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L’air grave, il referme la porte puis vient aussitôt s’installer à mes côtés.

— Je suis désolé, Meg. J’aurais dû t’écouter et surtout ne pas m’énerver contre toi. Tout est de ma faute, je t’ai abandonné et…

— Chut… le prié-je en posant un doigt sur sa bouche.

Mon Dieu, cette bouche !

— Tu n’y es pour rien, le rassuré-je, et puis… Tout va bien puisque tu es là maintenant.

Un sourire timide pointe sur son visage.

— Tiens, annonce-t-il se retournant pour attraper quelque chose à l’autre bout du lit, je t’ai ramené un peu de lecture.

— Merci, murmuré-je en saisissant la pile de revues pour la poser derrière moi.

Seuls tous les deux, le moment me paraît idéal pour étancher ma curiosité. Seulement, j’ignore si j’ai la légitimité pour tant d’indiscrétion. Indécise, j’hésite, mais la discussion entre lui et Dave me tourmente beaucoup trop.

— Sunny ?

— Hum ? réagit-il après avoir reporté son attention sur moi.

— Je… Je souhaitais te poser une question.

— Dis.

Va-t-il m’envoyer bouler ? Le trac m’assaille. Son regard m’intimide. Je n’y arriverai jamais.

— Non, laisse tomber. De toute façon, ça ne me regarde pas.

Ses sourcils se froncent.

— Vas-y. Je veux savoir ce qui te chagrine.

— V… V… Voilà, me lancé-je en bégayant légèrement, les yeux irrésistiblement attirés par le dessus de lit. Hier, bien malgré moi, je vous ai entendu vous disputer avec Dave et…

— Et ? me presse-t-il.

— Qui est Stella ?

— Stella ? se rabroue-t-il aussitôt. D’ordinaire, je refuse de parler d’elle.

Aïe… Il l’avait dit à Dave. Je n’aurai pas dû.

— Pardon, me rattrapé-je misérablement, tu dois beaucoup tenir à elle.

Une expression indéchiffrable prend place sur son visage, sans qu’il ne relâche pour autant son regard d’une intensité déstabilisante.

— Oui.

Mon cœur se brise.

— Non, Meg, je ne pense plus l’aimer de cette façon, ajoute-t-il, comme s’il lisait en moi, seulement, la douleur et surtout, la culpabilité sont toujours là.

Sa réponse me surprend, m’émeut plus qu’elle ne devrait. Aucun avenir entre nous n’est possible. J’ai beau en avoir conscience, une part de moi s’emballe.

— Excuse-moi. Ça ne me regarde pas. Je…

— Non, non, me coupe-t-il vivement, je veux t’en parler.

Lentement, les choses évoluent. Seulement, est-ce vraiment ce que je souhaite ? Il ne faut pas oublier la genèse de notre histoire…

— Comme tu as dû l’entendre, reprend-il, ce qui me sort de mes rêveries, sur bien des points, tu me fais penser à elle. Stella, je la connaissais depuis mon arrivée au tout premier foyer que j’ai rejoint à la mort de mes parents, tout comme Dave, d’ailleurs. Ils étaient jumeaux et inséparables. Aucun enfant ne pouvait intégrer leur duo. Pourtant, à peine débarqués, ils n’ont eu de cesse de me consoler du grand malheur qui venait de me toucher.

Oh, Sunny…

— Tu as perdu tes parents ? me surprends-je à lui demander.

— Oui, acquiesce-t-il, ils sont morts dans un accident de voiture. J’étais avec eux, mais je n’ai rien eu. Immédiatement, Dave et Sella me prirent sous leurs ailes. Il me défendait et elle était bienveillante envers moi. Plusieurs années se sont écoulées et aucun de nous ne fut adopté. Au fil du temps, nous sommes devenus notre unique famille. À l’adolescence, elle est passée du statut de meilleure amie à celui de petite amie. Ça s’est fait naturellement, comme la continuité logique de ce que nous vivions depuis toujours. À l’âge de seize ans, alors que nous étions amants, le foyer a décidé de nous séparer ce qui était inconcevable pour notre trio. Donc, nous nous sommes enfuies. Cet évènement a marqué le début de notre vie de débauche. La rue et les squats sont devenus notre nouvelle maison. Pour vivre, il nous a fallu apprendre à survivre. Stella excellait dans le vol à la tire, tandis que Dave et moi avions développé une tactique imparable pour dérober de quoi manger. Stella et moi étions plus proches que jamais. Malgré tout, Dave y trouvait sa place. Il faisait partie de nous.

Sunny, fusionnel avec une autre. Mon cœur se pince. Bien que je suis tout à fait consciente qu’il n’allait pas être vierge à son âge, tout comme moi, d’ailleurs, l’entendre parler d’elle avec tant de passion et de nostalgie réactive ma jalousie.

— Un beau jour, poursuit-il, nous sommes partis parcourir le monde. Cela a duré deux ans. Notre vie était dure, mais nous l’avions choisie. Le regret n’avait pas sa place dans cette aventure. Seulement, alors que nous étions au Mexique, Stella a été abattue par un policier lors d’un braquage. Depuis, je m’en veux de sa disparition et je refuse de parler d’elle.

Accablé, il se tait un instant. Son regard se pose sur un point que lui seul ne voit. Il peine à déglutir, prends une longue inspiration.

— Je n’oublierai jamais quand elle s’est effondrée sur le sol, touchée en plein cœur, Elle est morte sur le coup. Paniqué, je l’ai prise dans mes bras. Un moment, j’ai même tenté de fuir en la portant contre moi, mais Dave m’a forcé à l’abandonner au détour d’une ruelle. Je ne pouvais pas me résigner à la laisser, seulement il m’a obligé à le faire. Depuis vingt-cinq ans, je suis hanté par cette scène. Chaque jour, je vois son visage posé sur le goudron, alors que nous nous enfuyions comme des lâches.

Cette fois, ces yeux ne sont plus rougis, mais carrément envahis de larmes. Et même si le voir pleurer pour un fantôme me fait souffrir, une force me pousse à le soutenir.

— Hey… susurré-je, alors que je le découvre rongé par un mal destructeur. Tu n’avais pas le choix, Sunny. Tu te serais fait prendre si tu avais continué ta course avec elle.

Comme un enfant perdu, ses yeux cherchent les miens. Agrippé à mes poignets, il semble si fragile.

— Peut-être. Mais au moins, je me serais conduit comme un homme.

Il attend une réponse qui ne viendra pas. C’est à lui de se pardonner, et je n’ai rien à voir là-dedans.

— Sunny, murmuré-je en, libérant une de mes mains pour la poser sur sa joue mal rasée, je suis certaine qu’elle n’aurait pas voulu que tu risques ta liberté pour la ramener alors qu’elle était morte.

— Meg. Tu me fais tant penser à elle…

— Pourtant, je n’ai rien de commun avec elle. J’ai une famille. Je n’ai jamais vécu la galère de la rue. D’ailleurs, ma vie me semble bien fade à côté de la vôtre…

— Comme toi, elle savait se défendre et se battre pour ceux qu’elle aimait avec courage. Comme toi, elle ne mâchait pas ses mots, même lorsqu’elle était effrayée. Comme toi, elle n’avait pas peur de ses sentiments.

Pas peur de mes sentiments ? Alors là, il se goure complètement ! Toujours ancré à mon regard, il se penche sur moi. Sa tête plonge au creux de mon cou.

— Parce qu’il y a bien des sentiments entre nous, Meg, non ? susurre-t-il à mon oreille. Je ne me trompe pas.

Le cœur battant, je ne réponds pas. Son visage se détache. À présent, il me fait face. À quelques centimètres l’un de l’autre, je ressens son haleine mentholée. Appétissante. Son regard me sonde. Incapable de me détourner de lui, je me laisse hypnotiser par la profondeur de ses prunelles sombres. Absorbés, nos lèvres se rejoignent et entre à nouveau dans une communion parfaite.

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