Quand maman discute avec ses enfants (ne pas essayer de reproduire chez vous, cela demande une certaine expertise)

6 minutes de lecture

16h40 : Deuxième jour de rentrée. Ils ont géré. Pas de pleurs, pas de pipi n'impore où, pas de coups de crayon sur la table. Ils sont forts, quand même, mes gamins. Je peux vous le dire, à cette heure-ci, je suis fière. Mais alors vraiment fière. D'ici deux ans, ils passent le bac et quittent le nid, j'en suis sûre.

La vie est belle. Tellement belle, d'ailleurs, que je mets de la musique dans la voiture. Forte, la musique, parce que sinon, ça ne sert à rien. Et je chante. Fort aussi, parce que sinon, ça ne sert à rien non plus.

16h41 : "Chante pas, maman."

Très bien. Lundi, c'est garderie jusqu'à 22 heures. Bien fait.

17h : on est arrivés au parc. J'ai oublié le goûter. Ce n'est pas un problème, mon fils est déjà en train de mendier un cookie à la dame du banc d'à côté. Grâce à son air malingre et ses yeux de Cocker, il repart avec la moitié de la boîte. A cet instant, j'hésite à me sentir la pire mère du monde ou, au contraire, la meilleure. Après tout, ne vient-il pas de prouver qu'il saura toujours se débrouiller dans la vie ?

17h05 : Sa soeur est venue lui réclamer un gâteau. Il a dit "non" avant de partir en courant. Et en plus, il a compris le principe du capitalisme. Futur directeur de banque, je vous le dis.

17h10 : Le futur directeur de banque vient de faire tomber les gâteaux dans l'herbe. Un chien les a bouffés. Ce n'est pas grave, je suis optimiste. Ami des animaux, bouille d'ange, il fera un merveilleux SDF. Il n'y a pas de sot métier, après tout.

17h15 : J'en ai marre du parc. Le papa d'en face me fixe d'un air bizarre. Je me demande lequel de ces mioches est le sien ?

17h17 : J'ai ma réponse. Aucun. Je crois que ça signe le retour à la maison.

17h20 : On est encore au parc. J'ai perdu ma fille. Tout est fermé, elle ne doit pas être bien loin. Je suppose que c'est comme pour la sortie des écoles. A un moment donné, les gosses, ils ré-apparaissent.

17h45 : On est rentrés du parc. J'ai ainsi pu expérimenter, sur les 300 mètres qui composent le chemin jusqu'à chez nous, qu'il est physiquement possible de porter deux enfants de trois ans en même temps. Je ne sais pas si mon dos va s'en remettre. Comme je suis une bonne maman, j'ai juré uniquement dans ma tête.

18h: "Maman, il est pas bon, celui-là."

Ma fille me montre un vieux rouleau de PQ, assez bad gamme je l'admets, rescapé d'un lointain déméngament professionnel, du temps où les magasins étaient en rupture de sopalin.

"Laisse-le, ma chérie. Il y en a d'autres."

"Maman, il faut attendre qu'il mûrisse."

J'ai passé les dix minutes suivantes à tenter de lui expliquer la différence entre fruits et papier toilette, en vain. Le truc a fini dans la véranda, au soleil, pour "qu'il mûrisse plus vite." Je pense que nous allons attendre longtemps.

18h15 : Pas si longtemps que ça. Mon fils a décidé de faire un remake du film "La Momie". Je dois le reconnaître, le costume est impeccable. Peut-être qu'il pourrait devenir acteur ?

18h18 : Ma fille est inconsolable depuis que le papier Q-fruit s'est enroulé sur les vêtements de son frère. La mère géniale que je suis a promis qu'on planterait des fraises. Je n'ai aucune foutue idée de comment je vais tenir cette promesse. En-dehors du désherbage, mes connaissances jardinières égalent celles des voitures ou de la chimie. Un néant absolu.

18h30 : C'est le départ pour aller chez mamie. Enfin, ma mère. Elle aime pas qu'on l'appelle mamie, alors, du coup, ils l'appellent pas beaucoup. Comme je suis une maman extraordinaire, je réponds chaque vendredi soir à un besoin familial fondamental, celui de réunir la chaire de ma chaire avec celle qui m'a enfantée, le temps d'une soirée, d'une nuit et d'une matinée. Qui serais-je pour m'opposer à ce qu'ils passent un temps merveilleux, de qualité, ensemble, sans moi ?

N'est-ce pas ça, être mère ? Se sacrifier, pour le bien de ses petits ? Oser me passer d'eux pour leur propre bonheur ?

Je m'auto-congratule. J'ai un sens de l'abnégation qui frise le divin. Toutefois, n'allez pas me croire surhumaine. J'ai mis une bouteille de vin dans le frigo pour me consoler de leur absence.

18h40 : on croise le voisin et on papote. Son petit-fils a fait sa rentrée des classes aussi, on échange les expériences de tout un chacun. Au moment de partir, ma fille me demande comment il s'appelle. J'ai un trou, bien sûr. Sa femme, c'est Evy, je m'en souviens, mais lui ?

Les secondes s'écoulent, je me sens mal. Je fais semblant de ne pas avoir entendu, parfois ça marche, mais la bougresse a hérité de la pugnacité maternelle. Quand elle pose une question, elle veut une réponse. La répéter en boucles n'est donc pas un souci.

Je n'aurais jamais cru qu'un jour, j'aurais à m'élever moi-même. J'ai soudain beaucoup d'empathie pour mes parents.

"C'est comment qui s'appelle le voisin ?"

Troisième demande. Je ne peux plus ignorer les choses. J'ai mes clefs, les sacs, et elle a parlé si fort que toute la rue l'a entendue. Je souris largement, histoire de gagner des micro-secondes, quand, soudain, miracle, ça me revient.

"Joe, ma puce. C'est Joe."

Je suis soulagée, vous n'imaginez même pas.

Alors que je referme la portière, sauvée, cette charmante enfant hurle "Au revoir, pécore !"

J'ai un hoquet de stupeur. D'où ça sort, ça ? Pas de moi, c'est certain. En plus, je les aime bien, Joe et Evy.

"Elle a dit quoi ?" demande le voisin. Il paraît surpris. On peut légitimement le comprendre.

"Je sais pas, elle a sa tétine, on ne comprend pas toujours." je me justifie.

Oui, je pensais m'en tirer comme ça. Naïve que je suis.

"J'ai pas la tétine, maman", corrige ma fille.

"C'est "au revoir pécore"" croit bon de préciser mon fils.

Pourquoi, pourquoi, la solidarité gémellaire s'exprime dans ces moments-là, et non pas quand ils jouent, hein ? Ils ne peuvent pas se supporter trois minutes devant des duplos, mais pour les conneries, forcément, ils forment une équipe soudée à la super glue ! POURQUOI ?

Je l'affirme haut et fort, ces injustices parentales font parties des mystères insondables de l'Univers.

Bref, le malaise est à son maximum, je ne sais plus où me foutre, j'ai les mains moites et le coeur qui bat la chamade. Heureusement, Joe est un peu sourd d'oreille.

"Comme tu es mignonne, toi ! Elle s'occupe bien de vous, votre maman."

Ouf. L'honneur est sauf, du moins pour aujourd'hui.

Dès que je tombe sur leur père, ça ne peut que venir de lui, je l'étripe.

18h45 : Il fait beau, il fait chaud, il est bon vivre. Je remets la musique et je chante. Cette fois, point de protestations, nous y allons tous de bon coeur. Le vent dans les cheveux, ou presque, les yeux vers l'avenir, nous vogons droit devant, l'âme en liesse et le corps en ébullition.

"Maman, regarde, y'a la police."

Je suis à 130 sur une route limitée à 110.

Bordel de putain de merde. Non, ce n'est pas que dans ma tête, cette fois.

Je pile, ou presque, avant de dépasser la voiture avec un grand sourire.

C'est une simple clio bleu dégueulasse. Evidemment.

"On va où, maman ?"

L'image d'un PV flamboyant s'éloigne de mon esprit à cette touchante question. J'y vois quelque chose de grand, de puissant, de profond.

Où va-t-on, dans la vie, mes enfants ? Quelque part, toujours, au bon endroit. Si on continue de rouler, de sourire, de choisir une direction à chaque carrefour. Même, et surtout, quand il n'y a pas de panneaux ou que Waze patine dans la semoule.

"On verra" chuchote ma petite voix intérieure. "Chez Vanou et Yvan", je réponds simplement.

Le reste, ils le découvriront bien assez tôt.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire LéaC ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0