Un dragon libère des kangourous, avec des pincettes

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Le décor avait encore changé… Adieu monde niais et coloré des licornes, bonjour ténèbres et chaos… Laurel pouvait voir au travers des vitres de la voiture un paysage en perpétuel changement, et pourtant, bien que la voiture roulait, elle ne donnait pas l’impression d’avancer. Un peu partout il constatait la présence de vortex, comme si la réalité elle-même était entraînée ailleurs, vers un autre monde. Des objets du paysage, en principe inertes, changeaient de place lorsqu’on ne les regardait plus ; il voyait même des montagnes à l’envers, des chutes d’eau partir du bas vers le haut, ou des arbres s’éloigner d’eux alors qu’ils « roulaient » dans leur direction. Bien qu’il faisait sombre, les objets étaient tous visibles, comme émettant eux-mêmes la lumière nécessaire qui permettrait de les voir.

— Où est-ce qu’on est ? demanda Laurel à Aziza la Fée. Tu ne m’as toujours pas expliqué pourquoi tout change autour de nous depuis qu’on a quitté la maison ! Des licornes, et maintenant… ça ?

— J’ai enchanté ta voiture afin qu’elle nous fasse voyager dans les mondes possibles, répondit-elle, d’autres univers avec des logiques exotiques ! Tout à l’heure nous étions dans l’Empire des licornes, et là nous sommes dans le Chaos quantique. Ici, tout se comporte comme si nous étions à l’échelle subatomique.

— Et c’est certainement ici que Puant a été emprisonné, ajouta Groseille-fleurie qui n’avait pas quitté le groupe.

— Et par extension Mickaël, conclut Aziza la Fée. Ce monde est censé être la prison parfaite selon les licornes, tout y est sinistre, moche, sens dessus dessous.

À peine eut-elle fini qu’un rocher apparut devant eux, sur lequel était gravé « SURPRISE ! » si bien que la voiture fit une embardée qui les emporta tous dans un gouffre abyssal, à une vitesse épouvantable qui donnait la sensation que leur cœur allait se décrocher de leur poitrine, emportant leur âme au passage… Tout du moins, c’était le cas de Laurel, de Groseille-fleurie et de la voiture qui klaxonnait à la mort, tandis qu’Aziza la Fée levait les bras en hurlant de plaisir comme si elle dévalait des montagnes russes.

Soudain, la chute fut comme amortie, comme s’ils étaient tombés dans de l’eau et qu’ils avaient atteint le fond… On n’y voyait rien, l’obscurité totale régnait à l’extérieur de la voiture, cette dernière désormais à l’arrêt avait beau alterner entre tous les feux dont elle disposait, on n’y voyait toujours rien. Tout le monde s’était tu, et Laurel avait un mauvais pressentiment. Le lieu – si l’on pouvait appeler cela un lieu – était terriblement sinistre et malgré la ténèbre qui s’étendait à l’infini, il se sentait à l’étroit, oppressé. Cela le dérangeait, et il sentait qu’il allait devenir fou s’il restait ici. Et pourtant, cette nuit sans fin le happait, il ne pouvait s’empêcher de regarder dehors et de rapprocher son visage de la vitre, et ce malgré l’effroi qui malmenait de plus en plus fort ses entrailles. Il lui semblait entendre comme un souffle, grave et profond, provenant de l’abîme, appartenant à quelque chose d’encore plus inquiétant qui se cachait dans le noir. Tout à coup, une immense boule orangée fendue de noir derrière la vitre que Laurel fixait, le faisant hurler de terreur tandis qu’il s’éloignait de la vitre derrière laquelle cette chose se trouvait.

— QU’EST-CE QUE C’EST ? cria à son tour Groseille-fleurie.

— Oh ? s’étonna d’un air satisfait Aziza la Fée. Te voilà, mon vieil ami !

Les deux terrorisés l’écoutèrent sans trop comprendre, pris par l’adrénaline ils n’osaient guère détourner le regard de ce qui était apparu. Soudain, la boule sembla se couvrir depuis les deux pôles avant de se découvrir, alors Laurel demanda la voix mi-coupée :

— Un… un œil ?

Le toit de la voiture s’ouvrit aussitôt et Laurel fut éjecté du véhicule, il chuta et atterrit sur un sol confortable, tout chaud et tout doux. Néanmoins, il regardait toujours l’œil qui était accompagné d’autre à sa gauche. Les yeux lui semblaient loin cette fois-ci, il devait lever la tête pour les voir, et il vit qu’ils faisaient la taille de la voiture qui se trouvait à leur droite, comme flottant dans le néant. « Ce monstre doit vraiment être immense » pensa-t-il, toujours stressé par la situation, se sentant comme une proie sans défense. Soudain une lumière vive émergea de dessous la paire d’yeux, des flammes s’échappèrent d’une fente pour en jaillir dans une colonne de feu ; par réflexe, Laurel se mit à plat ventre pour être sûr d’échapper à se déluge ardent – tout du moins il l’espérait.

Il fit chaud, et tout fut baigné de lumière, il regarda derrière lui et vit un brasier immense au milieu d’une caverne qui s’étendait dans les quatre directions, puis il regarda de nouveau le monstre : c’était un dragon, allongé sur le dos contre la paroi de la caverne, et Laurel remarqua qu’il se trouvait sur son ventre – et il n’aurait jamais pensé que le ventre d’un dragon puisse être si douillet. Laurel fut rejoint de ses trois acolytes, et ils faisaient face au dragon, qui dit :

— Aziza, tu es revenu !

Il l’avait dit sur un ton si attendri que la peur de Laurel s’évanouit au même instant.

— Je vous présente mon ami de longue date : Rubis-Vorace, qui, si je puis me permettre, porte très mal son nom, puisqu’il jeûne depuis au moins trente éternités.

— Quarante-deux, en réalité, reprit Rubis-Vorace.

— Vraiment ? s’étonna exagérément Aziza la Fée. Ça alors, que le temps passe vite ! Tu étais comme un dragonneau la dernière fois que je t’ai vu.

— Euh… On vous dérange, peut-être ? interrompit alors Laurel de sorte à recentrer l’action sur le sauvetage de Mickaël. Du thé ? des biscuits ?

— Volontiers mon chou ! tu te rendrais bien utile, répondit Aziza la Fée.

Laurel hallucina devant cette insolence. Il ne sut pas quoi répondre mais il avait envie de l’étriper sur place. Quel sort avait-on pu lui jeter pour qu’il doive se la coltiner ?

— Tu ne me présentes pas tes amis ? demanda ensuite Rubis-Vorace, curieux.

— C’est vrai, tu as raison ! Bon sang, mais où ai-je la tête ?

« Pas sur les épaules, en tout cas » marmonnait Laurel en lui-même contre Aziza la Fée.

— Voici mon amie Groseille-fleurie, et mon Kabyle de compagnie Laurel.

— Pardon ? dit Laurel choqué par ce qu’elle venait de dire.

— Évidemment mon chou, ta présence m’est à la fois plaisante et précieuse. Et puis, la Kabylie, mais quel beau pays, avec ces chameaux, ces… continua-t-elle dans un monologue d’éloges comme pour se rattraper de ses propos.

— Ne le prends pas mal, chuchota Groseille-fleurie en direction de Laurel, mais ton amie, ne serait-elle pas semi-démente, ou quelque chose comme ça ?

— Semi-démente ? C’est un euphémisme… Et puis, tu parles d’une amie !

Puis, soudain, Laurel tiqua et l’interrompit dans son monologue en criant :

— IL N’Y A PAS DE CHAMEAUX EN KABYLIE !

Et cette fois-ci, se fut au tour d’Aziza la Fée d’être bouche bée, gênée, incapable de lui répondre. Elle prit cependant un air hautain comme si cela ne l’atteignait pas ; quant à lui, il était fier de lui montrer qu’elle disait n’importe quoi pour l’embobiner et qu’il le savait. Néanmoins, Rubis-Vorace se permit de prendre la parole et dit :

— Je suis enchanté, vraiment, cela fait si longtemps que je n’ai pas reçu de visite, je me sentais si seul et abandonné dans ce trou à rat…

Le jeune Kabyle fut intrigué par ce que le dragon venait de dire, alors il lui demanda :

— Comment ça vous « rendre visite » ? Et comment ça « ce trou à rat » ? Nous ne sommes chez vous ?

— Pas du tout, il s’agit de ma geôle.

— Une geôle ? s’écrièrent alors Laurel et Groseille-fleurie. Mais qui a bien pu vous y envoyer ? continua alors Laurel.

— Les licornes.

— Bon sang, encore ces saloperies ! ne put s’empêcher de dire Groseille-fleurie, soudainement furieuse. Par quel langage sucré vous ont-elles condamné à croupir ici ?

— Elles m’ont déclaré monstrueux, insulte intrinsèque à tout ce qui est beau. Elles ont aussi déclaré ma famille barbare pour avoir eu la disgrâce de m’élever comme leur propre enfant.

— Vous avez été adopté ? demanda Laurel de plus en plus révolté par ce qu’il entendait.

Et le dragon confirma. Il semblait soudainement très attristé, l’on sentait que sa famille lui manquait beaucoup. Laurel demanda alors s’il savait où ils se trouvaient, et Rubis-Vorace pointa du doigt le brasier et répondit :

— Ils sont dans la geôle derrière.

Ils se retournèrent alors dans la direction qu’il indiquait mais ils ne virent rien, sinon que la caverne qui s’étendait comme un couloir qui menait sur le néant qui se mouvait dans tous les sens. Ils ne comprirent pas où il voulait en venir, puis Aziza la Fée expliqua :

— C’est une cellule de vide ! Une prison qui annule l’existence de tout ce qu’elle contient, continua-t-elle en anticipant les questions que lui poseraient ses compagnons. La cellule en elle-même n’existe pas non plus, c’est pour cette raison que nous ne voyons rien !

— Attends, intervint alors Laurel légèrement paniqué par ce qu’il venait d’entendre, ça veut dire qu’ils sont morts ? Et Mickaël se trouve aussi dans ce genre de cellule ?

— Du calme mon p’tit chou, j’ai dit qu’ils cessaient d’exister, pas qu’ils étaient morts !

Mais il ne saisit pas la nuance, si toutefois il y en avait une ?

— Je veux dire par là que si nous ouvrons la cellule de vide, nous les trouverons en plein milieu de la cellule comme dans une prison des plus ordinaires ! Et en bonus, nous les trouverons en pleine forme. Mais tant que la cellule de vide n’est pas ouverte, ils n’existent pas.

— Je comprends rien à ton charabia… répondit encore Laurel qui la prenait pour une affabulatrice.

— Bref, peu importe, faites-moi confiance ! Comme d’hab, je suis la femme de la situation !

Soudain elle sortit de l’intérieur de son manteau un lot de pincettes toutes rouillées, ce que ni Laurel ni Groseille-fleurie ne comprirent, tandis que Rubis-Vorace, au bord des larmes, sembla immédiatement reconnaître les objets. Laurel soupira, se demandant quelle machination farfelue allait en découler :

— Des pincettes… rouillées ? questionna Groseille-fleurie.

— Oui, mais pas n’importe quelles pincettes rouillées. Ce sont LES Pincettes rouillées ; il n’y en a pas d’autres comme celles-ci !

— Je n’arrive pas à y croire, déclara Rubis-Vorace tout ému, après tant d’éternités, tu as tenu ta promesse, tu as ramené les Pincettes rouillées !

— Évidemment, je suis une femme d’honneur !

Laurel ne savait pas s’il devait croire cela, mais ce dont il était sûr, c’est que cette conversation était aussi insensée que le monde dans lequel il se trouvait.

— Si je me souviens bien, reprit Aziza la Fée, trois condamnés, et une condamnation, n’est-ce pas ?

— Non, répondit le dragon, deux condamnations : une pour m’avoir élevé, et une autre pour avoir l’audace d’être des êtres si hideux.

— Décidément irrécupérables, dit-elle en se frottant les yeux d’exaspération. Soit ! Il nous faut donc cinq Pincettes… Quelle chance, j’en ai très exactement cinq ! Et nous sommes également cinq !

— Comment ça « nous sommes cinq » ? contredit Laurel.

Aussitôt le son du klaxon retentit derrière lui, alors en se retournant il soupira :

— J’avais oublié ma voiture…

— Très bien, chacun prend une Pincette rouillée. Mission : délivrer la famille de Rubis-Vorace !

Laurel prit une pincette rouillée puis se mit à l’examiner de tous les côtés, et il eut bien du mal à croire que des objets aussi ordinaires pouvaient venir à bout d’une prison aussi extraordinaire… Ils s’avancèrent alors tous les cinq, bien qu’Aziza la Fée menait la danse ; Laurel préférait la suivre pour être sûr de ne pas tomber dans un tourbillon qui l’emmènerait dans un endroit encore plus sinistre et perdu dans l’infinité du vide et des mondes possibles… Enfin, il chassa vite ces horribles pensées pour exécuter le plan d’Aziza la Fée pour ne pas s’évanouir d’effroi. Soudain elle s’arrêta et dit en agitant sa propre pincette :

— Allez-y ! Chatouillez le vide jusqu’à ce qu’il n’en puisse plus, il nous faut l’en faire vomir !

Ce qu’ils firent tous, et Laurel se sentait vraiment crétin de faire ce qu’il faisait.

Soudain, le vide sembla devenir comme biscornu, se tordant dans tous les sens, comme en plusieurs plis et enroulements, s’étirant par endroits, se rétractant en d’autres, par ici et par là ; mais le vide ne céda pas. Impatient, et si prêt du but, Rubis-Vorace cria :

— Laissez-moi faire !

Et il déroba toutes les Pincettes rouillées qu’il agitait frénétiquement avec un zèle qui créait des étincelles, et lorsque le vide commença à s’enflammer, ils se retrouvèrent dans une salle certes nouvelle mais toujours aussi caverneuse. Au milieu de la salle se trouvaient trois kangourous assis comme ne comprenant pas ce qu’ils faisaient ici.

— Papa ! Maman ! Grand-frère ! s’écria Rubis-Vorace en les voyant.

— Rubis-Vorace, tu es sain et sauf ! s’écria émue la mère kangourou.

Ce dernier accourut vers eux, tandis que Laurel, assez confus, commençait à comprendre que la famille adoptive de Rubis-Vorace n’était pas composée de dragons comme il l’avait imaginé. Il voyait leurs émouvantes retrouvailles quand lui vint une interrogation toute légitime :

— Et Mickaël dans tout ça ? adressa-t-il à Aziza la Fée.

— Et Puant ? ajouta très judicieusement Groseille-fleurie.

— Oh c’est vrai ! J’ai failli les oublier !

Laurel et Groseille-fleurie jurèrent en eux-mêmes qu’une fois tout cela terminé, ils l’étriperaient sur place.

— Pitié, ne soyez pas si odieux ! dit-elle comme en ayant lu dans leurs pensées. Vous savez, derrière cet esprit génial se cache un cœur émotif, sujette aux pleurs et aux douleurs… et il m’arrive d’être tête en l’air aussi.

Mais Laurel ne crut pas sa dernière affirmation, bien au contraire il lui semblait qu’elle était tout-à-fait calculatrice dans tout ce qu’elle entreprenait.

Alors qu’elle semblait reprendre une attitude de femme dramatique, elle s’avança vers la famille Kangourou avec la démarche d’une diva puis, les montrant de la main, annonça :

— Voici notre carte maîtresse !

Et encore une fois, ils ne comprirent pas, ce à quoi elle répondit :

— Bien sûr ! Rubis-Vorace vole, Papa, Maman et Enfant Kangourou cognent, nous avons ici l’équipe parfaite pour prendre d’assaut la prison où sont enfermés nos bien-aimés !

— Une prise d’assaut, carrément ? répondit Laurel désabusé. Tu proposes de batailler alors que tu pourrais les faire sortir de leur prison par un simple claquement de doigts !

— Voyons, mon chou, ne me surestime pas ! Je suis un génie, certes, mais pas un dieu…

Une fois cela dit, elle claqua aussitôt des doigts et Laurel se retrouva vêtu d’une armure de chevalier qu’il aima bien, s’imaginant alors grand-prince, délivrant son ami de ses vils bourreaux, à dos de dragon.

— Dites donc monsieur, lança Aziza la Fée à Laurel, qu’est-ce donc cet accoutrement ? C’est de l’appropriation culturelle !

— TU ES PÉNIBLE, rétorqua-t-il irrité par une remarque aussi stupide.

— Certes, mais les crapauds n’ont pas d’ailes, répondit-elle pour le perdre à nouveau.

Ils partirent donc à l’assaut de la prison en suivant les instructions d’Aziza la Fée, en véritable opération commando.

La prison était un énorme donjon, absolument caricatural : sombre, humide et rustre ; la définition du sinistre. En approchant, dès que la prison fut à portée, Rubis-Vorace prépara son souffle et cracha de puissantes flammes dessus pour percer les murs de la prison ; alors, l’escadron s’engouffra au-dedans et entama le combat contre les hordes de gardes licornes qui sonnèrent l’alerte. La famille Kangourou les couvrait, leur ouvrait le chemin, tandis que le reste du groupe cherchait les cellules dans lesquelles Mickaël et Puant étaient enfermés.

Soudain, Laurel et Groseille-Fleurie s’arrêtèrent devant une geôle dont un détail les frappa aussitôt : Aziza la Fée se trouvait dedans ! Cette dernière lança :

— Ce que vous pouvez être lents pour sauver vos bien-aimés !

— Il s’agit de leur geôle ? demanda Groseille-Fleurie avant que Laurel ne s’énerve contre l’insolente fée.

— Évidemment, sinon, pourquoi m’y trouverais-je ?

— Parce que tu le mérites ! déclara Laurel épuisé par le comportement d’Aziza la Fée.

— Tu es bien méprisant mon p’tit chou, mais tu n’as pas tout-à-fait tort puisque je me suis retrouvée ici contre mon gré dès notre arrivée dans le donjon.

— Je ne te crois pas du tout, répondit Laurel.

— Elle dit vrai, annonça une voix familière derrière eux.

— ATTENTION ! cria Groseille-Fleurie à Laurel.

Ce dernier se retourna et fit face au Commissaire-Licorne qui fonça sur lui pour le transpercer la poitrine de sa corne. Heureusement, l’armure le protégea et dévia l’ennemi contre les barreaux de la geôle.

— Vous n’auriez pas dû manquer de respect envers nous, déclara le Commissaire-Licorne à Laurel et Groseille-Fleurie, votre fin approche, vous allez subir un sort plus terrible que vos comparses !

Soudain, Aziza la Fée s’approcha des barreaux de la geôle et tenta de grignoter un d’eux en disant :

— Vous avez de la chance que je ne puisse pas manger ces barreaux sinon vous seriez fichus !

— Quelle blague hilarante ! ricana hautainement le Commissaire-Licorne. Une fée de millième rang n’atteindra jamais ne serait-ce que le noble sabot d’une licorne.

— Mais nous, OUI ! affirma Papa Kangourou qui frappa le Commissaire-Licorne qui n’eut le temps de riposter.

Papa Kangourou plaqua alors le Commissaire-Licorne contre les barreaux et cria :

— Chérie ! Fiston ! Libérons-les !

Maman et Enfant Kangourou se joignirent à lui pour maîtriser la licorne qui se débattait violemment. Une fois contrôlée ils le forcèrent à utiliser sa corne magique pour ouvrir la geôle, permettant la libération d’Aziza la Fée. La famille Kangourou assomma ensuite le Commissaire-Licorne, laissant au groupe le champ libre.

— Où sont-ils ? demanda Laurel à Aziza la Fée.

— Dans la geôle.

— Mais je ne les vois pas…

— Utilise les Pincettes rouillées !

Elle lui en donna une paire alors il entra aussitôt dans la geôle les y agiter sans qu’il ne se passe rien.

— Qu’est-ce que tu fabriques ? interrogea Aziza la Fée moqueuse. Frotte-les contre le mur !

Laurel leva les yeux à cette injonction, comme s’il pouvait deviner sans indications ! Il s’exécuta néanmoins et fit apparaître devant lui un tout petit ravin à la place du mur, dont la largeur devait équivaloir l’épaisseur même du mur. De l’autre côté – c’est-à-dire à moins d’un mètre de lui – Laurel voyait Mickaël assis à même le sol, les poignets attachés au sol. Alors que Laurel s’apprêtait à enjamber le gouffre, Aziza la Fée l’arrêta et dit :

— Que fais-tu malheureux ? Tu ne vois donc pas que c’est trop loin de nous ? Chevauche donc Groseille-Fleurie, elle pourra te faire traverser !

— Elle a raison, dit Papa Kangourou avant que Laurel ne proteste, il y a au moins la distance de trois univers entre les deux rives, si tu sautes tu tomberas dans le néant !

Laurel était perdu, si même les kangourous lui donnent raison, c’est qu’il n’a pas d’autre choix que de leur faire confiance… après tout, ils sont restés prisonniers de ce monde et le connaissent donc forcément mieux que lui. Il s’exécuta et, alors qu’elle s’apprêtait à bondir, Groseille-Fleurie lui dit sur un ton se voulant rassurant :

— Ne crains rien, j’étais championne de saut d’univers quand j’étais à l’école.

— Rien que ça ? demanda-t-il un peu décontenancé. Drôle de discipline…

Groseille-Fleurie prit alors de l’élan et sauta au travers du vide qui les séparait de Mickaël et Puant. La traversée fut instantanée, et Laurel crut alors qu’Aziza s’était encore fichue de lui mais peu importe… Son regard croisa celui de Mickaël qui semblait sous le choc et avoir mille questions à poser. Laurel descendit de Groseille-Fleurie et se précipita à sa hauteur l’inquiétude dessinée sur son visage.

— Mickaël ! Je suis déso…

— C’est bon, sors-moi d’ici, tu me demanderas pardon plus tard !

Bien que surpris par les propos de Mickaël, Laurel ne protesta pas et utilisa les Pincettes rouillées qu’il portait sur lui pour le défaire des chaînes qui le retenaient prisonnier, puis il fit de même pour Puant qui se trouvait dans l’autre coin de la geôle, ce dernier le remercia d’être venu à son secours les yeux emplis d’émotions et de gratitude.

Une fois la mission sauvetage accomplie, Laurel monta de nouveau sur le dos de Groseille-Fleurie et Mickaël chevaucha Puant.

— C’est bizarre, on les voit vraiment loin de nous de ce côté, remarqua Laurel.

— C’est vrai, mais la distance reste la même, assura Groseille-Fleurie.

— Vite ! ajouta Puant. Nous avons une Révolution a terminé, et ce n’est pas en restant ici qu’elle aboutira.

Laurel et Mickaël s’agrippèrent fermement à leurs poneys respectifs puis les deux montures leur firent traverser le vide qui les séparait du reste du commando mené par Aziza la Fée. Dès qu’ils arrivèrent auprès d’eux, Aziza la Fée les accueillit avec des acclamations et des félicitations tandis que Maman Kangourou leur donna des cookies en s’écriant qu’elle commençait à trouver le temps long. Par ailleurs la geôle avait complètement changé, elle était aménagée et meublée comme pour y habiter ; Laurel demanda alors ce qu’il s’était passée ici, et Aziza la Fée de répondre :

— Cela fait cinquante ans qu’on vous attend, du coup, on s’est permis de refaire la déco.

— Vraiment ? s’étonna Laurel. Pourtant nous ne sommes partis que depuis quelques minutes…

— De votre point de vue ! ajouta Maman Kangourou. Du nôtre, vous avez pris votre temps. Mais tenez, prenez des forces, ils sont encore tout chauds !

— Ils sont méga bons ! affirma Enfant Kangourou qui en avait piqué une bonne dizaine avant de se faire réprimander par sa mère.

La voiture klaxonna pour confirmer les dires d’Enfant Kangourou.

Face à cette agitation, Laurel se sentit mal à l’aise, non pour lui mais plutôt pour Mickaël qui ne devait pas y comprendre grand-chose, mais à sa grande surprise il mangeait des cookies avec un visage ravi. Aziza la Fée prit de nouveau la parole et dit :

— Bien ! Puisque nos hommes en détresse ont été secourus avec succès, plus besoin de moisir ici.

— Vous exagérez, répondit Maman Kangourou, nous ne sommes pas si mal ici.

— Je vis pour les projecteurs très honorable dame, et le soleil est le meilleur de tous ; c’est que le sunlight des tropiques commence à me manquer !

— Tu pars en vacances Aziza ? demanda Rubis-Vorace depuis l’extérieur du donjon.

Aziza la Fée répondit favorablement tandis qu’elle préparait la voiture pour le départ.

— Alors, n’oublie pas de nous donner des nouvelles, on veut des photos de tes prochains voyages, reprit Rubis-Vorace.

— Et encore merci de nous avoir tant aidé, ajouta Maman Kangourou en enlaçant tendrement Aziza la Fée.

Toute la famille Kangourou se joignit à l’étreinte, et Aziza la Fée rendit cet acte de tendresse aux kangourous. Laurel, en voyant cette scène, se sentait troublé ; finalement, elle n’était peut-être pas uniquement folle…

La voiture klaxonna de nouveau, mais c’était Puant qui avait pris la place de conducteur et qui s’excitait à l’idée de conduire le véhicule. Aziza la Fée et Groseille-Fleurie s’assirent derrière. Mickaël choisit de s’installer derrière Puant, à côté de Groseille-Fleurie, et Laurel se retrouva alors copilote. Ils saluèrent tous une dernière fois la famille Kangourou avant de sortir du donjon, raccompagnés par Rubis-Vorace qui tenait à les remercier une dernière fois avant que la voiture ne quitte ce monde pour un nouveau.

Alors que la voiture roulait dans le néant, Laurel jeta un coup d’œil en direction de Mickaël, ce dernier regardait par-delà la vitre, pensif. Laurel espérait qu’il ne serait pas trop traumatisé par ce qu’il venait de vivre. Au moins, il était en vie, sain et sauf, et c’est tout ce qui l’importait.

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