Chapitre 5

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  La fin de semaine avait semblé durer une éternité pour June. Elle n’était que l’ombre d’elle-même. Toujours perdue dans ses pensées, elle était incapable de ressortir ne serait-ce qu’un des sujets de cours qu’elle avait vu les trois derniers jours. Les paroles des professeurs n’arrivaient pas à trouver le chemin vers son esprit tant celui-ci était occupé à se poser des questions sans réponses. Le paon était revenu. Plusieurs fois. Sous diverses formes. Dans un dessin fait de sa main, un reportage à la télévision. La jeune femme avait même eu l’impression d’en voir un voler au-dessus de sa tête la veille en rentrant. Mais il n’y avait pas de paons en Louisiane. Excepté en captivité. Et surtout elle n’avait jamais vu autant de fois cet oiseau en si peu de temps. Ou alors elle n’y avait jamais prêté attention.

  Pour la troisième fois cette semaine, June avait refusé de sortir avec ses amis. Elle qui d’habitude prenait grand plaisir à le faire, en ce moment elle n’en avait pas le goût. C’est donc en traînant des pieds qu’elle arriva chez elle avec dix minutes de retard comparé à l’heure habituelle. Un soupir traversa ses lèvres quand elle monta les marches du perron.

« Je suis rentrée maman, lança-t-elle en posant son sac dans l’entrée.

— Ah ma chérie te voilà ! Viens dans la cuisine s’il te plaît. »

  Arrivée sur le seuil de la porte elle haussa un sourcil en voyant que sa mère était accompagnée. Elle ne reconnaissait pas les personnes avec qui elle était, tout bonnement parce qu’elle ne les avait jamais vu chez elle. C’était un homme et une femme d’une cinquantaine d’année voire plus. Leur ressemblance lui laissait penser qu’ils étaient parents si ce n’est même frères et sœurs. June voyait leurs yeux vert émeraude la détailler de haut en bas. Leurs mains étaient croisées dans la même position sur la table devant eux. Ils avaient tous les deux des cheveux auburn où des mèches blanches étaient dispersés. Mais ce qui retint le plus son attention fut la broche épinglée à la veste de costume de l’homme. Le cycle lunaire. Elle sentit le sang quitter son visage et ses mains se mirent à trembler.

« Bonjour June, je suis Oscar. Je te présente ma sœur, Ofélia. Assieds-toi je t’en prie. Nous avons à te parler.

— Je sais de quoi vous voulez me parler. Mais c’est non. Je refuse de croire à tout ça ! C’est… C’est tout bonnement impossible !

— Assieds-toi s’il te plaît, répéta-t-il avec un calme sans faille. Clara, pouvons-nous avoir quelque chose à boire s’il vous plaît ?

— Avec plaisir, répondit-elle dans un sourire. Écoute-les. S’il te plaît, murmura-t-elle à June. »

  Cette dernière fusilla sa mère du regard avant d’obtempérer en s’installant face aux deux inconnus.

« Que me voulez-vous ? Votre fils est déjà venu me sortir ses idioties l’autre jour. Je n’ai pas besoin que vous en rajoutiez une couche !

— James ? Ce n’est pas notre fils. Madeline en revanche est notre nièce. Éloignée certes, mais elle n’en reste pas moins notre nièce.

— Vous êtes venus ici pour me parler de votre arbre généalogique ?

— Non, bien-sûr que non. Nous avons d’autres sujets bien plus importants à aborder.

— Oui comme votre soi-disant descendance…

— Exactement. Je pense que James t’a expliqué les bases. Et il a surtout dû te laisser avec beaucoup de questions.

— Absolument pas. Comme je vous l’ai dit je ne crois pas à tout ça, mentit-elle en baissant les yeux face au regard perçant d’Oscar.

— Ah oui ? Tu n’as rien trouvé de suspect ces derniers jours ? Tu t’es résolue à croire que ta marque était belle et bien une cicatrice ? L’orage qui a eu lieu quand James est venu te parler ne t’as pas paru… bizarre ?

— Non.

— Tu as beau être téméraire tu mens mal June. Je t’ai observée depuis ton arrivée. J’ai vu ta réaction quand ton regard s’est posé sur ma broche. Ce n’était pas celle de quelqu’un qui n’a pas cru un mot de ce qu’on lui a raconté. Bien au contraire.

— Qu’est-ce que ça change ? Je ne rejoindrais pas votre descendance.

— Tu n’as pas à la rejoindre. Tu en fais partie, que tu le veuilles ou non. Dis-moi June, tu n’as pas aperçu un paon récemment ? »

  La brune sursauta au nom de l’oiseau et croisa ses mains sous la table pour les serrer en tentant de contrôler ses tremblements qui s’accentuaient. Elle ne savait pas si c’était de la colère où de la peur. Tout ce qu’elle arrivait à constater c’est qu’elle n’arrivait pas à les contrôler. Elle reporta son attention sur l’homme en lui jetant un regard mauvais sans pour autant lui répondre. À quoi bon. Il saurait qu’elle mentait.

« Tu sais à qui est relié le paon ? »

  Elle secoua la tête en guise de réponse. Elle avait beau chercher dans sa mémoire elle ne s’en souvenait pas. Elle savait les basiques : le trident pour Poséidon, le Foudre pour Zeus, la chouette pour Athéna. Mais ce volatile-là elle n’en avait aucune idée.

« Le paon est l’attribut d’Héra. Elle est identifiée à Junon dans la mythologie romaine. Ce nom ne te rappelle rien ? »

  Bien évidemment qu’il lui rappelait quelque chose. Son propre prénom. Mais ce n’était qu’une pure coïncidence. Sa mère ne pouvait pas avoir été au courant de ça toute sa vie sans jamais lui en avoir parlé. Elle sentit les larmes lui monter aux yeux à la pensée que ça pouvait être le cas.

« Je te rassure. Ta mère ne savait rien de notre existence jusqu’à aujourd’hui. Nous avons discuté un moment avant ton arrivée. Comme toi, elle a eu du mal à y croire au début. Elle a fini par changer d’avis lorsque nous lui avons parlé de ton accident.

— Qu’est-ce que mon accident a à voir là-dedans. James m’en a parlé aussi.

— Les cercles de descendants existent depuis des siècles. Ils sont toujours composés de douze personnes. Il y en a toujours onze qui naissent dans le même village…

— Oui et un ailleurs, ça je suis au courant, on me l’a déjà dit.

— Exactement. Et cette marque que tu as sur l’épaule apparaît sur tous les descendants extérieurs à un moment bien précis de leurs vies.

— Ils se font tous renverser ?

— Bien-sûr que non, les voitures n’existaient pas il y a cinq cents ans. La marque apparaît quand le descendant meure, June. »

  La concernée haussa un sourcil et hésita un instant entre l’hilarité ou éclater en sanglot. Elle finit par partir d’un rire nerveux en secouant vigoureusement la tête. Elle, morte ? C’était impossible. Elle arrivait à interagir avec les objets, les personnes qui l’entouraient. Elle ne pouvait pas être une espèce de fantôme.

« Alors je suis une espèce de zombie c’est ça ? Arrêtez, s’il vous plaît. J’en ai marre de vos bêtises.

— Ce ne sont pas des bêtises June. Tu n’es pas un zombie certes, mais tu as bien succombé à ton accident ce soir-là. Trente-six minutes pour un cœur qui redémarre, tu ne trouves pas ça long ? Surtout rester sans séquelles après autant de temps ?

— Je ne suis pas médecin.

— Moi non plus mais je peux t’assurer que non, un cœur ne redémarre pas aussi longtemps après s’être arrêté. Ça ne t’a pas paru étrange d’avoir récupérer aussi rapidement ? Des fractures remises en deux semaines ? Tu n’as eu besoin d’aucune réadaptation pour marcher, rien. Tu as guéri seule. Et à une vitesse fulgurante. Ça, ce sont tes dons de Moonmarks qui sont apparus June. Et ta marque par la même occasion. »

  Elle avait l’impression que le ciel lui tombait sur la tête. Bien-sûr qu’elle s’était posé toutes ses questions. Mais elle avait trouvé des réponses d’elle-même. Bien que tirées par les cheveux elles lui avaient parues suffisantes. Mais face à ces faits elle avait du mal à nier les révélations d’Oscar. Elle ferma les yeux et pris une grande inspiration. Quand elle les rouvrit elle les ancra dans ceux de l’homme face à elle, résolue. Elle était la descendante d’Héra. Elle faisait partie d’un cercle de descendants des Dieux de l’Olympe.

« Et maintenant, demanda-t-elle d’une voix faible. »

  Oscar lui fit un immense sourire, on aurait dit qu’il avait gagné un milliard à la loterie.

« Maintenant tu dois rejoindre Talos. Tu dois nous rejoindre.

— Je ne peux pas partir du jour au lendemain, j’ai mes cours. Ma famille est ici, mes amis !

— J’en suis conscient June mais il est crucial que tu viennes avec nous. Bien-sûr nous te laisserons le temps qu’il faudra pour te préparer mais il faut que tu regagnes Talos.

— Ce n’est pas un adieu à ta famille June. Juste un au revoir il y a… commença Ofélia qui était restée silencieuse jusque-là.

— Les portails, finit la brune dans un soupir.

— Oui, les portails, confirma la femme face à elle en lui faisant un sourire rassurant. »

  La jeune femme tourna la tête en direction de la cuisine et vit sa mère qui la regardait avec des yeux rougis, au bord des larmes. Elle lui sourit également et June finir par hocher la tête.

« D’accord. Je vous suis. Mais j’ai besoin de quelques jours. Le temps de dire au revoir.

— Bien entendu. Quand tu seras prête, écris sur cette carte. Brûle-là et nous aurons ton message. Je suis heureux que tu aies entendu raison June. »

  Elle hocha la tête mais ne trouva pas la force de se lever en même temps qu’eux. Oscar posa une main réconfortante sur son épaule et Ofélia lui caressa tendrement la joue en lui souriant. Sa mère les raccompagna jusqu’à la porte et revint vers sa fille pour l’enlacer.

« Je t’aime ma chérie. Quoiqu’il advienne je t’aimerai toujours.

— Je sais maman. Moi aussi. Mais j’ai peur…

— N’aies pas peur. C’est pour ton bien. Et puis tu vas devenir une vraie guerrière, rit-elle à travers les larmes qui coulaient maintenant sur ses joues. »

  Une semaine plus tard June se trouvait dans son jardin. Elle regardait la carte entre ses mains. La tournant et la retournant. D’un côté il y ‘avait le dessin d’une sandale ailée. De l’autre était noté trois petits mots : « Je suis prête ». Elle avait trouvé ça pathétique de les avoir notés au stylo. Sur une telle carte qui ressemblait à du parchemin, il aurait été de meilleur goût d’écrire à la plume, mais elle n’en avait pas sous la main. Elle avait donc fait avec les moyens du bord.

  La brune finit par se résoudre à prendre le briquet posé sur la table du jardin et l’alluma. Elle approcha la flamme du papier et l’éteint une fois qu’elle fut sûre que le feu avait bien pris. La carte se consuma au fur et à mesure que sa vie d’avant s’éloignait. La jeune femme avait pris le temps de faire ses valises, d’expliquer à ses amis et à son père qu’elle devait partir. Elle ne leur avait pas dit toute la vérité. Juste qu’une une fac en Europe avait accepté sa candidature et qu’elle ferait de temps en temps le voyage pour les voir. Ils s’étaient tous insurgés, en particulier Léandre et son père qui n’avait pas compris pourquoi elle ne leur avait pas dit plus tôt qu’elle s’était inscrite dans une école anglaise. Ce à quoi elle leur avait simplement répondu qu’elle ne pensait jamais être prise et qu’elle ne voulait pas leur donner de fausses inquiétudes. Son père avait fini par se résoudre. Léandre pas.

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