Chapitre 2: "Funérailles de cagots", Relique-mémoire (2/2)

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Tandis que les couloirs marbrés se vidaient de leur population, un homme, ou plutôt un elfe, se présenta dans les ailes royales après la cérémonie d’adieu au Roi. Une sagesse ancestrale brillait dans ses iris alors que les affres du temps n’avaient aucune emprise sur lui, il arborait cette beauté sans âge caractéristique de son espèce ainsi qu’un charme naturel qui lui valait des sourires et des regards affamés de la part de certains passants. Son visage anguleux était habillé de deux petites oreilles s’achevant en pointes aussi blanches que la craie et son regard, d’un bleu azur profondément étrange, ne déviait de sa trajectoire que pour saluer ceux qui lui présentaient leur hommage. Impossible de trancher entre qui de son allure prestigieuse et de son imposante aura illuminait les sombres couloirs du palais. Une longue tunique argentée, dont la matière partageait la brillance de la soie et le toucher du daim, seyait son buste par-dessus des manches en laine turquoise. Le bas du vêtement avait une découpe en triangle et se scindait à l’oblique des genoux jusqu’à la hanche droite, découvrant alors un cortège d’impressions dorées sur un pantalon en laine couleur lilas. Une large ceinture, composée de nombreuses couches de tissus plus colorés les uns que les autres, ajoutait du relief à l’ensemble. De fins rubans noirs coiffaient discrètement sa très longue chevelure grise et soyeuse afin de dégager son front, deux fines tresses tombaient sur chacune de ses tempes. Des souliers, complexes et ouvragés, grimpaient en lacets filiformes telles des lianes dorées le long de ses fins mais puissants mollets. Sa démarche silencieuse, jusque là sûre et légère, devint rigide lorsqu’il trouva l’objet de sa quête : les deux futurs prétendants au trône.

Ils n’avaient point perçu sa présence, ce pourquoi ils poursuivirent leur conversation. La distance n’affecta pas sa perception, il écouta donc volontiers et sans remords leur discussion houleuse.

— Les Anciens... Le pire des fléaux. Ces fichus sorciers se sont évaporés ! De la Tour du Sud ne reste que des ruines fumantes. Ils ont tout détruit avant leur départ.

— Ont-ils quitté le pays ? s’enquit immédiatement Egarlyah.

— Je l’ignore...

— Tous des incapables ! Mais pour quelle raison les paie-t-on, ces espions ? On ne peut être bien servi que par soi-même ! Je...

En déviant son regard car la vue de son frère l’insupportait, elle rencontra les iris azur et moqueurs de l’elfe qui se tenait à l’entrée de la pièce. Grand et élancé, il avait les bras nonchalamment croisés tout en se joignant à eux. De sa surprise, elle ne montra rien et se contenta de lui décocher un ravissant sourire. Quant à Exhares, décontenancé, il en oublia de le saluer comme il se devait. Alors qu’ils lui avaient présenté leur respect, il leur répondit d’un hochement de tête presque imperceptible.

— Je ne voulais point vous interrompre. Continuez, donc. Le sujet me semblait saisissant !

La voix de l’elfe était ample et son intonation allègre, voire caustique. Un superbe accent enrobait chaque mot de la langue commune qu’il prononçait.

— Tray’Ell-andar, soupira le cadet d’un air faussement enjoué. Que faites-vous là, cher ami ?

Sans jamais se défaire de son sourire narquois, l’elfe répliqua :

— Avez-vous mentionné des « Anciens » ? Les Dearth ? ceux-là mêmes qui ont introduit la magie au sein de vos royaumes ? Êtes-vous entrés en conflit ?

— Vous vous montrez bien curieux, Seigneur de la Sylve. Par ailleurs, ne pensez-vous pas qu’il est dangereux de s’aventurer sans votre Garde ? Fut une époque où ces couloirs étaient synonymes de sûreté mais, aujourd’hui, eh bien... vous avez vous-même assisté aux funérailles. L’ambiance y était plutôt tendue, répliqua Egarlyah afin de détourner son attention.

— L’oisiveté ne fait point partie de mes habitudes, me reposer sur autrui encore moins. En l’occurrence, ces couloirs n’ont jamais eu de secret pour moi, vous ne l’ignorez pas. Et je suis très capable, rassurez-vous ! Tant de sollicitude me touche mais prenez garde, elle peut être porteuse de rides et autres joyeusetés de la vieillesse. Ménagez-vous donc.

Son sourire s’accentua. C’était mesquin, et cela l’amusait. Par tous les moyens, Egarlyah cherchait à conserver sa jeunesse. Exhares semblait lui aussi hériter de cette obsession, mais elle était plus virulente chez son aînée. Maître de ses émotions, Egarlyah arbora un sourire de façade. Avant qu’elle ne puisse répliquer, Tray’Ell avait déjà pris les devants.

— Allons, dites-moi tout. Nous sommes de vieux alliés, après tout. Laissez-moi deviner, hm... Ah, je sais ! N’y aurait-il pas un rapport avec cette guerre soudaine dont vous avez fait l’annonce lors des funérailles ? Est-ce pour cela que vous désirez retrouver les mages ? Cette menace est sans doute difficile à éradiquer pour qu’ainsi vous remettiez votre sort entre leurs mains.

— Pourquoi vous intéressez-vous tant aux Anciens, Aen-ataar ? demanda la jeune femme tout en usant d’une marque de respect afin de flatter l’elfe.

Il sourit franchement cette fois, dévoilant une parfaite dentition à l’exception des canines plus imposantes que la norme. Egarlyah ne put contenir son malaise partagé avec son cadet.

— Des mortels, dans une course vaine contre le temps, en quête d’immortalité, de la vie éternelle... Dans un tel aveuglement, qu’ils précipitèrent leur propre fin. Ils m’ont toujours amusé, ces vieux Dewin, prolongeant sans cesse leur misérable vie jusqu’à l’épuisement.

Tray’Ell les fixait à tour de rôle alors qu’il prononçait ses mots. Il n’était guère difficile de saisir qu’ils leur étaient adressés.

— Allez-y, moquez-vous de nous, pauvres mortels, alors que les dieux vous ont offert la vie éternelle sur un plateau d’argent. Vous, elfe sage, depuis combien de siècles errez-vous sur ces terres ? lança Egarlyah d’un ton qu’elle voulait rieur.

— Il faut bien que je m’amuse de temps en temps ! Esclave du devoir, je médite tant sur de sérieux sujets qu’il m’est rare de lâcher prise, hélas.

— Un elfe se doit d’être sérieux en toutes circonstances, voyons !

L’elfe reprit son sérieux de façon si abrupte qu’Egarlyah était persuadée de l’avoir offensé, mais elle saisit. Le regard froid comme l’acier qui la scrutait était plein de promesses, nul besoin de paroles. Il avait lu en eux comme dans un livre ouvert, ils avaient été démasqués comme des débutants. Tandis qu’elle tentait de garder contenance à travers les œillades furtives qu’elle échangeait avec son cadet, l’elfe ne montrait que sérénité et calme.

— Eh bien, je m’attarde bien trop, moi qui devais simplement vous prévenir de mon départ et vous saluer !

— Oh vous nous quittez déjà ? Pourquoi s’être déplacé pour si peu, Aen-ataar ? C’est trop d’honneur que vous nous faites.

— Vous êtes les derniers à partager son sang, il me fallait ressentir une ultime connexion avec son héritage. Une affaire urgente requiert mon attention, je dois retourner auprès des miens. Je vous remercie pour votre hospitalité. Thaellin’thil*, salua-t-il sans attendre qu’ils achèvent leur révérence.

— Il sait, siffla Egarlyah entre ses dents, les yeux plissés.

— Comment a-t-il...

— Peu importe ! le coupa-t-elle. Il est hors de question que cela remonte jusqu’à l’Assemblée ! Fais-le disparaître, ainsi que toute sa descendance. Que ça nous évite une vengeance future.

Exhares acquiesça aux ordres de sa sœur et quitta la pièce à son tour. Egarlyah observait désormais le paysage émeraude par l’énorme balcon de la chambre, cette dernière ayant autrefois appartenu au roi.

***

*Nous nous reverrons.

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