Quand maman court

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7h30 : C'est une journée marathon qui s'annonce. Si, si, vous savez, le genre de journée qui n'a même pas commencé et que l'on déteste déjà, celle où on va courir, courir, courir.

Et courir.

7h45 : Les Gremlins sont debouts. Ils ont été prévenus. Aujourd'hui, il va falloir faire vite.

8h : Les Gremlins n'ont, comme d'habitude, pas écouté grand-chose. Ils patouillent dans leur bol depuis dix minutes sans rien avaler. Par contre, pour se marrer, ça se marre.

J'hésite à leur filer un gâteau, mais je me rappelle que je suis une mère exemplaire et qu'il est beaucoup trop tôt pour bousiller mes principes éducatifs.

7h55 : "Elle où la dépanneuse, maman ?"

Mais qu'est-ce qu'il a avec cette putain de dépanneuse ?!

"Au travail."

"Maman aussi, elle va au travail ?"

"Oui, quand vous serez à l'école."

"C'est pour payer le manège."

Voilà, exactement, pour payer le manège. Le reste - une maison, à manger, à boire, de quoi se chauffer, l'électricité, toussa toussa-, finalement, c'est surfait.

8h10 : Gremlins 1 est habillé. Gremlins 2 court le cul à l'air. Maman commence à voir aussi rouge que le tee-shirt qu'elle a dans les mains.

8h20 : Par un miracle incroyable, tout le monde est dans la voiture, direction la pompe à essence. Oui, j'aurais dû m'en occuper la veille. Non, je ne vous demande pas votre avis.

8h30 : Plein fait. Mon fils est ravi. "C'était bien de faire le plein maman."

Je ne sais que penser de cette réflexion. Est-il stupide ou sait-il se contenter de petites joies dans la vie ? Dans le doute, je préfère pencher pour la deuxième explication.

8h42 : Garés devant l'école, dans un créneau impeccable. Allez savoir pourquoi, je suis particulièrement douée pour me stationner dans les moments de stress. On a les talents qu'on mérite, probablement.

Dans ma tête, le célèbre tube "on va être en retard" se répète en boucle, comme un disque rayé. Sur les nerfs, je sors tout le monde de la bagnole en quatrième vitesse avant de courir d'avancer vers le lieu sacré de tous les savoirs.

Comme de juste, c'est à ce moment-là que Gremlins 1 décide qu'il ne veut pas marcher et que Gremlins 2 réclame son doudou gentiment rangé dans son sac.

Pendant une seconde, j'envisage de les balancer par-dessus la grille. Honteuse, je repense à mes cours de psychologie de l'enfant pour apaiser mon désarroi. Paraît que des parents qui rêvent de jeter leurs gosses par la fenêtre sont sains.

Je suis quelqu'un de méga sain, il faut croire.

8h45 : Tiens, pas de maître, mais une espèce de bombasse avec des jambes de dix-huit mètres.

"Je suis Maryline, la remplaçante de Francis."

Bordel, même sa voix sent l'assouplissant-machine !

Tout en notant scrupuleusement les informations du jour (cantine-TAP-garderie), elle me regarde avec un petit air suffisant. Je sens la réflexion de merde arriver.

"Je vois que vous étiez pressée ce matin."

Dans le mile, Emile.

J'ignore ses yeux posés sur mon chignon mal fait, mon maquillage absent, mes converses d'ado, parce que oui, en effet, il y a des jours comme ça, on n'a pas sorti la guêpière et le bustier pigeonnant.

Néanmoins, comme c'est la maîtresse de mes enfants, pour 7h du moins, je me retiens de lui sortir une quelconque réplique à la hauteur de son apparent mépris. Pourtant, croyez-moi sur parole, ce n'est pas l'imagination qui me manque.

Sérieusement, comment elles font, ces filles ? Ces mamans toujours parfaites, pas un cheveu qui dépasse, et jamais je ne hausse la voix, même pas quand Thimothée hurle en se tapant la tête contre le mur ?

Prozac ? Vin ? Mélange ?

Nounous ? Mari surpuissant ? Grands-parents dispo ?

J'aurais envie de croire qu'elle n'a pas d'enfant, l'instit', avec son brushing impeccable et ses talons de trente-six cm, mais au moment où je fais demi-tour, je l'entends murmurer à l'ATSEM: "Non, Pistile n'a que 4 mois, je ne vais pas mettre en route le sixième tout de suite, on va attendre un délai raisonnable."

Est-ce que je vous ai dit qu'elle était aussi élancée qu'une brindille ?

Le monde est injuste.

9h15 : J'arrive au boulot, épuisée. J'ai l'impression d'avoir vécu ma journée alors qu'elle ne fait que commencer.

10h30 : Noélie fait un dauphin avec de la pâte à modeler ainsi que des poissons pour "lui donner à manger". Ils sont morts, les poissons, parce que c'est "trop cruel", sinon.

Ah, chère enfant, mais la vie est cruelle. Les poissons sont bouffés vivants.

11h30 : Astin me fait péter un plomb. Je n'ai jamais pété un plomb en dix ans de carrière, mais là, ce gamin, il a un don. Un don, je vous dis. J'appelle son père, deux rendez-vous par semaine dans ces conditions, je le tue.

JE. LE. TUE.

J'appelle. Le père pleure. Il en a usé d'autres avant moi, l'adorable monstre. Comme je suis faible, je craque et garde le gamin.

Peut-être qu'ils m'enverront du champagne si je leur en débarasse ?

13h30 : Anaëlle, dix ans, mathématiques. "15 est plus près de 25 ou de 12 ?"

"De 8, je pense."

L'après-midi va être longue.

18h30 : The end. Je quitte Céline - encore des math, toujours des math, je n'en peux plus des math - et me rue dans ma voiture. La garderie ferme à 19h tapantes, il faut que je sois à l'heure.

18h35 : J'évite un radar de peu. La chance me sourit.

18h40 : "Oui, bonjour, personne n'est venu chercher les enfants à l'école".

Bon ben, manifestement, il ne m'aura fallu qu'une semaine pour me faire remarquer. Un record, sans doute.

"J'arrive, c'est pas encore 19 heures, si ?"

"Non, mais cette année, finalement, on termine à 18h30."

Je manque de sortir de la route. Putain de bordel de merde de putain !

"Ben, j'arrive"

Qui est-ce qui va encore devoir jouer au Tétris pour que tout rentre dans son emploi du temps pro ?

18h58 : Garderie, excuses, enfants mis dans la voiture, le tout dans le désordre.

19h : Ils sont fatigués, je suis fatiguée, et il n'y a plus rien à manger dans le frigo. Forcément, je n'ai pas eu le temps de faire de courses, et le père de ma progéniture a gentiment pioché dans les repas congelés quand il est venu les garder. Quel homme.

Après de courtes secondes de non-réflexion, je décide que, cette fois, il est suffisamment tard pour bafouer toutes mes bonnes habitudes de vie.

"McDo, les loulous ?"

Vous me croyez si je vous dis que je viens d'être élue meilleure mère de l'année ?

Entre nous, je n'aime pas y foutre les pieds, là-bas. Vraiment. D'ailleurs, au grand étonnement des vendeurs, je n'achète jamais rien pour moi. C'est que, voyez-vous, j'ai une sacro-sainte règle en matière alimentaire : le plaisir à manger un aliment doit être supérieur à son nombre de calories.

Désolé, Ronald, tu ne pèses pas assez lourd dans le game, malgré tes efforts en terme de gras, je le reconnais.

19h45 : Le karma, ce connard. Alors que je pensais qu'ils dévoreraient leur repas en 10 minutes, nous arrivons à une demi-heure de dégustation de frites.

J'ai envie de me pendre.

19h50 : Ronald, si tu m'entends, les jeux pour les gamins, arrête. J'ai jamais signé pour fabriquer un "minon" avec des pièces en carton dégueulasses qui ne tiennent pas entre elles. JAMAIS.

20h : "Un pipi, une histoire, et au lit."

21h: Quatre pipi, une histoire, deux cacas, trois chansons, un pied coincé, une affaire de voitures à laquelle j'ai rien capté, et au lit.

21h30 : Je suis au calme. Enfin. Seule. Dans la véranda. Avec un livre.

Le bonheur tient à peu de choses.

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