Chapitre 16
L'air hivernal me fouette le visage. Mes cheveux virevoltent et je n'arrive pas à les dompter.
Assise à la terrasse d'un café, je tente d'assimiler ce que je viens de faire. Contrairement à ce que j'espérais, la fraîcheur du temps ne m'aide pas à oublier la froideur du métal à mon annulaire.
Mme Delorme.
C'est moi, désormais. C'est mon nom, ma nouvelle identité. Je dois l'accepter.
Comme pour m'imprégner de cette réalité, je tourne encore et encore cette bague autour de mon doigt.
Eden en face de moi, ne dit rien. Gardant la tête baissée, il fixe depuis un moment son café qu'il n'avait pas touché.
Tous les deux, nous attendons l'arrivée de mon frère. À la sortie de la mairie, j'étais surprise de recevoir un message de sa part.
Je stresse à l'idée de lui faire face. On ne s'était pas parlé depuis notre dispute. Je me demande ce qu'il a à nous dire. Il ne venait clairement pas nous féliciter, ça c'est sûr.
Quelques minutes plus tard, je vois mi mellizo apparaître au coin de la rue. Il est là. Je me redresse automatiquement sur ma chaise, alertant mon compagnon au passage.
Eden est gêné, je le vois à sa façon de frotter le coude discrètement. Raphaël et lui se connaissent. Ils ne sont ni amis ni ennemis. En tout cas jusqu'à ce jour là.
Une fois entré, mon frère se dirige vers notre table et s'installe à mes côtés sans un mot. Il s'adosse nonchalamment sur sa chaise et pose son coude sur le dossier de la mienne. Ses yeux parcourent lentement les alentours. Il fait exprès de laisser le silence durer. Chacun de ses gestes est finement calculé. Tout a un sens, un but, et mon frère manie cela à la perfection. Son assurance et sa désinvolture donneraient presque l'impression qu'il est propriétaire des lieux.
Connaissant mon frère, son attitude ne me perturbe pas. Même si je dois avouer que cela me blesse un peu. Il n'a jamais été question de stratégie entre nous deux.
- Comment vous êtes-vous rencontrés ? Dit-il de but en blanc.
Surpris, nous nous dévisageons bêtement Eden et moi.
- Si vous avez l'intention de faire ces têtes-là lorsqu'on vous posera une question, il vaut mieux divorcer tout de suite. Dit-il sans aucune indulgence.
Je vois, c'est un entraînement pour les questions qu'on nous posera à propos de notre mariage.
- À la bibliothèque de l'USCRM. Répond finalement mon ami qui avait repris ses esprits.
- Depuis quand votre relation dure-t-elle? Continue mon frère dans sa lancée.
- On a été amis pendant trois ans, pour finalement se rendre compte que nos sentiments étaient plus profonds et nous mettre en couple cette année. Dis-je à mon tour.
Dire la vérité mais de façon nuancée, je connaissais très bien cette règle.
- Pourquoi s'être marié en ce moment précis ? Nous interroge-t-il à nouveau.
- Y'a-t-il un temps précis pour épouser quelqu'un ? Rétorque Eden.
- Dans vos conditions, la question se pose. Renchérit Raphaël.
- Nos conditions ont contribué à cette décision mais ce n'est pas la raison principale. Clarifiai-je à mon tour.
- Que pensez-vous de Maevis, la fille de votre épouse. Dit Raphaël avec une certaine amertume cachée.
- Une des raisons pour lesquelles j'admire ma femme. Répond Eden.
" Ma femme" , ce mot sonne tellement faux. Eden le dit presque en grimaçant. Et ma réaction n'est pas si différente de la sienne.
- Faudra mettre plus de conviction. On est encore loin du compte. Conclue Raphaël dans un soupir, sûrement dépité par notre jeu d'acteur.
Notre essai fini, on se relève tous les trois pour partir. Eden est le premier à s'en aller, prétextant devoir être à l'hôpital. Il n'était pas difficile de comprendre qu'il nous laissait de l'espace à Raphaël et moi.
- Merci. Dis-je finalement à mon frère.
- Je n'approuve toujours pas ton mariage. Répond Raphaël.
- Mais tu me soutiens quand même. Lui fais-je remarquer.
Mon frère ne répond rien. Quelques minutes passèrent dans le silence, avant que Raphaël ne commence à marcher pour s'en aller.
- Raphaël. L'interpelle-je avant qu'il ne s'en aille.
Il s'arrête sans se retourner pour autant.
- Quoi qu'il arrive, je serais toujours là pour toi. À l'intervalle de six minutes, comme lors de notre naissance.
Toujours dos à moi il finit par me dire.
- Sois prudente.
Il avait beau ne pas se retourner, l'émotion perçait sa voix.
- Toi aussi, Cretino. Lui dis-je à mon tour, les larmes aux yeux.
C'est la première fois que je vivrai séparément de mon frère.

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