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Un silence de mort, oppressant au possible, s’installe dans le hall. Rien ne bouge, tout est calme, trop calme. Seules quelques plaintes étouffées de clients paniqués viennent perturber cette plénitude artificielle. Pétrifiée, je reste figée. J’ai peur… Une peur viscérale qui me prend aux tripes. Face à moi, une quinzaine d’hommes et de femmes ont les yeux braqués sur notre duo. Comprimée contre cet homme à la carrure imposante, je peine à réguler mon souffle suffocant. Les mouvements de ma poitrine trahissent le chaos en moi. Il semble que j’ai du mal à mettre en pratique ce que j’enseigne à longueur de soirée à mes élèves. Furtivement, je zieute autour de moi. Jamais je ne me serais imaginé à quel point cela pouvait être flippant de se trouver si près de la sortie sans pour autant réussir à y accéder.

J’ose à peine respirer. Il faut dire que le revolver pointé contre mon visage me rend nerveuse. Et dire que toute cette merde est de ma faute ! Ils devaient attendre depuis un sacré bout de temps le moment opportun pour agir et je le leur ai fourni sur un plateau ! Il aurait pourtant suffi que je sois rentrée dans cette foutue banque en refermant la porte derrière moi pour qu’il s’en soit passé autrement. Ça m’apprendra à être aussi gauche ! Alors, même s’il est évident qu’ils seraient probablement entrés plus tard, j’aurais au moins eu la chance d’être couchée avec les autres au lieu d’être plaquée contre cette bête sans âme. D’où je suis, j’avoue trouver leur condition tout à fait enviable comparée à la mienne !

Mes pensées semblent enrayées par les battements de mon cœur qui me martèlent la poitrine dans une douleur angoissante. L’adage « vivre l’instant présent » que je rabâche sans trop savoir pourquoi à mes élèves, prend soudain tout son sens !

Les deux hommes qui surveillent la passivité des clients se sont à présent rapprochés de nous. Leur proximité ajoute de l’oppression au scénario catastrophe dont je suis le témoin. Tendue sur la pointe des pieds pour que le bras du molosse ne m’étrangle pas, je détaille les employés de la banque ayant rejoint les autres sur la moquette. Et alors que trois des malfrats maîtrisent les otages, je perçois les deux derniers se précipiter dans le bureau de la direction. Après un bruit fracassant, ponctué d’insultes et de grognements, ils en ressortent quelques minutes plus tard avec le directeur qu’ils poussent pour le forcer à regagner le couloir. Une arme pressée contre le dos, le petit homme trapu au crâne dégarni, ne peut qu’obtempérer. Le désarroi se lit sur son visage. Dépassé, il lance des regards furtifs dans toutes les directions.

Brièvement, nos yeux se croisent. Surpris, il ouvre la bouche, mais n’a pas le temps de parler que les deux types, après avoir reçu l’ordre du chef de l’expédition de me dépêcher, l’entraînent sans aucun ménagement vers le corridor menant à l’arrière de la boutique. Comme hypnotisée par cette apparition mettant en scène une position encore plus alarmante que la mienne, je les fixe jusqu’à ce qu’ils aient totalement disparu de mon champ de vision. Dans un sursaut, je suis ramenée à ce foutu instant présent quand l’un des deux cambrioleurs restants s’adresse à mon agresseur, me désignant avec mépris d’un signe de tête.

— T’es sûr qu’elle fera l’affaire ?

— Pourquoi ne le ferait-elle pas ? rétorque-t-il, mécontent.

— C’est une gonzesse et je croyais que…

— T’occupe ! Et personne ne t’a demandé de « penser » ! jappe-t-il en lui lançant un regard noir.

Le gars baisse la tête avant de s’éloigner pour aller se placer près des hommes et des femmes couchés au sol. De force, mon assaillant m’embarque avec lui. Où m’emmène-t-il ? Rapidement, nous empruntons la même direction que le directeur. Ce que j’ai la trouille ! Mille questions me parcourent l’esprit, mais je ne dis rien, pétrifiée. De toute façon, le supplier ne m’apporterait rien, à part déclencher sa colère et me mettre en danger. Quand je passe devant les clients, allongés et silencieux, je peux ressentir leur panique qui fait écho à la mienne. Mes pieds ont du mal à suivre le rythme qu’il m’impose. Je peine à déglutir tant il me serre fort. Dans la bousculade, mes jambes ne cessent de se heurter aux siennes. Il ne voit pas que par moment je ne touche même plus le sol ?

Mes poumons, en manque d’oxygène, ne font qu’accroître ma panique. Une question me taraude : pourquoi ne m’a-t-il pas laissée avec les autres, allongées face contre terre sur les dalles de moquette usées ? Son arme, toujours fortement pressée contre mon crâne gêne mes réflexions. À tout instant, je m’attends à entendre le déclic de la gâchette. Il suffirait que je lui déplaise ou tout simplement qu’il veuille se débarrasser de moi, pour que je me prenne une balle en pleine tête.

Tandis que nous arrivons près d’une porte blindée, d’où provient de la lumière, toutes mes pensées se dirigent vers ma fille. Je songe à tout ce temps que je ne lui ai pas accordé alors qu’il nous était finalement compté. C’est fou comme on se prend conscience des priorités une fois qu’il est trop tard ! Ma Lyloo… Que va-t-elle devenir si je viens à disparaître ? Elle, si petite, si fragile… J’avais encore tant de choses à lui dire. Elle n’a que moi ! Une larme roule le long de ma joue quand l’homme, nerveux, me ramène à la réalité en me poussant davantage dans un grognement. Tout en trébuchant, je me risque à lever les yeux pour l’appréhender. Pour être franche, je ne vois pas grand-chose de lui, à part un foulard qui, comme les autres, lui cache le bas de la figure. Il porte également une capuche noire où seul un regard sombre transperce. Ce qu’il est flippant ! Même à visage couvert, je peux deviner un homme rude, dépourvu de compassion. M’imaginer qu’il doit être le genre de type à te tirer dessus tout en riant devant une comédie à la télé m’arrache un frisson. Avec le bol que j’ai, pour faire son braquage, cet homme impitoyable n’a rien trouvé de mieux que de me choisir, moi, pour otage ! Décidément, j’aurais dû jouer au loto ce matin si je m’étais doutée de ça !

Prise d’effroi devant la cruauté se dégageant de lui, je baisse à nouveau la tête pour me concentrer sur mes pieds qui se posent maladroitement sur le sol. Arrivés au fond du couloir, il pousse la porte en acier légèrement entrebâillée et nous nous précipitons avec fracas au plein cœur de la salle des coffres. Sur les nerfs, le gars crache encore quelques jurons, trouvant que je me traîne. Je tente de ne pas céder à l’angoisse qui me submerge par vague. Il reste un instant immobile, tandis que ma respiration saccadée emporte avec elle toutes mes bonnes résolutions. En fait, ce qui me terrifie le plus, c’est de ne pas connaitre mon sort ! Face à moi, je vois les deux hommes masqués, occupés à amasser des liasses de billets. Sans aucune délicatesse, ils les fourrent par poignée dans leurs gros balluchons. Au sol, à quelques mètres d’eux, le directeur de la banque est là, ligoté contre les coffres. Son regard, gorgé d’impuissance, se pose, gêné, sur moi. Aussi désolée que lui, je le lui rends avec pitié. Prise d’une angoisse envahissante, je ferme les yeux… Inspirer… Expirer… Faire le vide… Imaginer une rivière qui coule, des oiseaux qui chantent… Mouais, ce n’est pas très persuasif. Pourtant, je suis surprise de m’apercevoir que cela commence à apaiser ma respiration. Peu à peu, je réussis à contrôler mes inspirations, puis à réguler mon rythme cardiaque. Voilà. Maintenant, je rouvre les paupières et redécouvre la même scène sous mes yeux.

Après avoir lancé un signe de tête à ses complices, mon kidnappeur me pousse brutalement au milieu de la pièce. Je glisse avec violence sur le carrelage, face contre terre. Les casiers dans le fond de la salle me stoppent net. Après le choc, une vive douleur se répand de mon front à l’arrière de ma tête. Je suis encore sonnée quand il me balance deux sacs vides sur le dos.

— Lève-toi maintenant, et aide-les à remplir les sacs ! me somme-t-il sans ménagement.

— Hein ? lancé-je dans une demi-plainte, alors que mes doigts frottent énergiquement mon crâne endolori.

Ma mâchoire, meurtrie, peine à se desserrer pour lui répondre. À voir le regard furibond qu’il me lance, je suppose qu’il vient de m’ordonner quelque chose, mais je n’ai absolument aucune idée de ce dont il peut s’agir ! Les sons m’apparaissent si lointains, comme feutrés.

— Si tu ne veux ne pas finir avec une balle au milieu du front, continue-t-il, menaçant, en me visant à nouveau de son arme, je te conseille de faire ce que je te demande ! Allez ! Grouille-toi ou je te bute pour prendre une autre personne pour faire le boulot !!! hurle-t-il sans l’ombre d’une plaisanterie.

Sa voix est sèche, mauvaise. Ses traits déformés par la colère, effrayants. Son ultimatum me fait l’effet d’un électrochoc et tout se remet en place dans mon esprit. L’arrivée dans la banque… Les otages au sol… Moi, menacée de son arme… Et… à présent, son ordre de remplir les sacs sous peine de me tuer !

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