Nouvelle 5: Cap 48
«Non, maman ne viendra pas.» Son ton est lassé comme semble l'être aussi maman.
«Maman en a assez de toutes ces conneries.»
Après cette phrase le silence s'installa dans la petite super 5 rouge. Le paysage défilait par la vitre que je ne quittai pas du regard jusqu'à chez nous. Droite comme un i , Céline tenait son volant à dix heures dix. Nous nous esquivions, évitions de s'étaler plus comme toujours avec des débats sur les responsabilités, l'avenir, blablabla. Ma sœur avait bien voulu venir me chercher. C'était déjà bien. Qui d'autre l'aurait fait...
Après ma rentrée fracassante d'Evian, je me retrouvai vite un nouveau stage pour ne pas être écartée des bancs de l'école. J'avais assez fait souffrir ma mère. Lui infliger un renvoi de l'école hôtelière serait de trop.
«C'est à deux minutes de chez toi. L'ambiance et le travail ne ressemblent en rien à ce que tu as vécu auparavant. Bien sûr, si tu as le moindre souci, je suis là pour toi».
«Merci Chef.»
Les liens qui s'étaient tissés avec mon prof de TP cuisine se renforçaient avec mon état. On l'appelait « la rouille », son nom était Rouyer, logique. Je voyais en lui comme un père que je n'eus jamais réellement. Il s'était démené pour me faire rester dans le lycée et avait largement contribué à mon insertion dans l'équipe du Sofitel-Vieux-port pour les deux mois qui manquaient à la validation de mon année de mise à niveau.
«La proximité de ton lieu de stage facilitera sans doute son bon déroulement.»
Effectivement je me remis dans le bain dès le premier jour. Accueil chaleureux, rires et blagues se mélangeaient au travail exigeant mais intéressant. Je m'y sentais bien et m'offrais en ce lieu plus qu'un travail, une convalescence.
Par la suite, j'eus tellement de bons rapports avec tout le personnel que je réussis même à intégrer ma mère dans l'équipe en tant que femme de chambres. Elle s'y plut immédiatement et s'épanouissait pour la première fois socialement...
En tous les cas je reprenais le goût de ressortir avec mes amis et de vivre mes 19 ans comme ils se devaient.
Et à cette âge là, les amours faisaient partie des amis.
A mon retour d'Evian j'appris que mon meilleur pote, Fred, mais aussi celui que je désirai plus que tout en silence, s'était amouraché d'une bonne copine.
Le coup de poignard mettait de l'hombre à ma «pseudo-thérapie».
Mélangée entre l'envie de s'en sortir et l'occasion rêvée pour se refoutre en l'air, je vivais dans un brouillard de questions sans réponse, je tombais dans un puit sans fond accusant jour après jour encore plus de blessures secrètes.
Comment pouvait-on cumuler autant d'échecs et de peines dans un seul corps et un seul esprit en si peu de temps?
Nous enchaînâmes les bringues à trois, les voyages ensembles, tout tournait autour de nous trois. L'expérience du trois dans une amitié m'a parfois montré, que, soit deux c'est mieux soit quatre. Trois ça ne peut jamais franchement fonctionner.
J'aurais voulu me tromper cette fois-ci car j'étais aveuglée par cet amour et je vivais dans l'attente d'une rupture, d'un revirement de situation.
Mais attendre c'est long, Et mon esprit ne faisait que se tourmenter et se blesser. J'avais été démasquée à force de sous-entendus et j'avais avoué à force de maladresses. Les choses ne bougeaient pas, c’était même pire.
Mon stage était terminé et je retrouvais mes potes du lycée, mon amoureux et sa chérie, dans la même classe.
Mes résultats n'étaient pas fameux et si l'amour ne réussissait pas entre lui et moi, les conneries pour autant, nous rassemblaient et nous constituaient comme un vrai couple. J'avais même mis un espoir à ce qu'il m'aime un jour grâce à cette similitude.
Bref mes résultats s'en ressentaient et je pratiquais l'école buissonnière avec une assiduité qui frisait le renvoi. Je dérapai petit à petit.
Les bringues continuaient malgré tout.On avait prévu de se voir sur Aix le temps d'un week-end.
Depuis qu'il avait eu son permis, Fred se sentait pousser des ailes!
En vrai Marseillais il exploitait le «m'as-tu vu» avec hardeur et ça lui allait à ravir. En même temps je ne lui trouvais jamais rien de mal sauf quand il buvait trop...Il m'avait mis dans la confidence que très jeune, vers les douze ans, il avait déjà fait une cure de désintoxication. J'avais été choquée ce jour là; pendant les soirées je ne l'étais plus et constatai sa facilité à ingérer des si grosses quantités d'alcool.
Le week-end s'annonçait bien, en théorie, c'est surtout ce que je m'épuisais à faire croire à toutes les personnes autour de moi. Mais la réalité était tout autre. Mon plan était déjà enclenché psychologiquement et matériellement parlant. J'avais gardé l'ordonnance renouvelable que m'avait prescrit le médecin d'Evian et avais déjà acheté mes pilules de l'oubli. «Au cas où?» m'étais-je dit.
Aix en Provence est une ville qui bouge tout le temps. Petites ruelles, restaurants tous les deux mètres, groupes d'étudiants, familles nombreuses ou couples d'amoureux naissants, la ville ne désemplissait jamais encore moins à la nuit tombée. Nous nous retrouvâmes dans un petit resto mêlant cuisine du sud,pour regrouper tous les choix proposés sur la carte, et ambiance festive. Je n'avais pas réellement faim et la boisson remplissait mon estomac plus qu'à l'accoutumé. J'étais là et pas là, obsédée par l'idée que «c'est obligatoirement mieux ailleurs». Fred et sa chérie avaient l'air d'être heureux et me jetaient de temps à autres des sourires, on parlait un moment et ils retournaient se fondre à la foule.
J'étouffais intérieurement et tel un volcan en irruption je décida de quitter les lieux et mes amis prématurément. Je récupérai les clefs de l'appartement que louait Fred qui se situait à quelques pâtés de maisons. L'excuse du bon coup de fatigue n'éveilla aucun soupçon auprès de mes amis.
Je m'éloignais d'eux sans me retourner. Les rues avaient retrouvé un peu de calme. De toute façon, je n'étais déjà plus en contact avec le monde extérieur. J'étais dans ma bulle guidée par mes pensées obscures.
J'entends, je crois, ma chanson du moment qui me met les tripes à l'envers à chaque fois. J'entends aussi de l'agitation dans le couloir. Ça s’amplifie. On casse quelque chose. J'entends des gens autour de moi. Je connais ces personnes. J'entends mais je ne vois rien. Je n'arrive pas à ouvrir mes yeux et les efforts pour tenter de bouger sont trop épuisants.
Les voix s'éloignent.
«Voilà, c'est bien , doucement, ça va aller.»
Je n'arrivais pas à m’arrêter de vomir. J'étais assise sur un lit, une bassine devant ma bouche, des barrières métalliques longeaient mon corps, le blanc et le vert étaient les deux seuls tons qui «coloraient» l'endroit où je me trouvais. Les néons éblouissants parcouraient le plafond, blanc.
«C'est bientôt fini.»
C'est vrai, ça s’arrêtait enfin. Je m'allongeai, vidée.
Deux femmes en blouse blanche se tenaient devant moi. L'une d'elle n'avait pas l'air très sympathique. Ce n'est pas elle qui engagea la conversation et c'était pas sans me déplaire.
«Tu es au Cap48. C'est une partie de l'hôpital qui accueille des personnes qui ont fait des TS. Cap 48 car tu ne peux pas rester plus de 48 heures dans ce lieu. Dans un petit moment tu seras convoquée par un médecin. Tu pourras aussi contacter une personne pour qu'elle puisse venir te récupérer. Mais pour l'instant repose toi.»
Une conversation, un monologue plutôt!
Aucun mot ne sortait de ma bouche, des larmes roulaient sur mes joues incapable de les maîtriser.
Un mal de tête s'installa brutalement vers mes tempes. Ma tête tourna.
Je ne les avais pas dupé...
Assise sur la seule chaise qui se trouvait devant le bureau du médecin, j'affichai une mine qui aurait fait fureur un soir d'Halloween.
Je voyais ses lèvres bouger mais mon cerveau continuait de passer en boucle la même phrase: «je ne les avais pas dupé».
Il stoppa, croisa ses mains et se pencha sur ses coudes.
«Je vous prescris des anti-dépresseurs que vous prendrez pendant trois mois pour commencer et»
«Je viens de m'enfiler deux boites. Je ne pense pas que ce soit une bonne idée! Je peux partir?»
«Oui, demain.»
Je retournais dans ma chambre, me changeais et descendis dans le hall d'entrée. Mon téléphone à la main, je composai le numéro de ma sœur.
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