'aventure.
— Ah, si vous pouviez voir vos gueule ! leur a lâché un arpenteur sorti de nulle part, en les accueillant sur le ponton. Tout le monde tire la même tronche en arrivant. Vous inquitez pas, après une bonne lune, vous y serez habitués. Juste le Temps d'intégrer que la Cité, elle est plus là pour soutenir vos belles miches et vous donner la confiance. Ici, on tombe au moindre pas de travers. Ici, on rêve pas, il y a que dalle ! Juste le Vide qui vous nargue en-dessous, attendant de vous bequeter, et la vieille Terre qui s'ennuie presque autant que nous.
Lui s’agrippait ici depuis plus de dix alignements – un vétéran, selon lui. Il peinait à garder son oeil gauche ouvert, comme s'il y avait une poussière résistante qui y restait coincée. Ses cheveux gras coiffés sur le côté de son crâne dévoilaient des taches incongrues. Mais le plus bizarre était son sceau de caste, illisible, comme si on avait ajouté un glyphe par dessus.
— La Cité… Elle te rend ignare. Tu vois pas, tu sens à peine les dieux inférieurs, cachés sous les ponts et les plateformes. Tu peux te promener, peinard, en oubliant l'éternité qui t’attend en bas. Tu vis, tranquille. Tu manges, tu rêves, tu pêches, tu pries sans jamais t’inquiéter du Vent, de l’état d’la roche, de la sûreté des ancrages. Facile. Dans la Cité, tu crèves pas à la moindre erreur !
Le gars s'arrêta soudain en plein milieu d'une plateforme pour les inspecter, de haut en bas et sous toutes les coutures.
— Z'allez crever ici, vous savez, fit-il en crachant sur la corne brunie pour la poussière. Tous. Il y a qu'Attraction qui peut faire en sorte que ce soit rapide ou long, ça dépendra de ce qu'elle pense de vous, mais ça change rien au fait qu'à un moment, elle vous lâchera, comme les merdes que vous êtes.
Puis d'un coup, il repartit, sans laisser plâner de doute sur la nécessité de le suivre. Après avoir traversé une zone peuplée de poteaux de corne sans utilité apparente, ils arrivèrent dans le camp à proprement parler. Les regards des arpenteurs se détournèrent de leurs activités pour suivre leur progression. Leur guide fit halte sur une susplace dégagée qui se perdait au milieu d’un fatras de tentes, de coffres, de futs, matériels en tout genre et outils disposés n'importe comment.
— Bon... Alors, vous en avez pour combien à tirer ? interrogea-t-il, en élevant la voix pour que tout le monde entende.
Les arpenteurs proches s'éloignèrent de leur routine pour venir assister à la scène. Ils avaient au moins l'air aussi mal au point et usés par la vie que celui qui les questionnait et ils avaient aussi ce drôle de sceau sur le front. Aris se sentait scruté, inspecté, jaugé. Pas question de répondre à ce type dans ces conditions. Il ne s'était même pas présenté. Si ça se trouve, il n'était personne. Rigal fit néanmoins un pas en avant.
— Je suis Rigal Bjol Artes, et je dois rester accroché trois alignements !
— T’ai pas demandé ton nom, mon grand ! trancha le vétéran. D’ailleurs j’t’ai pas donné l’mien non plus. Preuve qu’on s’en fout ici. Tout comme ta caste ! D’ailleurs on va en finir avec ça dans quelques instants. Mais d’abord j’aimerais entendre les autres !
Aris se détourna de ce mauvais cirque Vox, il avait assez vu ce genre de petites humiliations entre jeunes de la Cité pour trouver ça interessant. Il préférait observer l’activité du camp. Elle lui paraissait completement anarchique. Impossible de comprendre qui faisait quoi et dans quel but. Il y avait des gens qui courraient à droite à gauche, frôlant – passant parfois même en dessous – de hamacs où d’autres dormaient profondément. Dans les tentes se tramaient des choses indiscernables. Sur une plateforme plus loin, des arpenteurs assis en cercle en écoutaient d’autres. Sur une autre, des personnes se préparaient, en s'harnachant, en bas de cordages qui se perdaient dans les hauteurs, tandis qu'au plafond, des silhouettes progressaient sur des structures suspendues un peu comme l’Illum pendant la cérémonie du transpassage. C’est donc ça, les arpenteurs…
— Toi, là ! fit l'autre emmerdeur, en le désignant.
Mieux vallait rêgler ça vite.
— Cinq alignements, mentit Aris, sans rien ajouter.
— Mon cul ! fit le vétéran qui se pavanait comme un Aers. Toi, t’es un spécial ! On m’a parlé de toi, et je sais que t’es là pour un long moment !
Le vieil arpenteur avait étiré le mot « long » jusqu’à faire rire toute l’assemblée, puis s’était tourné vers Slea.
— Et qui c’est, ta copine – l’autre "rescapée" ? C’est ça ?
Slea s’avança, sans rien dire.
— Ah, t'es une contrefaite… hoqueta l’arpenteur, changeant soudain de ton. Bien, tu t’entendras avec les autres enfants du fléau, décida-t-il, avant de passer aux autres. Et vous deux ?
Il désignait Bornu et Chinet. Ils s’avancèrent à leur tour.
— Trois alignements, fit le premier.
— Seize… déclara le second.
Gros silence dans l’assemblée. Seize alignements ? Que pouvait-il avoir fait pour écoper d’une telle peine ? Une sentence pareille ne pouvait signifier qu’une seule chose : un meurtre, mais sans avoir assez de preuves pour entraîner une condamnation au Ciel. La noirceur qu’Aris avait surpris au fond de ses yeux prenait à présent tout son sens. Il s’agissait d’un tueur - un tueur de caste Ter, ce qui était impensable. Aris se promit intérieurement d’éviter soigneusement son contact.
— Je vois… fit leur guide, avec un demi sourire. Bon ! Maintenant on va vous montrer vos couches. Altren, Gild, Fell et… Mais… Où-est Fell ?
— Ici ! Je suis là ! lança une grande femme en se débattant pour dépasser l'attroupement, l’air contrariée. Feraes, j’peux passer mon tour ? J’ai encore des préparatifs, et j'veux pas traîner.
— Toujours la première à gratter l'aplomb, hein ! répondit le vétéran, Feréas, avec un rictus. Tu t’es levée tôt pour mourir !
— Tu te fera bouffer par le fond avant moi, fainéant, lui asséna Fell, en repartant au sein de l’attroupement.
Le sourire de Feréas disparut sous ses airs exigeants.
— Toi ! fit-il à l’adresse d’une femme à la peau burinée, presque brulée. Je sais plus ton nom, tu vas les accompagner avec Altren et Gild et… – toi, là, aussi, tu t’ajoutes ! – vous leur ferez le tour du propriétaire, leur montrerez leurs couches. Ensuite vous les emmènerez chez l’capitaine !
Les quatre s’inclinèrent et se postèrent devant chacun d'entre eux, hésitant à voir qui accompagner.
— Pas lui, fit Féréas en pointant Aris. Celui là, j'me le garde. Les quatre autres, vous me les séparez. Personne sur la même plateforme, pigé ? On va tout de suite casser votre petit groupe.
Les arpenteurs s’inclinèrent à nouveau, puis tentèrent peu ou prou de déterminer qui accompagnerait qui, avant de finalement se lancer chacun dans une direction différente.
— Attendez ! reprit Féréas, en gueulant. J’oubliais !
Il leur indiqua la barge du passeur, qui chargeait et déchargeait des fut et des caisses en tout genre.
— Lui, là. Gardez bien sa sale trogne en tête. Hormis le capitaine, c’est le seul casté ici. C’est pas un tendre. Ce gars-là, il fait que voyager. Il n’est ni de la Cité, ni des confins, il flotte entre les deux. La solitude, le silence et le désespoir ce sont ses plumards. Il n’en a rien à foutre de toi, de moi, de tout le monde. Alors, écoutez moi bien. S’il vous prend l’idée stupide d’essayer de vous échapper, vous planquer sur sa barge pour repartir, il le sentira, direct ! Croyez moi, il y en a d'autres qui ont essayé et ils brillent sous vos pieds. Le passeur, il sent, il voit, il entend à plusieurs portées. Il est sa voile ! Et s’il vous y trouve, pas de Colonnes, pas de procès. Au Vide vous finirez ! C’est tout ! Bon ! Maintenant, cassez-vous !
Le petit groupe se dispersa, tous têtes baissées. Bornu regarda une dernière fois Aris, l’air de dire « bonne chance », avant de disparaître dans le bordeCiel ambiant.
— Allez bouge, claqua Féréas, en se mettant en marche, tout en le regardant du coin de l'oeil. T'es quoi au fond ? Un petit Inter ? Même pas un Aers ou un Ter... Ironie est grande ! Oh, fais pas l'étonné. J’ai entendu parler de toi. C’est pas parce qu’on est paumés dans les confins qu’on ne sait rien de la Cité. On l’apprend juste en retard ! Je sais que toi et l'autre vous êtes passés juste avant l'apparation de l’Inversé. Mais je vais te dire une bonne chose…
"Gare !" cria quelqu'un juste avant qu'une poutre en corne suspendue à un câble passe brusquement devant eux. Fereas l’évita de justesse.
— Attention, Vidés cons ! cracha-t-il vers les hauteurs, avant de revenir à Aris. J’disais : j’vais t'avoir à l'oeil ! Comme de tout ce qui me paraît louche sous ce plafond.
Côté Terre, des voix crièrent « Désolés, Féré ! ».
— Vos gueules, c'est pas Féré, pour vous ! leur hurla-t-il en réponse, avant de reprendre. Et un petit mec qui réchappe à un dieu incarné, c’est très louche, tu vois. Alors j’vais bien te tenir à l’œil. Comme cette poutre ! Pire que l'oeil solaire, pire que l'oiseau-justice, tu m'aura sur la palto à longueur de journée. Et quand ce sera pas moi ce sera...
Aris, habitué aux longues tirades de son père, savait comment faire semblant d'écouter. Il se contenta de le suivre, en acquesçant. Il observait. Le camp avait quelque-chose de vivant et d’agité. Surtout de dangereux. L’activité y était telle, qu’il fallait être attentif à tout. Il fallait sans cesse éviter de se prendre l’un ou l’autre cordage, tendu au petit bonheur, ou de se cogner aux poutrelles que des grues déplaçaient sans se soucier de heurter qui que ce soit. Eviter aussi les arpenteurs pressés, qui allaient en tous sens, autant horizontalement que verticalement, car certains descendaient parfois en rappel depuis le plafond sans prévenir personne.
C'était assez fascinant, car malgré le côté brouillon de l’ensemble, il ne semblait y avoir aucun accident. Tous se débrouillaient avec ces constants inconvénients, comme s’ils faisaient partie intégrante de leurs existences et qu’ils ne les remarquaient plus vraiment.
— Ouais, ça c’est l’camp, gamin. C’est moche et en même Temps c’est beau, clama Fereas, captant son regard. Bravo ! C’est ta vie maintenant ! On t’a parlé de l’Envers : du monde des dieux ? Et bien, ici, c’est l’Envers des criminels ! Fils d'Ironie, on y vit en harmonie, puis on y crève par dysharmonie ! Un instant d’inattention et c’est bonjour le Ciel. Mais, tu vois, mon gars, le Ciel deviendra ton ami, à force.
Quel connard ce Féréas. C’était encore le genre de personnage qui voulait prendre l’ascendant en faisant peur, comme les Aers et les Ter, ce qui avait le don de l’énerver prodigieusement.
— Oui, à force… reprit-il.
— T’essaie pas d’m’embobiner en répétant c’que j’dis ! coupa le vétéran. C'est moi qui cause, petit fils d'Ironie. Maintenant viens ! J’vais te montrer ta couche !
Ils arrivèrent sur une susplace qui semblait prête à tomber d'un instant à l'autre. La tente indiquée par Féréas n’avait de tente que le nom, en réalité il n’y avait là qu’une toile, tendue entre des câbles de surtènement et des piquets, qui ondulait, prise au Vent. Des arbitraires poteaux, partaient quelques hamacs troués qui s’accrochaient à ce qu’ils pouvaient.
— J’ai veillé à ce que tes camarades de couche soient vigilants ! Me rapporteront tout ce que tu fais. T’as pas intérêt à moufter, parler à l’invisible ou invoquer des trucs. On t’a tous à l’œil !
— Merci bien, fit Aris.
— Me remercie pas, faux-cul ! Et v’là ta malle. T’y mettra tes saloperies. Et espère pas de clé...
Aris sentit les larmes monter. Mais il se garda bien de les laisser sortir. Il faudra devenir dur et sans émotions pour survivre ici.
— Traine pas, on n’a pas fini ! Maintenant, tu vas rencontrer le Capitaine. Le seul Aers – non-déchu, bien sûr – qui a accepté de traîner son cul doré jusqu’ici et d'y rester. Allez, on bouge !
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