Qui je suis.
Seul, allongé dans le noir, Blake fixait le plafond qu'il devinait tout juste grâce à la faible lueur d'un lampadaire dans la rue. Le silence. Rien que le silence.
Son corps s'agitait, secoué par des sanglots qui par moments troublaient le silence de la pièce, s'échappant malgré sa volonté de tout garder pour lui bien qu'intérieurement il n'avait qu'une envie: hurler.
Hurler sa douleur, son indignation, sa colère à cet instant précis. Son regret d'avoir parlé.
Des années de silence, de barrière mentales et morales pour se persuader d'être tel qu'on voulait qu'il soit. Parfait, pour rentrer dans des petites cases. Pour correspondre à un idéal et à cette espèce de finalité qu'on voyait pour lui. Diplômé, un jour marié, père de famille, prêt à rentrer le soir avec des dossiers venant de son boulot parce qu'il avait un poste à responsabilité. Il avait donné tout ce qu'il avait pour toujours voir ce sourire fier, ce regard bienveillant de la part de ses parents qu'il ne voulait aucunement décevoir. Pourquoi avait-il tout brisé ? Pourquoi maintenant ?
Combien d'années avait-il joué le jeu ? Cette fameuse question, " depuis quand ? ", lui-même n'aurait pas été capable d'y répondre. Y avait-il une date ? Un moment précis de sa vie où lui même s'était rendu compte que ses yeux n'étaient pas attirés par la gente féminine, mais par ses camarades du même sexe ? Non. Peut-être que dans le fond ça avait toujours été aussi évident que le fait d'aimer porter du bleu, que de détester les brocolis, que la voix qui sortait de sa bouche. C'était... Naturel ? Il n'avait pas choisi d'avoir les cheveux châtains, les yeux verts. Il n'avait pas non plus coché une case sur un formulaire pour faire le choix d'un jour être homosexuel.
Dans cette société normative, il avait pourtant compris que cette attirance pour lui naturelle ne serait pas perçue par tous comme acceptable. Pour toujours, certains diraient: " c'est dommage quand même. Un si beau garçon. " Ou encore " Tu l'aurais cru toi ? On ne dirait pas."
A quoi s'attendaient-ils ? Même pour ce qui était pourtant considéré différent, on attendait de lui qu'il corresponde à d'autres petites cases à cocher. Non, il n'était pas un cliché comme ceux qu'on montrait dans les films pour faire rire ou pour faire réagir. Et quand bien même, en quoi était-ce dommage de vouloir être heureux ? En quoi serait-ce du gâchis ?
Il était toujours le même qu'il avait toujours été, mais quand l'âge était venu de s'intéresser à l'amour, aux contacts physiques, à la tentation d'être avec quelqu'un, c'était son ami Benjamin qui l'intéressait et pas sa jolie voisine, Sophie.
Non, il n'avait jamais été naïf, depuis gamin il connaissait les insultes habituelles réservées aux gens avec les mêmes préférences sexuelles que lui : " tapette, tarlouze, lopette, tantouze " et encore bien d'autres. Jamais adressés à lui, pas avant ce jour.
Depuis cette période, il avait toujours mis cette attirance de côté, de même que toute vie sentimentale par la même occasion. Il prétextait trop de travail à l'université, ne pas tomber sur la bonne fille, quand on le questionnait inlassablement lors de soirées entre amis ou pendant les interminables repas de famille où tout le monde se réjouissait du prochain mariage à célébrer, avec ce fameux " et toi, c'est pour quand ?" Qu'on lui adressait du haut de ses 24 ans.
Même à ses amis il n'avait jamais vraiment osé le dire, à un ou deux peut être mais sans plus. Sans rentrer dans les détails. Sans parler de cette souffrance de devoir être quelqu'un d'autre par peur de l'incompréhension.
Puis il y avait toujours Benjamin, Ben, Benji... Toujours si proche, pourtant si loin. Assis côte à côte sur le canapé d'un de leurs amis, combien de fois ses yeux verts s'étaient-ils perdus sur leurs mains presque côte à côte sur le tissu gris ? Et si proche, il pouvait sentir son parfum. Boisé, mais doux. Discrètement, du coin de l'oeil seulement, il guettait les mèches brunes qui tombaient sur son splendide visage orné de deux yeux d'un bleu azur. Un bleu presque céleste, si pur, on aurait pu jurer que jamais il n'avait été confronté à la bêtise, aux horreurs commises par les êtres humains. Lui non plus n'avait pas de copine, il ne l'avait jamais vu avec une fille. Pourtant, avec ses fossettes qui se dessinaient à chaque sourire, il s'attendait à ce qu'il n'ai que l'embarras du choix. Un peu naïf peut-être, ou trop centré sur d'autres choses pour seulement voir l'évidence.
Il s'était depuis l'adolecence contenté d'être son ami, son pote, son "bro" comme il l'appelait parfois. Tous deux étaient proches, complices, toujours fourrés ensembles. Mais comment savoir, comment être sûr qu'il ne passait pas à côté de quelque chose après des années à espérer une sorte d'intervention divine qui lui signifierait que ça y est, c'était le bon moment ? Il le connaissait si bien, au pire il lui dirait que ce n'était pas son type et rien ne changerait, pas vrai ? Pas trop du moins... Une part de lui voulait se dire que leur amitié résisterait à ça. Il avait sauté le pas, venant frôler sa main avant de lui voler un baiser sur la plage proche de son appartement pendant qu'ils scrutaient les étoiles, posés dans le sable. Fébrile, tremblant, il avait posé sa main sur sa joue. Ce baiser n'avait rien d'un baiser de cinéma il était sans doute terriblement maladroit et il avait craint pendant un instant d'avoir posé ses lèvres sur son nez, mais non. C'était bien son souffle chaud qu'il sentait contre sa peau. Contre la pulpe de ses lèvres rendues roses par l'air plus frais du soir. Ils s'étaient fixés un instant, comme si le ciel venait de leur tomber sur la tête avant de partir d'un rire commun. Le brun avait passé un bras réconfortant autour de lui pour l'étreindre et le rassurer alors que Blake semblait sur le point de s'écrouler ou de s'arrêter de respirer. Il lui avait murmuré que tout allait bien. Qu'il était content qu'il ai sauté le pas. Lui aussi lui avait dit que jamais il n'aurait imaginé, bien qu'il l'avait espéré.
Écroulé à ses côtés dans le sable frais leurs mains étaient venues se rejoindre. Il l'avait écouté parler, parler, et parler encore. De comment lui percevait les choses, du fait qu'il n'avait jamais spécialement cherché à se cacher. Ses parents étaient au courant, ils n'étaient pas à 100 % avec lui prêts à lui en parler librement et sans gêne, mais ils comprenaient, et acceptaient. Il l'avait fait rêver, avec cette libération qu'il décrivait. Pouvoir être lui. Pouvoir parler de son bonheur, de ses sentiments, de ses envies pour le futur. Un jour, s'était-il promis. Un jour prochain, il oserait lui aussi. Ils étaient ses parents, pas vrai ? Ils devaient l'aimer.
Quand ils se voyaient, dans la discrétion la plus totale au départ, au cinéma quand leurs mains se rejoignaient, le sujet revenait de temps en temps. Ils commençaient également à en parler un peu à leurs amis. Certains avaient semblé... Choqués ? Interpellés ? Ils avaient toute cette façon de leur dire qu'ils avaient bien caché leur jeu. Ce terme le gênait un peu, c'était comme le traiter de menteur. Blake essayait de ne pas trop le prendre à coeur, c'était leur façon de percevoir les choses. Les garçons avaient un peu plus de mal avec cette annonce, il avait même deviné quelques grimaces à peine masquées. Cette façon que les hommes hétérosexuels avaient de penser que sous prétexte qu'ils étaient du genre masculin ils avaient déjà pu être au coeur de leurs convoitises, voir de leurs fantasmes. C'était presque risible. Il en avait plaisanté un peu, mais quelque chose semblait différent désormais ? Moins d'accolades accueillantes, quelques blagues ou questions semblant curieuses sur leur couple mais qui montraient un semblant de malaise.
Une étape après une autre, petit à petit, il devait bien avouer qu'il s'épanouissait dans cette romance qui venait apaiser ce doute dans son coeur et confirmer plus que jamais son attirance et son amour pour celui qui si longtemps avait été son ami avant de devenir une partie encore plus intégrante de sa vie. Ce bonheur pouvait-il vraiment être perçu comme quelque chose de regrettable ? De dérangeant ? Le sourire de Ben le persuadait du contraire, quand il sentait son regard tendre sur lui. Quand il le regardait comme ça il se sentait capable de soulever des montagnes, de traverser le pays pieds nus, de faire les plus grandes folies. Alors... Parler à ses parents ? Ceux qui l'avaient mis au monde, aimé, guidé, conseillé. Ceux qui avaient veillé à son bien-être et son bonheur toutes ces années, pouvaient ils vouloir quelque chose d'autre que cela pour leur fils unique ? Il avait fini par s'en convaincre, leur dire ne pourrait que combler ce creux qui restait dans sa vie. Cette part de lui, cet aspect qu'il gardait hétérosexuel. L'ami, le petit ami était gay. Le fils était hétéro. Ça ne pouvait pas durer. Il voulait se sentir légitime d'être qui il était. Il voulait l'entendre de leurs bouches. Avoir leur approbation. Alors il se sentirait assez fort pour supporter les gens dans la rue, et tous les avis contraires.
Installé sur la terrasse après une belle journée dans la maison au coeur de la campagne, il les avait observé tous les deux avant de lâcher cette information qui eut l'effet d'une bombe. Il avait regardé son père se crisper, sa mâchoire se serrant alors que sa tête se baissait vers le sol comme si la vue de son fils lui devenait insupportable. Sa mère était restée plongée dans un état de mutisme quelques instants avant que sa voix ne s'étrangle alors qu'elle lui avait demandé comment il pouvait leur faire ça. Pas un instant il n'aurait pu répondre à cette question. Cela ne les regardait pas. Ce n'était pas non plus une façon de les atteindre, de leur porter préjudice. Qu'avait-il fait au juste ? Comment est-ce que cela pouvait seulement être une accusation ? Tout s'était précipité dans sa tête, il cherchait les mots mais rien ne semblait pouvoir répondre à leurs interrogations. Rien ne semblait pouvoir apaiser leur colère et leur peine à cet instant. En larmes, sa mère semblait faire le deuil d'un fils perdu qui se tenait pourtant en face d'elle semblable à ce qu'il avait toujours été. Lui n'avait pas changé. Ne l'aimait-elle donc qu'à travers l'image qu'elle se faisait de lui ? Cette pensée avait serré son coeur douloureusement alors qu'elle rejetait la main qu'il tendait vers elle. Cette même main qu'elle avait un jour agripé avec la peur de le perdre. Elle l'avait comme toute mère mis en garde sur le mal qu'on pouvait lui faire. Ne parle pas aux inconnus. Ne suis pas quelqu'un que tu ne connais pas. Mais aujourd'hui, le plus grand mal qui lui avait été fait venait de ceux qui auraient dû le chérir par dessus-tout.
Son père lui avait soufflé de partir, sans même relever ses yeux devenus si durs et froids vers lui. Pas une seconde. Blake avait simplement murmuré le mot pardon avant de disparaître alors que la nuit tombait, tel un voile noir qui venait l'envelopper en ramenant avec lui une brise froide. Le chemin avait semblé court et long à la fois, il n'en avait même pas vraiment été conscient. Tout avait été machinal jusqu'à se retrouver dans son lit, dans cette obscurité totale avec encore ses chaussures aux pieds. Et si il avait fait le choix de ne rien dire ? Et si il les avait laissés dans l'insouciance encore, et encore, jusqu'à qu'eux même soient bien obligés de se rendre à l'évidence en ne pouvant que constater son bonheur auprès de quelqu'un de bien ? Et si plus jamais ils ne voulaient le voir désormais ? Pas de réponse, mais des sanglots. Et tant de larmes qui roulaient, pour venir se perdre et tremper son oreiller qu'il serrait avec désespoir.
La peur avait disparu, ne restaient que les questions.
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