Chapitre 2

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  Le soleil de fin de journée berçait la Nouvelle-Orléans et la douce chaleur de fin juin remplissait les badauds d'une euphorie légère typique des débuts de l'été. Les terrasses se remplissaient au fur et à mesure que les cours d'écoles et les bureaux se vidaient. Un brouhaha semblable au bourdonnement d'un essaim commençait à grandir dans la rue Bourbon et on pouvait entendre de temps à autre des éclats de rire. Il était à peine plus de six heures quand un des serveurs du mythique "Bourbon Jazz" rejoint enfin son collègue pour, à son tour, se faufiler à travers les tables et prendre les commandes par dizaine. La bonne humeur était tellement palpable qu'aucune plainte n'échappait d'un seul des clients, forcés d'attendre. C'était un bon début de soirée.

  Du moins c'est ce que pensait June. Deux semaines s’étaient écoulées depuis son retour de l’hôpital. Elle avait repris sa vie d’avant comme si rien n’avait eu lieu. Seulement ses parents savaient que la mort l’avait frôlée et ça lui allait. Elle n’aimait pas attirer l’attention sur elle. Bien évidemment, beaucoup parlaient de l’article concernant la jeune fille miraculée, mais personne n’avait fait le rapprochement. Ses amis avaient demandé pourquoi son séjour à l’hôpital avait duré aussi longtemps et elle était restée évasive. Une voiture l’avait renversée et malgré l’accident sans gravité, les médecins voulaient la garder sous surveillance. Pour elle ce n’était pas un mensonge, juste une version édulcorée des faits.

  À l’heure actuelle, elle était assise à une table en terrasse, entourée de ses trois meilleurs amis. Depuis près de deux heures ils sirotaient leurs sodas, commandés à la chaîne. Alexandre, dit Alex par tous ceux qui le côtoyaient, sortit une de ses blagues à l'humour douteux. Mégane, la plus timide du groupe, pris alors une teinte rouge pivoine qui s'accordait à merveille avec la couleur orange de ses cheveux frisés. June et Léandre, le stéréotype du sportif brun aux yeux marrons, se mirent à rire à l'unisson face à la plaisanterie du cadet de la bande qui bomba le torse tel un coq. Ils s'exclamèrent tous d'un "Ah" général de satisfaction quand une nouvelle tournée de boissons fut apportée à la table et un silence s'en suivit alors qu'ils buvaient leurs premières gorgées.

« Et tes parents June, ça s'arrange, demanda prudemment Mégane d'une voix douce et rassurante, dont elle seule avait le secret. » 

  Malgré ça le visage de la brune s'assombrit, signe qu'elle avait perdu la bonne humeur qui l'habitat quelques instants avant.

« Oh loin de là. Mon père est passé poser les papiers du divorce ce matin... »

  Le peu de moral qu’elle avait regagné, grâce à ses amis, était reparti aussi sec à ce moment-là. L’accident avait été un très gros coup dur pour elle. Elle s’attendait à ce qu’enfin ses parents se rapprochent, s’apercevant qu’ils s’aimaient encore. Certains soirs, la brune se plongeait dans ses souvenirs, se voyant blottie contre ses parents devant un film, espérant que cela se reproduise un jour. Mais aucun de ses souhaits ne s’étaient réalisé. Son père passait la voir après sa journée de travail et il repartait à peine une heure plus tard. Ses parents s’adressaient uniquement des politesses, sans aucune réelle discussion.

  Léandre posa une main réconfortante sur l'épaule de son amie, la faisant revenir à la réalité. Celle-ci tourna la tête vers lui pour lui sourire tristement. June savait qu’il comprenait sa détresse encore mieux que leurs amis. Les deux étaient toujours fourrés ensembles depuis leur plus tendre enfance. Au fil du temps, les parents de Léandre étaient devenus sa seconde famille, et inversement. Ces dernières semaines elle passait d'ailleurs le plus clair de son temps chez les Carter, leur maison étant bien plus joyeuse que la sienne. Tant et si bien que les anciennes rumeurs reprenaient bon train. Certains disaient qu’elle était la vraie sœur de Léandre et que l’un ou l’autre avait été adopté. D’autres insinuaient que leurs parents avaient programmé leur mariage depuis la naissance. Après un long soupir la brune enleva sa veste dont elle avait déjà remonté les manches, ayant trop chaud. Le jeune Carter sourit et son regard se porta sur l'épaule de la jeune femme. Elle savait qu’il regardait sa soi-disant cicatrice. Tout le monde le faisait et tout le monde lui demandait ce que c’était. Elle essayait de la cacher sous des vestes fines ou des hauts à manches mais avec la chaleur qui s’accentuait de jour en jour il était difficile pour elle de continuer.

« Je suis sûr que ce n’est pas une cicatrice ! C’est pas possible ! Tu ne veux pas nous le dire mais je suis sûr que c’est un tatouage, rétorqua Alex. »

  Ce dernier n'avait jamais cru envisageable que son amie possède un cycle lunaire parfait dessiné sur sa peau, sans que cela soit voulu. June n’avait pas l’âge requis pour faire seule un tatouage et ses parents ne lui donnerait jamais l’autorisation de le faire. Pourtant, ces cinq marques étaient bien là, sur son épaule. Un croissant en haut et un en bas, au centre, un cercle plein et deux en demi-lune qui l’entourait.

« Tu sais bien que June ne s’amuserait pas à faire ça. Surtout vu l’opinion de Clara sur les jeunes qui se font tatouer, lui fit remarquer Léandre

— Une secte ! Tu as rejoint une secte, s'exclama Alex en coupant la parole à Mégane qui croisa les bras en secouant la tête, exaspérée par la réaction du blond.

— Il faut vraiment que tu arrêtes les jeux d'espionnage Al', ça devient inquiétant, plaisanta June, provoquant l'hilarité générale à l’exception d’Alexandre. »

  Le blond marmonna dans sa barbe, signe qu'il était vexé. Le silence se fit et June en profita pour regarder autour d’elle, la bonne humeur qui régnait sur la terrasse réchauffa encore un peu plus son cœur lourd. Elle arrêta son observation en croisant une paire d’yeux bleu-gris qui lui rappelaient la couleur du ciel en temps d’orage. Elle le scruta de la même manière qu’il le faisait avec elle. Il avait beau être assis, la brune nota qu’il paraissait plus grand que Léandre ou même Alex. Une mèche de ses cheveux blancs retombait négligemment sur son front, lui donnant un air volontairement négligé. Sa peau légèrement bronzée contrastait à merveille avec l'ensemble. Elle sursauta quand une main passa devant ses yeux.

« Houhou ! La Terre appelle June !

— Hein, s’exclama-t-elle en se reconcentrant sur ses amis.

— Je te demandais si tu revoulais un soda. C’est ma tournée, lui répondit Léandre.

— Ah, euh oui, merci. »

  Il fit un signe de tête à Alexandre et les deux se levèrent pour aller passer commande. Quand elle fut sûre que les garçons étaient assez loin, Mégane se pencha vers son amie avec un sourire entendu.

« Tu devrais aller le voir.

— De quoi tu me parles encore Mégane ?

— Le blond là-bas. Tu crois que je n’ai pas vu votre regard langoureux !

— Arrête un peu tes bêtises. Il n’y avait rien de langoureux. Il me regardait, j’ai fait pareil pour voir si je le connaissais c’est tout.

— Mais oui bien-sûr ! À d’autres !

— Mégane, s’exclama June avec un ton autoritaire pour lui faire comprendre qu’il fallait qu’elle arrête. »

  La concernée leva les mains en signe de reddition. Et leurs deux amis revinrent au même moment. Ils les regardèrent tour à tour en sentant le silence pesant qui régnait.

« Tout va bien, demanda Léandre

— Oui jus…

— Juny à une touche, l’interrompit la rousse en souriant de toutes ses dents.

— Mégane bon sang !

— Tu le connais ? balança le brun à June, sur la défensive.

— Absolument pas. Mais, comme je m’efforçais d’expliquer à Mégane, j’ai vu qu’il me fixait, j’ai juste regardé si je le connaissais et notre chère et tendre amie a cru que...

— Je n’ai rien cru du tout. J’ai juste constaté ! Et d’ailleurs il ne t’a toujours pas quitté des yeux ! C’est ce qu’on appelle un coup de foudre ma chérie ! »

  June leva les yeux au ciel en poussant un long soupir. Mégane avait toujours été une grande romantique. Elle voyait des signes même là où il n'y en avait pas. Et quand ça la concernait, en général, elle fonçait sans se poser de question. Malheureusement ça se finissait toujours par une semaine d'incessantes lamentations parce qu'elle avait cru en quelques chose alors qu’il n'y avait rien. Mais aujourd'hui June avait le sentiment que son amie n'avait pas tout à fait tort. Elle tourna alors la tête vers l’inconnu et en voyant qu’il la regardait toujours elle poussa un nouveau soupir énervé. Elle finit par se lever et Mégane la regarda avec un grand sourire en tapant dans ses mains avec frénésie alors que les garçons quant à eux écarquillèrent les yeux. Léandre fut le premier à protester avec véhémence, inquiet pour sa sœur de cœur.

« Tu vas quand même pas y aller ! Tu ne sais même pas qui est ce type !

— Oui ça pourrait être un serial killer, poursuivit Alexandre.

— Ou l'amour de sa vie ! »

  La brune les regarda tour à tour. Elle leva les yeux au ciel devant la remarque de la rousse et finit par se diriger vers l'inconnu alors que les garçons continuèrent de s'opposer à cette idée.

« Bonjour ! Mes amis et moi étions en train d'avoir un débat sur toi ! Mon amie rousse là-bas -Mégane fit un coucou quand elle fût pointée du doigt- pense que tu craques pour moi. Quant aux deux garçons, qui peuvent se montrer agressifs, pensent que tu es un tueur en série. Alors pour faire court : Pourquoi tu me fixes depuis cinq minutes ? »

  Le jeune homme vira au rouge au fur et à mesure que June avançait dans son monologue. Elle ne savait pas si c’était de colère, de gêne ou les deux. Ses amis, en revanche, riaient à s’en tenir le ventre face à l’éclat de la brune. Celui qui avait l’air d’être le plus jeune des trois pris la parole :

« Heureusement qu’on avait dit « discrets » James ! Au moins y a pas de doutes, c’est elle !

— C’est elle quoi, demanda la brune à celui qui s’était exprimé. »

  Il leva les mains en l’air en signe d’innocence et June secoua la tête en soupirant. Elle reporta son attention sur le premier et se redressa en croisant les bras et en tapant du pied, signe qu’elle attendait une réponse. Il y eu un moment de silence avant que celui-ci ne prenne la parole en montrant l’épaule de June d'un signe de tête.

« Tu l'as depuis ta naissance ou c'est un tatouage ?

—Mais qu'est-ce que vous avez tous à croire que c'est un tatouage ! Ce n'est pas la question ! »

  L'inconnu ne pipa mot. Ses compagnons s’étaient arrêtés de rire et avaient même blêmi. La brune sentit sa patience s'amenuiser et une étincelle de colère s'alluma dans ses yeux.

« Alors, s'impatienta-t-elle.

— James. C’est vraiment elle, eut l’air de constater son deuxième compagnon avec des yeux couleur océan.

— C’est vraiment elle quoi, bon sang !

—Allez James, il faut qu’elle sache, intervint le plus jeune.

— Savoir quoi ?

— Qu'effectivement je pensais comme tout le monde que c'était un tatouage. Mais je suis désolé on va devoir y aller. N'est-ce pas Paul ? »

  Le concerné fusilla du regard son interlocuteur et repoussa sa chaise pour se lever en lui répondant.

« Si tu insistes. C'était un plaisir... 

— June...

— À très vite alors, la coupa-t-il dans son élan alors qu'elle voulait le remettre en place pour le sourire moqueur qu'il affichait.

— C'est peu probable.

— Oh détrompes-toi bien. »

  Il lui fit un nouveau sourire plus grand cette fois-ci avant de tourner les talons pour rejoindre le fameux James et son autre ami. Quand elle rejoint sa chaise, June se sentit encore plus perdue que quand elle s’était levée pour aller le voir.

« Pourquoi tu ne lui as rien dit ? Elle est en droit de savoir, rétorqua Paul à James sur un ton de reproche.

— Il faut d’abord qu’on en parle au conseil. On est même pas sûr que ce soit elle.

— Ah parce que tu en connais beaucoup toi des jeunes femmes de notre âge environ qui ont des lunes sur le bras, intervint le troisième qui était resté silencieux jusqu’ici.

— Pourquoi Mark ? Les Dieux t’ont enfin parlé, répondit James en levant les yeux au ciel d’exaspération. Et qui plus est ce n’est pas à nous de lui annoncer !

— Ah parce que tu crois qu’ils vont envoyer qui pour s’y coller ? Héra en personne ? Je la vois bien débarquer : « Tu es ma descendante. Tu as des pouvoirs que tu ne connais pas encore et tu vas devoir les assumer ! Au revoir mon chou ! » Oui remarque après réflexion c’est crédible tu as raison, lança Paul d’un ton sarcastique.

— Les Anciens nous tueraient s’ils apprenaient qu’on lui a dit quelque chose, tenta de se défendre pitoyablement James.

— Oh, au diable ces vieux croûtons ! Mets-toi à sa place cinq minutes ! Tu ne penses pas que tu flipperais de voir trois inconnus insinuer qu’ils connaissent des choses sur toi que tu ignores, reprit alors Paul. »

  Un long silence s’en suivit pendant lequel lui et Mark se jetèrent un coup d’œil satisfait alors que le groupe arrivait aux abords du Bayou où ils s’enfoncèrent dans les bois d’un pas décidé, là où n’importe quelle personne censée ferait demi-tour. Les trois jeunes hommes continuèrent leur route jusqu’à un énorme rocher qui sortait de terre. D’une démarche toujours aussi sûre, ils se dirigèrent droit sur un rideau de lierre, accroché à même la pierre, que James écarta du bras, découvrant l’entrée d’un tunnel. Il passa la végétation le premier sans même attendre ses compagnons. Ceux-ci laissèrent échapper un rire face à la bouderie du blond qui n’avait pas dit un mot depuis leur altercation et passèrent à leur tour. Après quelques minutes de marche ils arrivèrent enfin au bout de l’interminable galerie, qui s’enfonçait de plus en plus sous terre. Une imposante porte en bois à deux battants se dressait devant eux et bouchait totalement le sous-terrain. Une pancarte en bois poncée et vernis, où était inscrit en lettre d’or « Porte Nord », était accrochée au centre. Paul lança une pièce en l’air qu’il rattrapa au vol avant de la glisser dans une fente quasiment imperceptible parmi les moulures dorées sur la porte. Elle retomba alors dans une sorte de récupérateur semblable à celui d’un distributeur de soda. Il récupéra alors la pièce qui semblait être en or massif avec un trident gravé de chaque côté. A peine la pièce dorée dans la main du jeune homme la porte s’ouvrit dans un silence absolu contrairement à ce que son poids aurait pu laisser paraître. Derrière s’étalait une allée de pierre où des bâtiments en marbre se dressaient de chaque côté de la voie. Le long était parcouru de lampadaires qui diffusaient une lumière d’un blanc vaporeux au même titre que l’éclairage qui s’échappait du haut de la grande galerie. En tendant l’oreille on pouvait également entendre les remous de l’eau qu’on voyait s’étendre en contre bas. A mesure que le soleil déclinait, perceptible par l’ouverture de la grotte, face à l’entrée, la lumière diffusée artificiellement augmentait, de sorte que tout soit visible comme en plein jour. Les trois jeunes hommes ne s’attardèrent pas sur la beauté des lieux, y étant plus qu’habitué et descendirent au pas de course vers un des plus gros bâtiments, situé à l’est de la cité. Un homme aux cheveux grisonnants et une femme qui lui ressemblait fortement, sortirent du monument en marbre. Ils s’arrêtèrent au niveau des colonnes qui supportaient une avancée du même matériau, devant laquelle était gravés douze signes dont, pour les plus connus, le foudre, le trident et la chouette Athénienne.

« On l’a trouvée ! »

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