Chapitre 4(4/4) : Le trio infernal

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Déterminé, Hèros pressa le pas, donna des ordres par-ci et par-là afin de dépêcher la roche, insistant plus que de raison sur la fragilité de cette dernière et menaçant de sanctionner quiconque aurait le malheur de la briser. Lorsqu’il parvint à l’infirmerie, il s’installa confortablement sur une chaise alliant osier et frêne et discuta un moment avec une menue donzelle rousse qui lui faisait les yeux doux. Elise observait la scène en faisant la moue, elle percevait à peine leurs voix. Sa frustration découlait autant de son incapacité à quitter le lit que de l’absence d’intérêt dont faisait preuve son ravisseur à son égard. Elle ne put réprimer un soupir à fendre l’âme qui ne manqua guère d’attirer l’attention du jeune Hèros, mais presque aussitôt il s’en désintéressa au profit de la guérisseuse. Il s’était fièrement dressé, offrant son dos à la rouquine qui semblait prendre un malin plaisir à le tripoter par-dessus son armure. Des cliquetis métalliques sourds parvinrent aux oreilles de la jeune femme, attisant davantage sa curiosité. La guérisseuse, minaudant malgré sa concentration, s’appliquait d’une main experte à débarrasser Hèros de sa lourde armure. Ce dernier s’affaissa sur lui même à de nombreuses reprises afin de lui faciliter l’accès à certaines jointures hors de sa portée, insistant à porter les plus lourdes pièces de son buste argenté avant de délicatement les déposer sur une longue table vide. Lorsque Hèros ôta sa plus importante protection, on découvrit une première couche de cotte de mailles puis une chemise en lin très seyante déchirée par endroits. Maculé de poussière et de sang, le tissu imbibé de transpiration moulait son torse et ses biceps saillants.

Et ce n’est pas pour te déplaire, perverse.

— Seigneur ! vous êtes blessé et contusionné ! Il est de mon devoir de vous soigner ! s’exclama la guérisseuse d’une voix fluette et mielleuse, lançant des œillades aussi pleines d’assurance que de lubricité. Désirez-vous une nouvelle tunique, Ser ? Ou un bain au thym ? Je peux vous en préparer un, vous vous y prélasserez le temps qu’une nouvelle chemise vous soit apportée ! Je prendrai soin de ne point frotter vos blessures fraîches, cela va de soi. Je suis aussi délicate qu’experte...

Le jeune elfe repoussa poliment ses avances et à l’exception des soins qu’elle lui prodigua de suite, tout sourire disparu. Sa chevelure de feu ne suffit point à dissimuler la rougeur de ses joues, cramoisies par la honte et la frustration d’avoir été éconduite. Une fois son travail achevé, elle le salua respectueusement et vaqua à ses occupations. Hèros passa sa vieille chemise sur ses nouveaux bandages qui lui enserraient solidement le buste et l’épaule gauche, se débarrassa promptement de ses genouillères et jambières avant de les poser avec le reste de l’armure. Une autre jeune femme vint à lui lorsqu’il l’interpella, elle zieutait le métal d’un œil inquisiteur, mais ne croisa jamais le regard de l’elfe. Elle écouta attentivement sa requête.

— Faites porter cela au forgeron du terrier. Ne la portez pas vous-même, ni à plusieurs. Quémandez de jeunes écuyers ou des servants. Cette armure doit être réparée, remise à neuf et doit être envoyée aux réserves afin qu’elle soit attribuée à une nouvelle recrue.

— Oui, messire. Il sera fait selon votre volonté.

Sans attendre, cette dernière se précipita vers la sortie dont la porte était maintenue ouverte à cause des va-et-vient du personnel. Elise fut prise de court lorsqu’elle croisa à nouveau le troublant regard d’acier de l’elfe ; il la fixa sans détour et l’approcha.

— Vous pouvez être serviable et charmant, quand vous le voulez. Vous le cachez bien, sous votre air exécrable.

Cinglante, directe et précise. Sa voix trembla à peine lorsqu’elle envoya sa pique. Hèros esquissa un demi-sourire, les yeux pleins d’espièglerie.

— Vous nous observiez ? J’ai à ma botte une chétive espionne, il semblerait. Sachez, cependant, qu’il est bien plus pénible d’être gentilhomme face à une espèce de furie, cheveux ébouriffés, empêtrée dans le branchage et la terre. Votre accoutrement n’appelait guère à la sympathie, je vous aurai volontiers prêté un miroir à cet instant, vous me pardonneriez aussitôt pour sûr !

— Je n’ai rien d’intéressant à faire, alors oui. Je vous observais, je vous regardais agiter votre musculature luisante sous le regard dévorant de cette pauvresse affamée. Vous êtes un monstre, monsieur ! Vous n’avez rien d’un gentilhomme. Et je vous tiens personnellement responsable, Ser Hèros, de mon état aussi passé qu’actuel ! Ça n’était rien de mon fait et je peine encore, d’ailleurs, à croire que tout cela est réel...

— Je peux, en tout cas, constater que vous sortez progressivement de votre état de choc et que vous vous exprimez plus librement, répliqua-t-il simplement, amusé par cette jeune femme qu’il découvrit pleine de surprise.

— Qu’êtes-vous revenu faire ici ? Je croyais votre temps précieux ! Et ne me faites guère croire que l’état de ma santé vous préoccupe, répondit-elle, toujours sur un ton sarcastique.

— Une langue de vipère doublée d’une rancunière à la mémoire aiguisée, me voilà bien servi. Je vous préférais assommée et engourdie, répondit l’elfe en soufflant du nez. Vous dites vrai, votre état m’importe peu. C’est à la demande d’un ami que je suis venu vous quérir. Vous allez rencontrer celui qui a déclenché le processus de votre recrutement.

— Vous n’êtes pas responsable ?

— Non, je ne suis point mage ! Il est manifestement urgent de parfaire votre culture et éducation ! Nous verrons cela lorsque Valence vous aura examinée.

Ses derniers mots moururent entre ses lèvres alors qu’il observait hébété les nouveaux arrivants ; un groupe de soldats disciplinés était entré dans la pièce tel un seul homme, s’était dispersé méthodiquement avant de s’immobiliser, arme au poing, ras aux murs. La large bandoulière d’un bleu régalien que croisait leur armure argentée rappela Hèros à l’ordre : il s’agissait de la Garde royale. Il ne comprenait pas : que faisaient les sangs bleus ici, au sein de l’infirmerie ? Ils n’y avaient jamais posé pieds, lieu trop indigne pour accueillir Leurs Majestés. Curieux, mais aussi légèrement inquiet - ignorant cependant la raison de cette appréhension soudaine, il tentait de deviner qui des triplés allait passer l’entrée. Sa surprise fut totale lorsqu’il vit apparaître à l’encadrement de la porte les trois régents, droits et fiers, le port altier. Elise, perdue, regardait Hèros écarquiller les yeux et cela donna naissance à une angoisse ancrée qu’elle venait à peine de chasser. Avec méfiance, elle les observait, eux et leurs atours colorés, leur beauté froide et leur expression hautaine et vindicative. Un vif coup d’œil aux alentours suffit à la convaincre de leur prestige indéniable : tous s’étaient agenouillés, avaient cessé leurs activités et s’étaient murés dans le silence complet. Comme si le temps s’était arrêté.

Lors de leur première rencontre, Elise était persuadée d’avoir décelé de la froideur dans les yeux de l’elfe, mais en vérité, elle apprit bien assez tôt à faire la différence entre la nonchalance et la véritable indifférence ; car les yeux qui la toisaient sans détour lui firent froid dans le dos. Des yeux d’un bleu glacial et pâle, à l’affût tel un prédateur. Il avait ouvert le second cortège : De grande taille, une carrure, qui dissuaderait plus d’un combattant, encadrée et soulignée par un veston en velours noir boutonné à gauche ; ce dernier surmonté d’une épaulière dorée en forme d’aigle aux ailes étendues. De cet ornement magnifiquement facturé s’échappait une longue cape satinée aussi sombre que les plumes d’un corbeau. Seul un pantalon en daim près du corps, de couleur moka, brisait la noirceur de son élégante tenue. Une chevelure auburn disciplinée si sombre qu’on pouvait la croire ébène gouvernait sa tête et son menton, à la base marquée et géométrique, était fraîchement rasé. Sa beauté n’avait rien à envier à Hèros, même si Elise avait déjà sa préférence. La jeune femme percevait chez cet homme de la malignité, et quelque chose d’autre qui restait indéchiffrable. Dans tous les cas il ne lui inspirait guère confiance ni lui, ni les deux autres dont il partageait les traits sans pour autant en être la parfaite copie. Hèros en oubliant ses manières s’était maladroitement dressé.

S’écartant de la couche de fortune, il fit volte-face aux arrivants avant de procéder à une révérence qui sembla heurter sa fierté.

— Vos Altesses ? interrogea Hèros sans le vouloir, son intention de départ étant de les saluer .

Une voix austère répliqua aussitôt.

— Qu’avons-nous là ? demanda le jeune homme, sans se départir de son regard inquisiteur à l’intention d’Elise. Relevez-là, ordonna-t-il aux gardes dans son dos sans leur accorder le moindre regard.

Ses derniers s’appliquèrent immédiatement, empoignèrent la jeune femme sans délicatesse et la dressèrent de force sur ses jambes flageolantes. Elle les gratifia d’un regard noir alors qu’elle se débattait afin d’échapper à leur ferme poigne.

— Lâchez-moi ! Je peux tenir seule, grogna-t-elle, presque en feulant.

— Eh bien, eh bien ! C’est que cela se défend ! De plus en plus intéressant.

Il esquissa un geste de la main plein de nonchalance et les gardes s’éloignèrent d’Elise à distance raisonnable. La jeune femme souffrait terriblement du poids qui faisait pression sur ses jambes mais elle n’en montra rien, figée dans une expression crispée qui se voulait fière. Son curieux visiteur s’amusait de la situation. Elle était persuadée qu’il se moquait d’elle et de sa modeste tenue, de ses jambes éraflées et enflées par les bleus et contusions, de ses cheveux en pagaille et sales. Prise de froid, elle se frictionnait les bras dans l’espoir de s’échauffer.

— Mais qu’est-ce que c’est ? Un lutin difforme ? ou peut être un gnome, ou un mélange des deux ? siffla une voix féminine sur un ton cassant, avec un quelque chose de désagréable en son timbre.

L’unique femme du trio s’avançait, observait et jaugeait avec mépris la jeune femme qui lui faisait face. Il n’y avait ni curiosité ni bonté dans ses yeux et ses fines lèvres pincées en disaient long sur ses pensées. Sa chevelure lisse et attachée en une sévère queue de cheval était plus claire que celle de ses jumeaux et ses yeux de la même teinte, plus sombres cependant. Elle était vêtue d’une armure dorée, presque identique à celle de l’elfe. Monacale et rigide, sa posture la rendait encore moins sympathique et cela malgré la beauté de son visage fin aux traits délicats. Cette chose au cœur de l’attention lui faisait perdre son précieux temps et elle ne se priva pas de l’exprimer.

— Débarrasse-t’en, Lins. Je n’ai que faire de cela dans mon armée. Les recrues, ce n’est pas ce qui manque.

Sa voix portait loin, cinglant le silence de la pièce.

— Notre armée, corrigea-t-il.

Après quoi, le prince l’ignora alors qu’il amorçait une lente démarche autour de la jeune Elise. Il la toisait de haut en bas, la fouillait méticuleusement du regard.

— Chétive. Petite. Musculature presque inexistante. Ossature fragile, hum. Peau sensible et facilement marquée, soupira-t-il en chuchotant, s’adressant davantage à lui-même qu’à autrui.

— Quel piètre présent as-tu reçu, cher frère, lança sa jumelle d’un ton sardonique et fielleux.

Celui-ci lui lança brièvement un regard peu amène avant de rediriger son attention vers la jeune femme.

— Je doute que les Anciens m’aient offert un cadeau indigne de ma personne. C’est une évidence : son cas nécessite assurément une Renaissance afin d’en exploiter le plein potentiel. Ton intelligence deviendrait-elle défectueuse, chère sœur ? Il est vrai que tu ignores tout de la magie. T’expliquer ses principes serait un gâchis aussi vain que verser de l’eau dans le sable.

Renfrognée, elle le fusilla du regard avant de s’accrocher au ceinturon ainsi qu’à la garde de son épée.

— Je te laisse toi et ton simplet. J’ai des choses urgentes à faire.

Et sur ces mots, elle tourna les talons, suivie de près par une partie conséquente de la Garde royale. Ce fut autour du dernier de la fratrie d’intervenir. En apparence, il semblait plus accessible que son frère, il dégageait une aura chaleureuse mais ça n’était qu’une façade, dissimulant sa personnalité turbulente et fort changeante, voire capricieux. Bénie, Elise eut la chance de profiter de son moment de bonne humeur. Son sourire était radieux, mais difficilement sincère. Ses expressions faciales très éloquentes creusaient davantage le fossé qui le séparait de son jumeau, ne laissant aucun doute sur leur identité propre. Sans oublier ses cheveux au creux du cou, que Lins portait au ras du cou. Il avait lourdement apposé un bras puissant sur l’épaule de son frère, l’entravant dans sa marche de l’inspection.

— Voici Lins, et la furie qui vient de nous quitter n’est autre que la princesse Elaer. Je réponds au nom de Syclone, et pour le bonheur de mesdames je n’en porte pas que le nom.

Une moue plus que suggestive accompagnait ses paroles. Elise, répugnée par ses trois phénomènes, déglutit difficilement. Le seul qui faisait preuve de sympathie, était également le plus inquiétant.

Elle se promit intérieurement de se tenir le plus loin possible de ces énergumènes, ils sourdaient de danger de la tête au pied.

***

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