Jour de rentrée (la première d'une longue série)

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Jeudi 02 septembre, c'est la rentrée. La première, la vraie, celle qui déterminera toutes les suivantes et qui ...

Stop ! No stress. On gère. Maman au top, enfants ravis, papa sur le canapé. On a vu pire.

7h20 : je me suis pas levée. Evidemment.

7h23 : ma fille m'appelle. Elle, elle est bien debout, excitée comme une puce.

"Pourquoi on va à l'école maman ?"

Moi, j'ai envie de lui demander pourquoi il faut qu'elle pose des questions pareilles à une heure indue, mais comme je suis une maman géniale, excusez du peu, je me fends d'une réponse.

"Pour apprendre des choses."

Elle me regarde, muette. Une fois n'est pas coûtume, je lui ai coupé la chique. Emballé, c'est pesé, on file à la douche.

Ou pas.

7h25 : mon fils est debout. Vachement moins enthousiaste, lui. ça doit être génétique, ça. C'est un homme, donc l'enthousiasme, c'est une notion plus aléatoire.

"J'ai fait pipi sans la couche, maman !"

Il est fier. Pas moi. Les draps trempés de bon matin, un jour de rentrée, je m'en serais bien passée. Mais je reste une maman géniale, méhtode coué oblige, et je ne hurle pas de désespoir. J'écrase une larme silencieuse et lui ré-explique le principe de la continence.

"Sur les toilettes ou dans le pot, chéri, pas dans le lit."

Ni une, ni deux, il va pisser dans les chiottes. C'est ça de gagné, me direz-vous.

7h45 : ils ont mangé. A peu prés. J'avais tout prévu. Des céréales, du pain frais, et même de la brioche. La première a tenu à s'enfiler du lait dans un biberon, le deuxième a boulotté le quignon rassi de la veille. Les enfants sont formidables.

7h 55 : robe enfilée, pantalon en place, chaussures mises, sacs prêts. Je suis au top.

"Je veux le serpent, maman."

Je cherche, c'est quoi encore cette histoire de serpent, je ne trouve pas, je tente d'expliquer que je ne comprends pas, peine perdue, je sens les larmes venir, celles de ma fille et les miennes, mais je tiens bon. Je suis une maman GENIALE.

8h : "Serre-tête, chérie, pas serpent".

8h02 : Le serre-tête est par terre, gisant au milieu de ma patience. Je ne suis plus vraiment géniale à cette heure-ci, mais j'affiche un sourire merveilleux. L'appétit vient en mangeant, c'est sans doute pareil avec la bonne humeur. J'espère, du moins.

8h05 : "Y'a papa et maman, aujourd'hui ?" s'interroge ma fille.

On sourit. "Oui, il y aura toujours papa et maman, et ils seront là tous les deux ensemble pour tous les jours importants." je lui explique.

Mon ex me jette un regard de connivence avant de lancer, d'un ton badin, "Pour la rentrée du lycée, par exemple."

Je me marre. Il est sympa, parfois, leur père.

8h10 : je file sous la douche. Je bats probablement un record du monde de lavage humain et songe à appeler le Guinesse quand l'homme qui partageait ma vie me hèle, avec une voix pleine de grâce et de bienveillance. "On va être en retard ! Tu fous quoi ?"

Il est pas sympa, parfois, leur père.

Propre, du moins dans les grandes lignes, j'enfile un truc joli - sait-on jamais, il y a peut-être des pères célibataires dans le lot -, et je choisis de belles boucles d'oreilles avant de préparer un maquillage léger qui ...

"Mais tu te dépêches, oui ou quoi ?"

J'avorte l'opération maquillage. De toute façon, si père célibataire il y a, je serai avec mon ex. Comme y'a pas écrit "divorcé" sur mes seins - ça fait mauvais genre à ce qu'il paraît-, personne ne saura que je suis disponible. Et puis, est-ce que j'ai vraiment envie de me fader les gamins des autres ?

Non. Je vais aller piocher dans les catégories au-dessus, c'est plus sûr.

"On va être en retard !"

8h 20 : je sors de la salle de bain. Tout le monde est prêt, la procession pédestre vers le lieu de tous les savoirs peut commencer.

8h 23 : la procession pédestre est écourtée. Mioche n°1 est sur les épaules de papa, mioche n°2 sur les miennes. J'ai chaud, heureusement que j'ai abandonné le masacra, et mon fils me parle sans discontinuer alors que je souffle péniblement sous son poids-plume.

Mes boucles d'oreille dans ses mains, je grogne. Je ne suis plus du tout géniale, et, à cet instant, les questions existentielles, j'ai envie de les lui faire bouffer.

"Elle est où la dépanneuse ?"

"J'en ai rien à foutre", pense le démon sur mon épaule. "En train de travailler" répond l'ange qui a encore la mainmise sur l'affaire.

"Pourquoi ça fait du bruit."

"Parce qu'une voiture ça fait du bruit. Sinon, c'est cassé."

"Elles font pas de bruits, les voitures, là."

Ils me désignent celles qui stationnent dans la rue. Et merde.

"Sauf quand elles sont garées." je précise. "Et parfois, quand elles sont cassées, elles font beaucoup de bruit", j'ajoute, par souci, stupide, de précisions.

"Celle-là, elle fait beaucoup de bruit" répond-t-il en désignant un énorme machin qui déboule en face.

Je suis fatiguée, nulle en mécanique, et je veux rentrer chez moi.

"Ben voilà, c'est pour ça qu'on va à l'école. Pour apprendre des trucs comme ça."

Muet, le gamin. Emballé, c'est pesé, version deux. Je suis de nouveau au top.

On arrive à l'école. Il y a plein de parents et gosses chiants. Les miens inclus. Au moins, ça ne pleure pas.

Tout le monde est sagement à côté de sa mère ou de son père. Enfin presque. Mes enfants sont en train de grimper sur les jeux. Le ton est donné, les sauvages de la classe, ce seront pas les voisins.

Complètement débraillée, je mets cinq minutes, et quelques regards réprobateurs ou enchantés, pour comprendre que mon fils a agrandi mon décolleté en descendant de mes épaules.

Le ton est donné bis. La mère exhibitioniste de l'école, c'est moi.

Pourquoi je me suis reproduit, déjà ?

8h40 : on rentre enfin dans les lieux. Le maître est sympa, l'ATSEM douce, et la classe magnifique. Tout va bien, on gère, on a géré, la vie est belle.

1580 photos plus tard, tout le monde joue dans l'allégresse. C'est merveilleux. Quelle belle éducation je leur ai donnée ! Quel élan de sécurité affective ! Quel sentiment de confiance envers le monde ! Quel ...

"Maman, c'était bien, on rentre maintenant".

Je pâlis, son père pâlit, tout le monde pâlit. D'une petite voix douce, je lui murmure que "non", que c'est "trop bien l'école", qu'on reviendra la chercher plus tard.

Les sourcils se froncent, les yeux se mouillent, je me tâte à la planter là pour retournier pioncer sauf que, rappelez-vous, je suis une maman géniale. Donc je câline, j'explique, j'embrasse, je rassure.

La partie est presque gagnée, je le sens, on y est, elle est regonflée à bloc ! Je n'ai plus qu'à me tirer tranquillement, une sensation de devoir accompli dans le coeur, quand Milann, le gamin d'à côté, se met à pleurer. Fort. Très fort.

Il doit y avoir un truc, chez les enfants. Quand l'un se met à chialer, c'est systématique, tout le monde s'y met. Une histoire de neurones miroirs, sans doute.

Bref, c'est la crise. La grosse crise. Du genre cataclysmique. A cet instant, silencieusement, tout le monde maudit Milann. Si, si, je les vois, ces parents dépités, leur progéniture aggripée à leurs jambes, qui pensaient pouvoir aller boire un café sur le bord de mer ou s'envoyer en l'air pour la première depuis trois ans.

Pas de bol, hein.

9h05 : le maître a foutu tout le monde dehors. Tant mieux. Les parents fument, discutent, demandent "quand est-ce que c'est la réunion de rentrée parce que ...", s'embrassent, pleurent un peu aussi, et finissent par se tirer.

Nous, on se regarde, plus amoureux mais toujours parents, un peu d'émotions dans la gorge. On se sent fiers, maladroits, soudés, bizarres. On se met en marche, on papote, on se remémore les bons moments, les moins bons, on se félicite, on rit.

On est quand même des parents fantastiques.

"Et tu vas les récupérer à quelle heure, ce soir ?"

Le trou noir. Aucune foutue idée. J'ai oublié de demander.

Je suis une maman génialement imparfaite, il faut croire.

Bref, c'était la rentrée.

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