Prologue

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   Le soleil se couchait sur la Nouvelle-Orléans et le Vieux carré se réveillait au rythme du jazz. La musique résonnait dans toutes les rues du quartier. Elle était jouée par les nombreux bands qui s’étaient installés sur les trottoirs ou dans les bars qui les bordaient. Des passants s’arrêtaient de temps à autre pour les écouter, d’autres s’amusaient à danser sur les rythmes entraînants. Des effluves d’épices, de légumes et de fruits de mer émanaient des restaurants. Touristes comme habitants se pressaient à l’intérieur en quête de plats typiques de la Louisiane.

  À l’opposé de la ville, les cyprès chauves du bayou filtraient à peine les rayons de la lune, plongeant les marécages dans une obscurité inquiétante. Les énormes racines tortueuses des arbres ressemblaient à d’immenses serpents immobiles et une légère brume s’étendait sur le sol humide. Dans l’eau, un alligator glissait discrètement, en quête d’un lieu où passer la nuit. Les battements d’ailes des hérons étaient imperceptibles comparés aux cris des oiseaux nocturnes perchés. Un craquement de branche les fit s’envoler à tire-d’aile, plongeant l’endroit dans un silence morbide. Un homme aux yeux brillants et exorbités progressait prudemment, veillant à ne pas s’entraver une énième fois dans la végétation. Il était d’une maigreur maladive et avait le teint d’une pâleur extrême. Derrière lui, un grognement sourd brisa le silence. En un sursaut, il se retourna et des tremblements de peur incontrôlés le secouèrent. Il venait enfin de trouver celui à qu’il avait eu ordre de faire son rapport, presque une heure après le début de sa recherche acharnée dans les profondeurs insondables des marécages.

  Le Sphinx avait pris l’apparence d’un lion mais faisait deux à trois fois l’envergure d’un animal de la même espèce. Sa peau pendait sur ses os saillants et ses muscles bandés, donnaient l’impression qu’il pouvait bondir à tout instant. Son pelage terne était recouvert de cicatrices dont la plus grande barrait sa tête. Il ressemblait à un roi de la savane déchu : solitaire et frêle mais l’éclat menaçant de ses yeux lui donnait un air redoutable. L’homme de main devant lui ne tenta même plus de contrôler ses soubresauts qui s’aggravèrent en voyant à quoi ressemblait ce qu’il avait cherché pendant tant de temps. Son envie de faire remarquer au fauve qu’il n’était pas eu lieu de rendez-vous et qu’il lui avait fait perdre un temps précieux, était définitivement passée. D’un ton tremblant, il s’adressa à la créature.

« J’ai trouvé la fille. Elle vit à l’extérieur de la ville. Je n’ai pas réussi à en savoir plus. »

  Une superposition de voix mêlant des tonalités masculines et féminines jaillit des ténèbres. L’inflexion de la femme était envoutante tant elle ressemblait aux chants des sirènes. Celle de l’homme en revanche inspirait la crainte. Le mélange des deux encourageait le respect le plus total.

« C’est tout ce que tu as comme informations ? Tu n’espères quand même pas que j’aille les chercher moi-même ? »

L’intonation du fauve se faisait plus profonde et menaçante.

« Tu me déçois et je n’aime pas que l’on me déçoive. »

Le ton de sa voix eu l’effet escompté et il se détourna. Son serviteur se prostrait en tentant vainement de se justifier.

« A… Attendez j’irai ! J’irai la chercher ! Je vous la ramènerai !
— Ce n’est pas ce que je t’ai demandé, trancha le Sphinx en s’éloignant d’un pas nonchalant. »

  Un sifflement retentit et le Sphinx s’arrêta pour observer ce qui allait suivre. Un mamba noir s’était faufilé dans le dos de l’humain, plantant ses crocs dans la chair de son cou pour injecter son venin. Il hurla de douleur alors que le reptile s’enroulait autour de lui pour l’empêcher de s’enfuir. Le corps s’écroula à terre, signe que les toxines s’étaient suffisamment diffusées pour le paralyser. Le serpent sentit les battements du cœur de sa proie diminuer peu à peu et une poignée de secondes plus tard, ils s’éteignirent. Un soupir de satisfaction émana du fauve. Enfin il avait l’occasion de se nourrir et la satiété provoquée par la mise à mort de l’homme le régala.

  Un bruissement de feuilles et des craquements d’os sinistres se fit entendre. L’extrémité du corps du reptile gonfla. Il ouvrit grand la gueule et un buste de femme en sortit. Elle avait une chevelure et des yeux noirs d’encre. Echidna remplaçait à présent le mamba. La femme-serpent rampa jusqu’au lion qui l’attendait patiemment. Elle le salua d’une grimace qui se voulait ressemblante à un sourire.

« Mère. Je me doutais que vous ne seriez pas loin pour profiter de la peur qui suintait de tous les pores de ce mortel.
— Comme toujours mon fils.
— Cela rassasie-t-il votre faim ?
— Comme il se doit. Merci. »

  Tous deux avancèrent vers le rivage marécageux dans le silence le plus complet. Malgré sa taille, aucun bruit n’émanait lorsque le Sphinx posait ses pattes au sol. Echidna prit la parole, glissant sur les feuilles humides.

« Et pour la fille ?
— Nous avons de nouvelles instructions. Il veut que nous la laissions rejoindre les siens. Quelqu’un prendra le relais là-bas. Pour le moment nous ne faisons plus partie du plan. Mais notre heure viendra Mère. »

  Un sifflement heureux retentit alors qu’Echidna s’évanouissait dans le tapis de branches. Le Sphinx s’ébroua et un bruissement s’échappa de son dos quand une paire d’ailes en sortit. Il frappa le sol d’un coup de patte pour s’envoler. Un battement d’ailes plus tard, il était déjà loin au-dessus du Bayou.

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