Après la fête, la défaite !

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L’enveloppe ne comportait que mon nom écrit en lettres rondes et soignées. Pas d’adresse, de timbre, aucun signe permettant d’identifier l’auteur de cette missive.

Je ne me faisais pas d’illusion sur son contenu. La veille, j’avais fêté mes quarante ans dans une débauche de décibels peu compatible avec la tranquillité habituelle de ce quartier cossu. Mon voisinage immédiat était composé de quatre maisons cernées de chênes et de saules. Dans un rayon de deux cent mètres, j’avais le choix entre un président de tribunal de grande instance, une famille intégriste affligée de lapinisme aigu -neuf mouflets au dernier recensement-,  un directeur de banque et un écrivain renommé que je n’avais jamais croisé.

Malgré mon mal de crâne, je rassemblai mes derniers lambeaux de courage et déchirai l’enveloppe d’un coup sec. Engueulades et huile de foie de morue, même combat : autant finir au plus vite.

Je parcourus rapidement le début du texte.

Première option : un idiot avait glissé des cachets dans le goulot de ma bouteille de vodka et je dormais encore. Deuxième option : Éric et Paul perpétraient une blague spéciale « gueule de bois et lendemain de fête ».

La cafetière émit un long soupir de satisfaction et s’éteignit. Je remplis mon bol puis contemplai, déprimé, les monceaux de vaisselle empilée sur le plan de travail. J’avalai quelques gorgées du liquide brulant.   

Je repris ma lecture.

« Cher Monsieur Destivel,

Permettez-moi tout d’abord de vous souhaiter un joyeux anniversaire. Ce courrier singulier ne manquera pas de susciter une interrogation toute légitime. Son objet est pourtant simple : vous permettre de réaliser un vœu, celui de votre choix, et un seul. Attention, vous allez renverser votre café ! »

Je redressai mon bol d’un mouvement du poignet puis regardai à nouveau la lettre, stupéfait. La phrase avait disparu. Je poursuivis ma lecture, subitement dégrisé.

« …celui de votre choix, et un seul.

Les restrictions d’usage comportent les désirs d’immortalité (il ne faut pas rêver, quand même), les remboursements des services fiscaux (trop compliqué), la paix dans le monde et autres utopies béni-oui-oui (je ne vais pas faire tout le boulot). Si vous restez dans les limites de l’acceptable, soyez assuré de ma pleine et entière coopération.

Mes références sont nombreuses et je peux m’enorgueillir de succès conséquents auprès de requérants plus ou moins célèbres (Neil Armstrong, Edmund Hillary, Louis Napoléon-Bonaparte, Bernadette Michalon, Bill Gates, Victor Hugo et j’en passe….).

Le protocole est aisé : avant l’heure de minuit, prononcez deux fois votre vœu à haute et intelligible voix puis  brûlez ce message.

Je vous remercie de ne pas émettre de vœu générant un doublon. Par exemple, devenir l’homme le plus riche du monde, être le premier à marcher sur la lune, réussir une bonne fois pour toute la tarte Tatin ou coucher avec Joséphine de Beauharnais sont des vœux déjà exaucés qui ne peuvent souffrir de réplique.

Vous n’êtes pas convaincu ? C’est normal, mais que risquez-vous, après tout ? Personne ne vous entendra.

Vous ne m’en voudrez pas de terminer cette lettre par un ultime avertissement. Si vous deviez évoquer ne serait-ce qu’une seule fois cette missive et son contenu avec un tiers, je mettrai un  terme à cette collaboration que je souhaite fructueuse.

Chaleureusement vôtre,

D. »

 

Ben voyons.

Il y avait eu cette phrase, sur le café. Vu mon état, rien de surprenant. Un éclair de douleur traversa mes globes oculaires. Par pitié, assez de ces mammouths parcourant mon cerveau en tous sens. Je hurlai :

« En finir avec cette gueule de bois ! En finir avec cette gueule de bois ! » puis enflammai la lettre avec mon briquet.

Le monde retrouva aussitôt sa netteté, sa simplicité. Jamais été aussi en forme.

 

Et merde.

Quel con.

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