Lettre à mon père

5 minutes de lecture

Papa,

En ce moment, j'écris des lettres, sans doute pour me dégager de tout un tas de trucs encore encombrant qui font des embouteillages dans ma tête. Jusqu'ici, ça a été relativement simple, je le reconnais. Il a suffi que j'ouvre mon coeur, que je laisse parler mon âme, et que j'accueille ce qui pouvait en sortir. Seulement, dans certains cas, déverouiller le coeur et l'âme, ce n'est pas une mince affaire.

Tu fais partie de ces cas.

Cela fait un an, papa. Un an que j'ai arrêté de jouer les bonnes filles, à donner des nouvelles, à t'envoyer des messages pour les moments importants, à prendre mon téléphone pour passer des coups de fil que, j'en suis sûre, tu dois attendre.

Ce n'est pas par manque d'amour, c'est par un "trop plein" d'amour, un trop plein d'amour pour moi. J'en ai soupés, papa, du sacrifice. De l'oubli de moi. Du sens du devoir.

J'aurais envie de t'accabler de reproches mais ce serait jouer la carte de la facilité, et je n'aime plus vraiment ça, la facilité. La simplicité, oui, mais la facilité, non. La différence entre les deux n'est pas si simple, je le découvre chaque jour.

Tu sais, hier, je lisais un livre. Un livre qui bouleverse, qui transforme, qui fait du bien parce qu'il fait mal. A un moment donné, l'auteure écrit cette phrase qui m'a percutée. Elle parle à un homme, L'homme, et lui balance : "Mon père me m'a pas aimé en refusant de me reconnaître, mon mari en refusant de m'être fidèle, mon amant en refusant de me posséder. Et toi, comment comptes-tu ne pas m'aimer ?"

Quelle déclaration. "Comment comptes-tu ne pas m'aimer ?"

Je crois que c'est un peu le problème de ma vie, papa. J'affronte les gens avec cette phrase en filigrane, sans m'en rendre compte, "Comment comptes-tu ne pas m'aimer" ?

Tu m'as aimée. Tu m'aimes. Je pense. Et c'est tout le souci, ce "je pense". Il a jalonné, il jalonne encore, ma vie sentimentale.

"Je pense, mais je n'en suis pas sûre", parce que des preuves, la petite fille en a manqué.

Elle en a manqué quand tu es parti. Elle m'a manqué quand tu t'es effondré. Elle en a manqué quand tu as laissé tomber. Elle en a manqué quand tu m'as dites certaines choses, qu'aucun enfant ne devrait jamais entendre de sa vie.

C'est ainsi. C'était ton chemin, ton passé, tes douleurs, tes blessures, pas les miennes, même si, en agissant ainsi, tu me les as infligées. Tu ne le voulais pas, je le sais, mais pour être tout à fait honnête, il m'est encore difficile de l'intégrer.

Te pardonner, papa, est à la fois plus difficile et plus facile que de pardonner à maman.

Je t'ai pardonné avant elle, parce qu'il est plus évident de pardonner aux plus fragiles, mais je ne t'ai pas encore tout pardonné, parce qu'il est plus dur de pardonner à ceux qui n'ont pas essayé comme on aurait voulu qu'ils essaient.

Je commence à comprendre, depuis que je suis mère, combien il est compliqué de faire face à son histoire. Combien on peut se retrouver pris dans un tourbillon de choses du passé, que l'on croyait réglées, enfouies, inutiles. Combien il est dur de faire dévier sa trajectoire de vie. C'est dans ces moments-là qu'il m'est le plus difficile de croire au libre-arbitre.

Comment on se défait du passé, papa ? As-tu seulement réussi à le faire ?

Aujourd'hui, je comprends que tu m'apprends. Ton silence m'apprend. Ce n'est pas un manque d'intérêt, je ne le crois plus, seulement des peines trop lourdes pour pouvoir être surmontées. J'espère qu'un jour, tu y arriveras, parce qu'il doit être compliqué d'être loin de ses enfants.

Tu m'apprends, papa, que l'amour n'a pas besoin de présence, mais de pardon. Pas besoin de preuves, mais de ressentis. Pas besoin de concret, mais de paix. Je ne te dis pas que j'arrive à l'appliquer, c'est même plutôt dur, mais plus on lutte, plus la vie nous met devant le fait accompli.

Foutue vie, qui sait mieux que nous-même ce dont nous avons besoin pour grandir.

Papa, je voulais aussi te le dire, j'ai des tas de bons souvenirs avec toi. Le jeu du "feu rouge", les mercredi au foot, les baignades dans la rivières, les parties de jeux vidéos jusque tard dans la nuit, les histoires de loup dans les maisons de poupées, les heures passées devant les dessins animés dans le dos de maman, les gâteaux que tu nous filais en douce en la regardant râler. Je préfère emporter ça que le reste, vois-tu, car c'était ta part lumineuse parmi ces ombres que tu ne savais combattre.

Tu sais, papa, j'espère qu'un jour, j'arrêterai de mordre quand on essaie de m'aimer. Que j'arrêterai de pleurer quand on me laisse. Que j'arrêterai de redevenir cette petite fille qui ne demandait pas grand-chose, juste du temps, une présence, un geste. Un truc tangible qui lui ferait dire "qu'elle compte."

J'ai fait quelques progrès, ceci dit. Comme je le disais à maman avec cette histoire de limonade, je me dépatouille avec mes cicatrices parce que, sans doute que si vous me les avez infligées, c'est parce que je suis capable d'en sortir quelque chose de beau, de grand, de juste.

A ce qu'il paraît, toutes les épreuves qu'on nous envoie sont des épreuves que l'on peut surmonter, alors, avec tout le paradoxe que cela recouvre, ma force, je te la dois aussi.

Tu m'as appris que personne ne pourrait me rejeter, si je ne me rejette pas moi-même.

Tu m'as appris que le regard des autres n'a rien à voir avec celle que je suis vraiment.

Tu m'as appris qu'on pouvait survivre, et grandir, dans l'absence de ceux qu'on aime.

Tu m'as appris à compter sur moi, à me choisir, et à arrêter de correspondre à ce que tout le monde attend.

Je n'ai plus envie de mendier l'amour, papa, j'ai envie de me le donner. Et tu sais, je crois que lorsque ce sera le bon moment, il me sera rendu.

Je t'aime, papa. De ça, n'en doute pas. On aime parfois plus dans le silence. Cesser de s'accrocher à des chimères, accepter les choses telles qu'elles sont est un enjeu des plus complexes, mais également essentiel. J'accepte. Tu n'es pas le père dont j'aurais rêvé, mais tu es celui dont j'avais besoin pour être la femme que je suis aujourd'hui.

Je t'assure, elle n'est pas trop mal, tu sais ! Un peu pataude, un peu déjantée, un peu perdue, mais aussi pleine de vie, d'amour, et d'humour.

Où que tu sois, je te souhaite de panser tes plaies. Et qui sait, un jour, peut-être, qu'il sera à nouveau l'heure de nous retrouver. En attendant, je pense à toi comme on pense avec peine et douceur, une gratitude teintée de mélancolie dans le coeur.

Je te remercie pour ce que tu as fait, et n'as pas fait de moi. J'ai dû apprendre à trouver les ressources dans mon coeur et, surprise, il s'avère que j'en ai beaucoup.

Je t'embrasse. Pour tous les beaux moments, et les moins beaux. Il n'y a que l'amour qui guérit, et aujourd'hui, c'est ce dont j'ai le plus envie.

Guérir.

A bientôt,

Ta fille

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire LéaC ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0