CHAPITRE TROIS

8 minutes de lecture

Ran.

07 décembre, 2086

Temple, Minport City.

Encore tourmentée par les évènements passés d’il y a quelques heures, je marche dans la rue où la neige tapisse le sol. Je réajuste mon manteau et mon bonnet, je meurs de froid. Mes lèvres sont gercées à travers mon écharpe qui couvre ma bouche. Je dois penser à me procurer un nouveau masque, de peur que l’on me reconnaisse. Mon estomac est noué, je n’ai même plus faim. Peut-être que je devrais m’arrêter dans un hôtel, rien que pour cette nuit. Sinon, je ne vais pas survivre. Après une heure de marche, j’arrive sur la grande avenue, bien différente du quartier chinois excentré. Je ne vais jamais de ce côté de la ville, parce qu’il y a trop de monde. Et, même à cette heure-ci, malgré la neige, les rues sont encore remplies. Les contrôles de police sont nombreux et en plus, la police est réputée pour être corrompue avec les megacorporations. Bien que les Ghost agissent dans l’ombre indépendamment, ils ne se mêlent jamais avec la police et sont pratiquement ennemis.

Soudain, alors que j’erre toujours dans la rue, je me fais bousculer par un individu contre une voiture garée, ses mains me touchent les hanches.

— Allez, sors de là ! C’est pas un endroit pour toi ! s’écrie un homme habillé tout en noir avec une paire de menottes en main.

Automatiquement, je pousse violemment l’homme qui sent l’alcool contre moi, apeurée encore par les hommes qui m’ont touché un peu plus tôt. Il s’écroule à terre.

— Fais attention où tu marches ! reproche l’ivrogne.

Je devine que l’homme qui tient les menottes est un policier. Il a les cheveux poivrés et le teint pâle. Ses traits accentués le vieillissent encore plus. J’aperçois un second homme dans la même tenue, par-dessus son épaule. Il est plus jeune, peut-être vingt-cinq ans. Sûrement son partenaire.

— Bande d’enculés ! jure l’homme l’alcoolique.

Le plus jeune d’entre eux tient fermement la nuque de l’homme ivre et lui passe les menottes fluorescentes. Ses yeux croisent les miens. Je tourne ma tête automatiquement pour ne pas me faire remarquer.

— Vous allez bien ? demande-t-il dans ma direction.

Je l’ignore et continue mon chemin comme si de rien n’était.

— Attendez ! m’arrête-t-il en me prenant le bras, pendant que son partenaire fait rentrer l’homme dans la voiture.

Il me fait faire demi-tour et je me détache brutalement en sortant mon couteau. Je ne supporte plus que l’on pose la main sur moi. Mes yeux s’emplissent de larmes et j’attrape mal à la poitrine. Il m’observe avec ses yeux bruns, l’air inquiet et sort son arme.

— Vous saignez Mademoiselle.

Je fronce les sourcils en me demandant comment il a pu savoir que j’étais une fille, mais je me rappelle que mon visage est presque à découvert. Il montre mes lèvres en rangeant son arme et je passe ma langue sur les gerçures qui ont un goût de sang. La neige fond sur ses cheveux bruns et quelques gouttelettes habillent sa mâchoire carrée et sa barbe courte. Je hoche la tête, toujours en silence et brousse chemin.

— J’ai pas toute la nuit gamin ! Ramène tes couilles de petit merdeux ! s’exclame son partenaire.

— Attends, je procède actuellement à une arrestation supplémentaire, dit-il d’une voix grave.

Lorsqu’il prononce ces mots, je tente de fuir en courant, mais il me rattrape instantanément en me menottant le poignet.

— Je n’ai rien fait ! m’écrié-je en lui faisant face.

— Vous possédez une arme blanche, c’est interdit, assure-t-il en me menottant la deuxième main.

Je me pince les lèvres d’énervement, pendant qu’il me fait avancer en posant une main derrière mon dos que je veux éviter à tout prix.

— Bordel, pourquoi est-ce que tu ramènes une gamine ?

Je fusille du regard le vieux, il ouvre la porte pour me faire rentrer.

— Elle a un couteau.

— Tout le monde a un couteau gamin, putain, tu m’agaces à jouer les héros !

Le plus jeune me pousse à l’arrière de la voiture et je rejoins l’homme ivre. Je soupire, même si ce n’est pas la première fois que je me fais arrêter, il suffit que je leur montre mes faux papiers, comme d’habitude, ou bien, j'ai juste à les payer, ça ira beaucoup plus vite.

— On peut s’arranger, assuré-je en regardant le jeune à travers le rétro côté chauffeur.

Le vieux éclate de rire, puis il sort un récipient qui ressemble à une bouteille d’alcool. Il boit une gorgée et reprend :

— Ah gamine… t’es pas tombée sur les bonnes personnes. Ici, on ne nous achète pas.

Merde. Il se remet à rire et son partenaire démarre la voiture. Je regarde par la fenêtre la rue qui défile pendant que mon voisin ronfle et bave sur le col de son manteau. Je touche du bout des doigts la portière de la voiture, je suis sûre qu’elle est bloquée par un système électronique que je peux cracker en quelques secondes. Je tapote à travers le tissu de mon manteau, le cadran incrusté dans mon poignet afin de déjouer la sécurité.

— C’est une voiture manuelle.

Le jeune homme m’observe à nouveau à travers le rétro, et je me tends en soufflant parce que je me suis fait prendre. Encore une fois. Après quelques minutes de route, nous arrivons dans un quartier éloigné où tout est calme. Je ne me rappelle pas avoir déjà mis les pieds à ce poste de police de la ville. Un grand bâtiment, différent des tours habituelles, se tient devant moi. L’architecture ressemble étrangement aux anciens postes. Je pensais que tout avait été détruit. La neige recouvre les marches et le jeune me fait sortir de la voiture par le bras. Je regarde autour de moi, afin de chercher un moyen de m’enfuir, mais cette fois-ci, je suis réellement prise au piège. Nous passons la porte et arrivons à l’entrée où un vieil androïde nous accueille. Il doit dater d’au moins dix ans.

— Bienvenue, vous êtes bien au poste de police.

— Ferme ta gueule Gilberte ! lance le vieux, en s’adressant au robot.

L’androïde reste plantée là, comme si elle avait bogué. Elle porte une perruque blonde qui cache son crâne métallique. Aujourd’hui, les androïdes possèdent des cheveux déjà incrustés sur la tête.

La porte se claque avec le coup de vent, puis elle se rouvre en laissant entrer quelques flocons de neige. Le robot la referme. Il n’y a personne, deux bureaux sont collés face à face de chaque côté, et un bureau principal qui sert d’accueil est disposé au centre fermant le U. Je me fais emmener de force par le jeune dans une cellule qui se situe au fond de la pièce. Il libère mes mains et me pousse légèrement en fermant la grille derrière moi. Le deuxième homme est emmené dans celle d’à côté, il s’écrase au sol comme une pauvre merde. Je dévisage le jeune flic, pendant qu’il enlève son manteau pour l’accrocher au portant. Il prend place à son bureau qui se trouve perpendiculairement en face de moi et se prépare une tasse de café.

— Alors, qu’est-ce qu’on a pour ce soir ? Une petite délinquante et un ivrogne ? demande le vieux en s’asseyant lourdement sur la chaise de son bureau, à l’opposé du jeune. J’aperçois seulement le dos de sa chemise à carreaux épaisse.

Il dépose ses pieds sur la table en faisant tomber de la paperasse à terre. Puis, il sort de sa poche une cigarette et l’allume. Pas étonnant qu’ils soient incapables de protéger la ville.

— Ton nom et ton prénom, demande le jeune en posant ses lunettes sur son nez, ceux qui lui donnent un air très sérieux.

Je ne réponds pas et l’ignore. Je tente de faire semblant de pleurer pour l’amadouer et en prenant un air enfantin.

— Je n’ai… rien fait, Monsieur… mes parents vont me tuer ! pleuré-je dans mes mains en m’approchant de la grille.

— Ton nom et ton prénom, répète-t-il en me regardant avec fermeté.

Il a sûrement remarqué que je jouais la comédie. Je recule et me colle contre le mur du fond pendant qu’il boit une gorgée de son café chaud.

— Elle a l’air résistante, inspecteur Price, déclare le vieux en soufflant vers le ciel. Je te la laisse, t’aimes bien ce genre de dossier à la con.

Une plaque en métal est installée sur son bureau en bois, je peux observer « Inspecteur Adrian Price », tandis que le nom de son partenaire n’est pas visible d’où je suis. C’est plutôt vintage, je m’attendais à un hologramme comme dans tous les postes de police de la ville. Même la serrure de la prison semble manuelle. Ils vivent en quelle année, sérieux ?

— Et toi, tu devrais peut-être t’occuper du soulard, déclare-t-il en le montrant d’un hochement de tête.

— T’es vraiment rabat-joie ce soir, je vais pisser, ajoute-t-il en se levant avec nonchalance.

Il s’éloigne et se dirige vers la porte arrière. Je me laisse tomber sur le petit coussin au sol et enlève mon bonnet. De toute façon, ce n’est plus la peine de me cacher. Je passe une main dans mes longs cheveux, pendant que l’inspecteur Price me regarde avec attention. Il ronge l’ongle de son pouce, puis il se lève et s’avance devant les grilles de la prison.

— Si tu ne me dis rien, je vais devoir te garder plus longtemps en cellule et tes parents vont s’inquiéter davantage.

Je laisse échapper un rire jaune. Comme si j’avais des parents… je n’ai plus rien…

—Snow. Anna, réponds-je en le regardant dans les yeux. Tu peux vérifier mon identité, ajouté-je en lui tendant mon poignet.

Il est évident que je mens, j’ai un palmarès de fausses identités incrustées dans mon bras que j’ai accumulé depuis des années.

— Pas besoin, date de naissance ?

Je soupire à nouveau, parce que j’ignore la véritable date. On a décidé que le jour où nous sommes arrivés avec Garçon, serait notre date d’anniversaire, c’est-à-dire le 12 juillet.

— 04 avril 2070.

Il s’agenouille pour se mettre à ma taille. Ses bras épais collent contre le tissu de sa grosse chemise bleu marine. Sa cravate noire fait contraste avec ses yeux clairs.

— Pourquoi une jeune femme comme toi traîne dehors toute seule ? J’ai l’impression que tu fuis quelque chose, demande-t-il doucement.

— On est où ? questionné-je à mon tour, je n’ai pas l’impression d’être dans un poste de police.

— Dans un poste de police, rétorque-t-il du tac o tac.

— C’est plutôt un taudis, tu veux dire ?

Il laisse échapper un rire. Un petit rictus se forme près de sa barbe.

— T’as l’air de t’y connaître en poste de police.

Je dois être convaincante, mais son ton légèrement hautain m’agace.

— Pourquoi m’as-tu arrêté ? Sérieusement, j’ai seulement un couteau pendant que des mecs comme toi, profite du système de cette ville de pourrie, soufflé-je.

Il plisse ses lèvres vers le bas, se lève et fait demi-tour.

— Dommage pour toi Snow An.na, souligne-t-il sur les voyelles. Tu vas devoir passer la nuit ici.

Je soupire, mais au fond, je suis ravie de me retrouver en prison avec un temps pareil.

— Génial, réponds-je en me recroquevillant.

J’enroule ma tête dans mes genoux et j’entends mon ventre gargouiller. La faim apparait et mon estomac se tord. Il se lève et se rassoit sur son bureau en tapant quelques notes sur son ordinateur. Quelques secondes plus tard, il verrouille l’entrée et quitte la pièce à son tour en éteignant la lumière sans dire un mot, me laissant dans le noir. Je m’allonge sur le côté, en serrant fort mon sac à dos contre moi. Tout ce que j’ai de plus cher, tout ce qu’il me reste, se trouve là-dedans et même si ce n’est pas grand-chose, au moins je sais que je peux dormir au chaud, en sachant que Garçon est toujours vivant.

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