Chapitre 3: "Derniers adieux", Relique-mémoire

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« Sceau en forme d’une fleur à trois tiges, légèrement effacé et sans doute posé à la hâte.

Roi de la Montagne Blanche, Gardien des Vallées boisées, guide du peuple Mada et père de Septërys. Vous avez porté tant de noms et tous, même réunis, ne peuvent rendre gloire à l’Homme de légende que vous avez été. Ephyr le Grand, nous tous qui avons servi à vos côtés porterons votre souvenir jusqu’à la fin des temps et au-delà. Nous vous devons la paix ainsi que toutes les valeurs que porte et prône fièrement notre peuple aujourd’hui.

Votre mort et votre souffrance ne resteront pas impunies, même si pour cela je dois périr, arme au poing. Je le jure aujourd’hui, jusqu’au jour de ma mort. À jamais mon roi, l’unique à qui j’ai prêté allégeance. Je servirai votre lignée même dans l’au-delà, je vous vengerai et les faucherai. J’abreuverai ma lame, qui était, qui est et qui sera toujours vôtre, de leur sang infâme jusqu’à la rouille. De la lance de la Justice, j’empalerai la chair corrompue de ces maudites créatures. Que leurs tourments soient éternels car leurs mains souillées vous ont arraché la vie.

Soyez en paix. Votre épouse est en lieu sûr, aux mains des Anciens, comme vous le désiriez. Sachez que tant que perdurera votre sang, je brandirai ma lame.

Que votre âme rejoigne vos ancêtres, qu’elle repose en paix dans les vallées boisées de l’Arbre Immortel,

Mon frère »


Dans les contrées de Septërys, il était coutume, à condition d’être riche et instruit, de s’épancher sur une feuille parcheminée en acanthys afin de faire ses adieux aux défunts. La rugosité de la plante, qui était une denrée rare, rendait l’écriture difficile mais son utilité résidait surtout dans ses propriétés mystérieuses et sa combustibilité quasi instantanée. Cette curiosité de la nature avait toujours tissé un lien étroit avec les morts, aussi loin que les Septëriens se souviennent.

Déterminé, Haghar se rendit une dernière fois à Walleroy, ou Valléroix en langage commun, la célèbre cité des monarques. Avec la ferme intention d’Embraser l’adieu aux pieds d’Ephyrast le Grand, il se jetait ni plus ni moins dans la gueule du loup et il le savait. Mais loyal comme il était et au-delà de son désir d’offrir de véritables adieux, le guerrier était persuadé que de cette manière il libérait l’âme de son roi de ses obligations inaccomplies et volontés inassouvies. Il avait habillement infiltré la basse-ville, le plus bas niveau de la cité, à l’aide d’un palefrenier encore fidèle à la bonne cause.

Et sans tarder, il se mêla à la dense cohue qui animait le Marché des pendus ; ce dernier tristement célèbre pour l’énorme potence en son cœur ainsi que les exécutions particulièrement barbares qui avaient lieu pendant son déroulement. Des cadavres ballottaient au gré du vent dans une danse macabre rythmée par l’écho enjoué de luths et des tambours. Une chaude brise, annonçant une pluie future, transportait les émanations de décompositions sur la populace visiblement bien accommodée. Chacun vaquait à ses occupations sans prêter attention à l’étranger, faisant des achats, vendant des potions faussement miraculeuses, du poisson, de la viande faisandée, du pain et des viennoiseries fraîchement cuites. Par-ci par-là s’accumulaient des braconniers et bouchers au cœur d’échanges houleux. Certains en pleine éviscération de leurs carcasses et bêtes tout juste obtenues, jetaient sans aucune gêne leur déchet sur les manants et malheureux passants.

Cette combinaison d’effluves flanqua la nausée au guerrier, ce dernier habitué à l’air pur des bois qu’il venait de quitter. Jouant des coudes, il s’empressa de traverser la foule afin d’atteindre l’entrée des égouts. Ni sa sombre cape, grise de poussière, ni son impressionnante carrure ne dissuadèrent les mains avides et baladeuses des voleurs du coin. Il secoua la tête sous sa capuche alors qu’ils repartaient bredouilles. Ne ralentissant guère sa cadence, il emporta dans son élan plusieurs mains et bras, certains pris au piège de ses poches profondes d’autres entortillés dans sa cape en haillon. Un vif rictus fendit ses lèvres face au comique et ridicule de la situation.

Lorsque certains curieux passants osaient aventurer leur regard sous sa capuche, ils détournaient les yeux aussitôt, pâlissant comme s’ils avaient contemplé la pire des monstruosités. L’horrible balafre qui lui tordait le nez à l’oblique, de la tempe gauche jusqu’au menton, était à l’origine de leur peur et dégoût. Quelques mèches poivre et sel se rebellaient sur son front déformé par son expression austère. Pourtant bien loin de la foule, l’odeur pestilentielle persistait. Mais le pire était encore à venir, entre le doux parfum des égouts et l’appréhension quant au secret du passage dérobé, Haghar était incapable de déterminer l’origine de sa nausée. Mais par-dessus tout, la colère était la plus dure à contenir. À travers la vengeance qui se miroitait sur chaque soldat qu’il apercevait, l’appel du sang se faisait de plus en plus entêtant, omniprésent. Ses veines pulsaient avidement, son liquide vital bouillant sous sa peau telle de la lave. Au bout des doigts, des picotements s’intensifiaient, l’incitant à empoigner la garde de la lame dissimulée sous sa cape. La vue d’une patrouille au loin alors qu’il rejoignait la surface n’arrangea rien à ses pulsions meurtrières.

Depuis la mort du roi, tout n’est que corruption... Tous ont revêtu la couleur de l’ennemi, sans exception.

Ses yeux injectés de sang observaient scrupuleusement l’environnement tandis qu’il remontait son écharpe noire sur son nez. Regarder ces traîtres à son roi déambuler et porter le vermeil le mettait hors de lui. Serrant à s’en faire mal, à s’en blanchir les phalanges, chacun de ses muscles était tendu au possible. Il devait partir de là avant de commettre l’irréparable, et vite. Il suintait la colère par tous les pores de la peau, regrettait sa chère claymore et son fidèle bouclier argenté que nul ne pouvait braver. Mais malheureusement, dans de tels apparats, il n’aurait pu traverser les premiers remparts sans être intercepté.

Il pleuvait désormais des cordes sur la cité, une couverture parfaite pour lui. Il poussa prudemment le grillage avant de s’aventurer hors des égouts, inspira avidement l’air frais de la surface avant de bifurquer sur sa gauche, longeant les murs dans l’ombre. Il poursuivit sa progression jusqu’à destination, mais ne put toutefois s’en sentir soulagé, un mauvais pressentiment quant à son infiltration sans accroc lui hérissait les poils. Les catacombes royales semblaient désertes qui plus est, mais peu importait, Haghar devait saisir sa chance et ne pas s’attarder.

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Un vaste portail en ivoire de cinq toises de haut se découpait dans un édifice tout à fait particulier de par ses murs en granit noir. Une scène de bataille épique sculptée de créatures fantastiques en abondance, dont se distinguaient un immense dragon et un griffon, s’étendait sur la moindre parcelle d’ivoire. L’ensemble était scellé par un symbole éthéré : au cœur d’un cercle blanc se mouvait un chêne blanc au tronc démesuré. Lorsque sa main entra en contact avec la surface des portes, Haghar ne put réprimer un frisson violent.

Aussi froides que la mort qu’elles abritent...

S’alignant religieusement, un brasier aux flammes bleues à leurs pieds, d’innombrables statues étrangement réalistes en pierre noire polie s’élevaient fièrement. Deux puissantes lueurs telles deux étoiles solitaires harponnèrent le regard du guerrier, elles bravaient l’obscurité que les brasiers perçaient à peine. Il s’agissait de la dernière idole en date représentant Ephyr à la perfection. Un lourd mal-être s’empara de Haghar car devant lui se tenait fièrement la dépouille de son roi devenu aujourd’hui un amas rocheux ébène. Le soldat soutenait ce regard pénétrant en grimaçant, il avait toujours été révulsé par ce rite étrange qui figeait les sangs-royaux dans une immortalité de pierre. Pétrifié dans une posture digne, Ephyr enfermait la garde d’une pâle copie de son épée entre ses puissants poings. Le vieux guerrier avait cette mauvaise impression que la statue le suivait du regard et malgré cela, il approcha son brasier afin d’y jeter pieusement ses adieux qui s’embrasèrent aussitôt, d’abord léchés puis dévorés par les flammes bleues. Hypnotisé par les volutes dansantes, il fut surpris par une douce chaleur qui étreignit ses épaules. Étrangement elle lui rappelait une présence familière, il ressentit soudain le besoin de regarder la statue. Haghar se risqua à croiser le regard avec ces curieuses lueurs plus persistantes qu’avant, il avait un mauvais pressentiment, un pincement au cœur. Son imagination lui jouait sans doute des tours, ou alors était-ce son manque de sommeil ?

Que se passe-t-il ?

Son seigneur n’était plus, tentait-il de le prévenir depuis l’au-delà ? Mais les morts jamais ne communiquaient avec les vivants, c’était de notoriété publique - nécromancie exclue. Impossible.

Alors qu’il se détournait de la statue, un grand fracas suivi d’échos métalliques lui vrilla les tympans. Les puissantes portes cédèrent violemment aux coups de pieds démesurés qui les percutaient. Une vague de soldats aux armures rouges se déversa par l’entrebâillement, manifestement trop impatients. Les catacombes formaient un immense labyrinthe dans lequel Haghar aurait pu se dissimuler, mais il n’était pas homme à fuir. Et curieusement, il était serein depuis cette étrange étreinte. Son unique pensée allait à son roi.

— N’avez-vous aucun respect envers les morts ?

— De vos coutumes, je n’en ai rien à faire, Fer-Bras ! annonça un homme à la barbe épaisse et à l’armure en acier vermeil.

Un accent rude engloutissait ses mots. Il n’était certainement pas du continent considérant sa maîtrise du langage commun peu convaincante. Il esquissa un sourire mesquin à la vue de la balafre qui déformait le visage de Haghar, mais surtout la cicatrice lui encerclant le cou d’une oreille à l’autre.

— Je vois que tu portes fièrement notre souvenir !

Haghar porta instinctivement la main à ses vieilles blessures, pourtant cicatrisées. Il avait l’impression de sentir la froideur de l’acier lui rompre à nouveau la chair avec une lenteur cruelle. Il déglutit.

— Ce n’était pas prudent de vous aventurer dans la capitale, vieil homme ! J’étais certain que vous ne pourriez quitter votre souverain sans un ultime adieu. Prévisible. Cette coutume stupide vous aura coûté la vie.

Il amorça un geste de la main droite, l’un de ses hommes sortit du lot, prêt à en découdre avec Haghar. Ce dernier, nullement impressionné, répliqua d’un ton calme et posé.

— Tuez-moi. Je ne vous dirai rien.

— C’est ce que l’on verra, annonça l’homme à l’accent marqué, son regard chargé de sombres promesses.


***

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