4. Au cœur des ténèbres

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4. Au cœur des ténèbres

Une fois l’intégration d’Ahmed effectuée, la civilisation viking apparaît moins triviale. Une autre apparence naît de la mise en scène de John McTiernan. Loin de donner un film de guerre moyenâgeux, le réalisateur se penche sur les aspects culturels, sociaux et politiques des deux civilisations. Il suggère, par le biais d’une troisième, que les points de comparaison ne sont pas uniques. Si Fadhlan pense d’abord que les Vikings sont peu évolués, il se rendra compte que ce n’est pas le cas. Sa rencontre avec les Wendols lui fera comprendre que la civilisation viking n’est pas moins civilisée que la sienne mais différemment cultivée. Comme si Fadhlan avait été élevé à la lumière du monde, les souvenirs de sa patrie sont liés à la lumière. Tandis que les vikings semblent avoir été élevés dans la partie ténébreuse de ce même monde. McTiernan les filme dans l’obscurité, à la lueur des flammes.

Les vikings sont à l’image du milieu dans lequel ils vivent. Une fois ce fait admis, Fadhlan accepte alors sa propre évolution. Amorcée avec le langage, elle se traduira physiquement : il est blessé au visage lors de la première bataille, puis il quitte son luxueux vêtement d’ambassadeur pour une tenue plus confortable et ajoute à celle-ci une armure de combat. Parallèlement, il prend fait et cause pour ses compagnons. Il est identifié comme l’un des guerriers de Buliwyf, et c’est lui que l’on prévient d’un complot du prince Wiglif contre Buliwyf. Ahmed alerte alors ses compagnons. La séquence s’achève sur un combat opposant le meilleur guerrier de chaque camp. Herger, l’un des deux adversaires paraît le plus faible et l’issue du combat ne fait aucun doute. Pourtant, au dernier moment, alors qu’il est sur le point d’être battu, Herger pare le coup et décapite son adversaire. Cette scène est, une nouvelle fois, l’exemple du jeu des apparences auquel se livrent Buliwyf et ses hommes. Cette fois, la comédie n’est pas destinée à Fadhlan. Les paroles de Herger losqu'il se confie à son ami sont claires :

« − (…) il faut savoir feindre. Il est facile d’apprécier une forte apparence. C’est ce qu’il fait depuis le début. Maintenant, il va devoir juger… ce qu’il ne voit pas !

− … et craindre… ce qu’il ne connaît pas… »

La dernière étape d’intégration physique faisant de Fadhlan l’égal d’un guerrier permet à McTiernan de mettre en lumière un autre personnage.

Ahmed Ibn Fadhlan n’a jamais été le protagoniste principal du récit. En revanche, il en est le narrateur. Le regard porté sur les Vikings est subjectif et évolutif. Il est donc normal qu’il occupe une position similaire au premier rôle durant une partie du film. Puis, Fadhlan s’efface pour devenir un guerrier parmi d’autres. Le montage du récit lui laisse tout de même quelques scènes de bravoure. Ainsi le sauvetage d’un enfant face au Dragon luciole − scène absente du roman − ou encore la découverte de la nature de ce dragon lui reviennent, ainsi que de nombreux plans au cours des batailles.

La mise en scène de McTiernan ne lui enlève pas son rôle de narrateur. Elle montre comment, d’une bataille à une autre, Fadhlan s’enfonce, avec les vikings, dans l’obscurité. Elle évoque une descente aux enfers. Celle-ci a été amorcée dans l’épisode de la ferme. Les Wendols sont perçus comme des êtres maléfiques. Ils ne sont d’abord que des silhouettes distantes. Les cornes, l’empreinte griffue trouvée par l’un des Vikings à la ferme, leurs apparitions dans la brume et les traces évidentes de leur cruauté, les identifient aux démons des légendes ancestrales. Ils sont ce que les ancêtres des Vikings ont combattu pour gagner leur humanité. Et c’est bien ce dont il est question dans ce récit.

McTiernan ne s’attarde pas à décrire la civilisation des Wendols. Ce n’est pas contre un peuple que les hommes de Buliwyf vont lutter mais contre les superstitions, et l’obscurantisme qu’elles entraînent, et contre leur animalité. Fadhlan a compris que les civilisations ne se développaient pas à la même vitesse, ni de la même manière. Ce qu’apportent les Wendols avec eux peut être vu comme un mal tendant à se développer. Ce mal, il est prêt à aller l’extirper, comme ses compagnons, à sa racine. Le chemin pour y parvenir sera long et difficile.

En ce sens, les quatre batailles représentent des étapes.

La première se passe en lieu clos, fortifié et mal éclairé. Nous ne percevons que des silhouettes sans savoir qui a l’avantage du combat. Les actes des Wendols, eux, sont clairement montrés et renforcent l’idée de leur barbarie. Ce premier combat est un piège tendu par les hommes de Buliwyf. Les Vikings ont bénéficié de l’effet de surprise.

La deuxième bataille est un siège. Les hommes sont préparés et le village est fortifié. Les Wendols espèrent profiter de la crainte inspirée par le Dragon luciole, mais celui-ci est identifié avant la bataille : il s’agit de cavaliers wendols portant des torches, et son grondement est le martèlement des sabots de leurs chevaux amplifié par la brume. Cette attaque, comme la première, commence dans l’attente. Les Wendols la déclenchent en effectuant un premier raid incendiaire. Le thème musical, similaire à celui de l’attaque précédente, progresse avec la bataille mais n’en efface jamais le fracas. Fadhlan découvre que les créatures sont humaines et cette découverte le met face à sa propre humanité. Sa descente aux enfers se poursuit. Elle n’est plus seulement physique. Dans un premier temps, il a dû vaincre son dégoût pour la mort, puis, dans un deuxième temps, son appréhension de la bataille (il n’est pas un guerrier), et sa crainte des Wendols (il sait ce qu’ils sont capables de faire). À la fin de cette bataille, le choc de sa découverte et la férocité de l’assaut lui ont ôté tout jugement et toute raison. Il ne lui reste que le seul instinct qui soit commun à l’homme et à l’animal : l’instinct de survie. Cet instinct primaire le sauve lorsqu’il se retrouve au milieu des Wendols, donnant cours à sa propre violence. Cette perte temporaire d’humanité est figurée par des plans courts le montrant luttant contre un ennemi invisible. L’eau et le feu dans lesquels il se bat symbolisent le bien et le mal dont est fait l’homme. Cette scène s’achève sur une prière. Lorsqu’il revient au camp dévasté, il remonte à la surface du monde. Tout concourt à sortir Fadhlan de l’obscurité, même la boisson que lui offre Herger qui n’est pas du vin issu de la terre et de la fermentation du raisin, mais de l’hydromel fait à base le miel.

Le troisième combat est un duel. Buliwyf, Fadhlan et les Vikings survivants investissent le repaire des Wendols. Ils s’enfoncent au plus profond d’une caverne à la recherche de la Mère des Wendols. Tandis que ses compagnons protègent ses arrières, Buliwyf poursuit son chemin au cœur de la grotte et se retrouve face à celle-ci. La mère des Wendols est présentée comme un animal. Sa position et son aspect physique l’éloignent de toute humanité. Aucune peur ne se lit dans son regard alors que Buliwyf s’approche d’elle. Le duel est expéditif (environ quinze plans courts), et il est fatal pour ses deux participants à des échéances différentes. L’ennemie parvient à empoisonner le Viking avec une griffe avant que celui-ci la décapite. L’excursion s’achève sur la fuite des Vikings, une fois leur tâche remplie.

Enfin, la quatrième est l’ultime bataille. Tous les vikings ont le sentiment qu’ils vont mourir. Ils sont prêts à aller jusqu’au bout mais la mort de leur chef leur a ôté la volonté de vaincre. La première partie de cette séquence est éclatée. La camera se focalise sur différents intervenants et actions prolongeant ainsi le temps. À l’article de la mort, Buliwyf se présente sur le champ de bataille. Par cet acte de courage, il incarne la volonté de son peuple. La distance que prend la camera par rapport à lui (elle le montre au travers de plans descriptifs / plans larges) indique qu’il n’est déjà plus de ce monde. Il y a là une allusion à la croyance des Vikings à propos de leur destin : tant que celui-ci ne s’est pas accompli, ils ne peuvent mourir. Après la Mère des Wendols, le destin de Buliwyf est de tuer leur chef. Chaque scène est amplifiée par des ralentis visuels et sonores. Les gestes sont alourdis et semblent plus violents. La pluie et la boue, les couleurs et l’atmosphère participent à cette torpeur symbolisant la conscience des actes des combattants. Leur esprit ne tend que vers un seul but : la vie.

McTiernan la sacralise en montrant qu’elle n’est jamais aussi forte que face à la mort. Cette torpeur disparaît à l’instant où Buliwyf parvient à tuer le chef des wendols. Son destin est accompli. Alors que la bataille s’achève, ils ont tous un regard pour lui − chaque plan le montrant fait suite à celui de l’un de ses hommes − comme si chacun voulait emporter un souvenir qui lui est propre et y puiser le courage dont il pourrait avoir besoin. La victoire de Buliwyf est aussi la leur.

La phrase de Fadhlan, indiquant la fin, est autant pour les wendols qui disparaissent dans la brume, et pour la fin de la bataille, que pour Buliwyf qui, dans un dernier acte de courage, s’est assis sur les remparts tel un roi sur son trône, le regard tourné vers l’horizon.

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