Chapitre 8 : Le bal

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Je m'efforçai de demeurer digne tout le temps que dura le banquet. Alors que je mangeais en silence au milieu des discussions animées. La garde rousse, à ma gauche, et l'homme derrière moi avaient remplacé Yara et le colosse. Pour une fois, je regrettai de ne pas avoir appris à les connaître. La femme à côté de moi était une étrangère, comme je l'avais désiré. Mais en cet instant, j'avais besoin de compagnie.

Tu m'as, moi, Altesse.

Je souris intérieurement. Noori avait raison, je n'étais jamais seule. Sa présence réconfortante me réchauffait le cœur sans interruption.

Discrètement, je continuai d'observer les alliances et les mésententes qui se jouaient à demi-mot autour des tables, jusqu'au moment où ma mère se leva. Ce fut le signal pour les musiciens. Il était temps pour moi d'entrer en scène. D'ordinaire, je restais une simple poupée perchée sur un trône en attendant que la soirée passe. Cette fois, je devais me mêler aux invités. Or, aucun d'eux ne m'approcherait, habitués qu'ils étaient à mon exil implicite. Je devais engager la conversation avec quelqu'un, après, les vautours viendraient d'eux-mêmes.

J'avais étudié les convives tout le long du banquet, celui à qui je devais parler, c'était le plus jeune petit fils du duc Saniri, Ronan. Sa famille était seconde dans l'ordre de succession et, n'ayant que des garçons, ils avaient toutes les chances d'accéder au trône, qu'il m'arrive quelque chose ou non. Cela faisait d'eux mes plus proches alliés, à condition de me montrer ouverte à leur égard. L'ainée paraissait sympathiser trop facilement avec la fille du comte Vermeir pour s'intéresser à mes tentatives de socialisation.

Je me dirigeai donc vers Ronan, mes deux gardes dans mon sillage. Je n'eus cependant pas l'occasion de mettre mon plan à exécution. Devant l'assemblée médusée, l'émissaire de Zenagon me barra le passage. J'entendis des hoquets outrés face à ce manquement à nos coutumes. Cet homme se croyait en pays conquis. Il s'inclina profondément et entama la conversation, sans attendre que je lui en donne l'autorisation.

— Votre Altesse, je me présente, Damian Sillas, je suis ambassadeur pour Sa Grandeur, l'empereur tout puissant de Zenagon.

Il se releva de son propre chef. C'était un affront. Un affront calculé. Je devais réfléchir vite. Si je ne réagissais pas, il affirmait sa prédominance sur notre royaume. Si je réagissais, je risquais l'incident diplomatique. Tic. Tac. Les engrenages de mon cerveau s'activèrent en quelques secondes pour essayer de choisir la solution la moins dangereuse.

1- Lui répondre poliment, s'aplatir : « enchantée ambassadeur. » Hors de question!

2- Ne lui accorder aucune attention. Manque de respect.

3- Le rabrouer: « je n'ai cure des personnes si peu éduquées. » Manque de respect.

4- Le soumettre et faire croire à un acte de ma mère. Avec moi, je risquais l'incident. Avec ma mère, c'est lui qui serait en cause. Affirmer notre domination, sans l'humilier. Gagner.

Mon esprit passa le Voile. En un instant, je le contraignis à se courber, beaucoup plus que ce que je prévoyais. Je n'étais pas seule. La grimace qui se peignit sur ses traits démontra sa surprise. Je sentis ses muscles forcer contre l'étau magique qui le maintenait. De l'extérieur, on devait penser qu'il était un peu raide.

— Je vous remercie pour le respect que vous me témoignez, ambassadeur, minaudai-je de mon ton le plus charmeur, le laissant incliné dans une position inconfortable plus que nécessaire. Je suis ravie de faire votre connaissance. Je ne peux que louer votre audace, beaucoup hésitent à venir à ma rencontre. Je vous autorise à vous relever, cher ambassadeur. Soyez le bienvenu à Liugorn. Accompagnez-moi donc.

Je relâchai ma prise. La seconde force le maintint un instant de plus. Lorsqu'il se redressa enfin, un sourire crispé étirait ses lèvres. Une légère pellicule de sueur ornait son front. Je fis un signe de tête à ma mère, qui me le rendit. C'était bien elle qui avait contraint cet impudent. Elle avait dû arriver à la même conclusion que moi.

— Merci, Votre Altesse, hésita l'ambassadeur.

Il avait visiblement du mal à encaisser l'affront. Pourtant, il me suivit et accepta le verre que je lui tendis en chuchotant.

— Bravo, ambassadeur. Cette magnifique révérence a bien rattrapé votre entrée en matière désastreuse. Vous devriez vous montrer plus prudent, la reine Cyrriben n'est pas femme à supporter les manquements à l'étiquette sous son toit.

Il jeta un regard en coin en direction du trône. Il avait mordu. À ses yeux, ma mère était la femme forte, et moi, l'innocente manipulable. Il s'inclina ensuite et tendit la main vers moi, rassérénée.

— M'accorderez-vous cette danse, Votre Altesse?

J'acceptai. Il me fit tournoyer au rythme de la musique. Il devait avoir dans les vingt-trois ans. Sous sa veste rouge brodée de fils d'or, il n'avait pas un physique ingrat. Ses lèvres s'étiraient en un rictus suffisant sur sa mâchoire carrée parfaitement rasée.

J'affichais mon plus beau sourire pour maintenir mon illusoire naïveté.

— Alors, cher ambassadeur, comment vous distrayez-vous à la cour de Zenagon?

— Beaucoup de fêtes mondaines. Je suis assez étonné de voir si peu de gardes à celle-ci, mais c'est normal pour une petite soirée. C'est bien aimable à votre mère d'avoir pensé à organiser quelque chose de convivial en notre honneur.

Je grinçais des dents. J'avais remarqué la lueur dans ses yeux lors de son entrée dans la grande salle. Il savait parfaitement qu'il s'agissait de festivités grandioses. Peut-être étaient-elles plus imposantes à Zenagon, mais nous n'avions pas à rougir. Au moins, il n'avait pas repéré les soldats parmi les invités. En revanche, son regard papillonnait vers ma garde personnelle qui nous suivait de près.

— Il y a assez de soldats entre nos pays. Inutile d'en mettre entre nous. Chacun ici sait à quoi s'en tenir. Vous êtes un invité, pas un prisonnier.

— Je vous remercie de cet accueil, Votre Altesse. L'empereur sera ravi des bonnes dispositions de votre royaume envers Zenagon. Les querelles doivent cesser entre nous.

Il me fit tourner. La surprise m'évita de retenir le rire qui me brûlait la gorge. Qualifier une guerre de "querelle" était osé.

— Quelle merveilleuse perspective, monsieur l'ambassadeur.

Il me ramena à lui et colla ses lèvres contre mon oreille. Mes joues s'enflammèrent.

— Retrouvez-moi dans le jardin à minuit, nous pourrons discuter de la paix entre nos pays.

Il me prenait vraiment pour une cruche. Je jouais donc les idiotes.

— J'en serai ravie, monsieur l'ambassadeur, mais autant le faire immédiatement.

Je battis innocemment des cils avant de désigner les chaises disposées dans la pièce. Il balaya l'assemblée du regard. Puis il sourit, posa sa main sur ma joue et se pencha. Son souffle chatouilla mon cou.

— Il y a trop d'oreilles indiscrètes ici pour parler d'une alliance. Mieux...

— Toutes mes excuses, monsieur l'ambassadeur. Je vais vous demander de vous éloigner de la princesse.

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