Une mort royale
Je fus réveillé par les bruits de pas, de trot d’une cavalerie, de roulement de canons et de caissons et d’agitation qui montaient en dehors de la cellule de pierre dans laquelle je me trouvais depuis de longs mois. Quelque chose se préparait mais au fond de moi, je savais que ce jour allait arriver, j’y étais préparé. En effet, aujourd’hui était le dernier jour de mon existence. Pourtant, je me réveillais dans une banalité effarante moi-même ayant du mal à réaliser.
Aujourd’hui, comme les derniers jours, les dernières semaines, les derniers mois, une nouvelle journée commençait pour la vie mais annonçait, cette fois-ci, la fin de la mienne. N’y pensant pas trop, je me fis réveiller tôt par le jeune Cléry, fidèle jusqu’au dernier jour. Après m’avoir coiffé comme cela était prévu, je parti prier en compagnie d’un abbé, Edgeworth de Firmont, de la sixième à la septième heure du jour.
Dans un silence de plomb, je me recueillis auprès de mon père. Cette ultime confession prenait un grand sens. Comment porter le poids de mes ancêtres ? Pourquoi avoir à le faire ? Ces pensées néfastes ne m’apportaient rien de plus qu’une déprimante fin ce que je voulais à tout prix éviter.
Mes pensées furent soudainement balayées par l’arrivée de Cléry qui me raccompagna dans ma cellule. L’ambiance était froide. Il m’aida à me vêtir. Je mis une chemise ainsi que mon gilet blanc cassé porté la veille puis une culotte grise, simple, neutre, c’est tout ce que je souhaitais pour partir en paix. Ou du moins je fis la demande à mes gardiens de me couper les cheveux voulant au moins partir en martyr ce qui ne me fut pas accordé. Déçu, je n’avais cependant pas la tête aux contradictions. Si je devais finir ma vie ainsi, alors cela se ferait dans le calme, comme je l’ai toujours fait. Ma décision était prise et rien ne me ferait reculer. Après tout, on ne meurt qu’une fois...
Un peu avant la huitième heure du jour, des membres aux statures glaciales de la garde nationale de Paris arrivèrent. Ils se mirent en rang avant de m’accompagner jusqu’à un carrosse. C’était le carrosse du maire de la ville de Paris, qui devait m’accompagner dans ma dernière demeure.
C’est un étrange sentiment que d’être traité de manière si protocolaire alors qu’ils allaient dans quelques heures me prendre la vie. Moi j’étais décontracté, je n’avais plus rien à perdre. La vie qui m’entourait semblait petit à petit perdre son sens comme si le temps ralentissait de plus en plus, me laissant apprécier durant un instant me semblant infini, les petits détails de la vie environnante. Ainsi, je vis passer un oiseau, je ne saurais dire lequel mais si petit et pourtant si expressif qu’il m’avait semblé communiquer avec lui l’espace d’un instant.
Le cortège parti pendant deux heures à travers les routes pavées de la capitale. Capitale de mes ancêtres, ville de mon enfance, mon tout premier amour. Un léger pincement au cœur m’atteignit involontairement. Comment en étions-nous arrivés là ? En quoi tous les événements d’un passé dont les plus anciennes reliques datent d’au moins un millénaire, devaient-ils forcément être de mon fait.
D’un seul coup, une bouffée d’air et de vie me pénétrèrent alors que je descendais du carrosse et l’agitation d’un monde que je ne parvenais plus à comprendre me fit perdre mes repères. Mais à quoi bon lutter ? Il fallait que je monte, voilà les paroles que je me répétais. Marches après marches, sur un bois encore humide de cette froide matinée de janvier, je parvins au sommet, le dernier sommet de ma vie. Alors qu’un homme austère me déshabilla, et me poussa sur une planche en bois dure qui me coupa le souffle, je pus apercevoir la foule massée de part et d’autre de cette grande place qui fit autrefois notre fierté.
J’entendais mon souffle épais dégageant un nuage de brume accompagné de voix s’élevant toujours plus fort. Je parvins à exprimer rapidement quelques mots car je ne voulais pas partir sans rien dire, pas moi qui fut au sommet de cette pyramide aujourd’hui déchue, qui avait toujours coopéré au maximum de mes capacités, qui avait tant voulu le bien commun par des conciliations aux limites du possible. Une rage intense me parcourus le corps, si intense que je ne sentis même pas la lame qui me transperça d’un coup au niveau du bas de la tête et de la mâchoire.
Le froid m’envahit, ma vision fut éblouie et les bribes de pensées que j’avais quelques secondes auparavant, s’évaporèrent. D’un seul coup, un grand calme. J’étais bien, reposé, j’étais endormi.
Moi, Louis Capet, comme l’on m’appelait dorénavant, m’étaignait en ce jour du 21 janvier 1793.
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