3. The 13th Warrior : un film heroic fantasy

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3. The 13th Warrior : un film heroic fantasy

D’un point de vue scénaristique, The 13th Warrior pourrait se résumer en une phrase : un groupe de guerriers doit combattre des monstres sanguinaires (et s'il faut être un tout petit peu plus précis : dans des espaces délimités tels une forteresse, un camp fortifié et une grotte, et le plus souvent dans l’obscurité, sous la pluie et dans l’eau et la boue). Mais l’intrigue se révèle plus complexe dans la mesure où elle trouve sa raison d’être dans deux quêtes : celle de Fadhlan qui doit abandonner ses préjugés envers les vikings et comprendre qu’ils sont autant civilisés que lui. Celle d’un groupe d’hommes qui affronte le mal absolu et qui, pour le combattre, doit utiliser les mêmes armes. Pour cela, ils doivent renoncer pour un temps à leur humanité.

Dès sa sortie, le film de McTiernan est catalogué comme un film d’heroic fantasy. La première bande annonce est un mélange d’horreur et de violence barbare : des guerriers défilent dans la nuit aux sons d’une musique tribale. Un slogan accompagne ces images : « Priez pour les vivants. » John McTiernan avoue avoir pour modèle le film de John Milius, Conan The Barbarian. Selon le réalisateur, ce film représente la « seule tentative honorable d’heroic fantasy filmée ».

Outre le fait d’évoquer une civilisation mythique, le récit original repose aussi sur une légende nordique : celle de Beowulf. Le nom du héros du 13th Warrior, Buliwyf, n’est pas sans le rappeler.

Jusqu’à la fin des années 90, réaliser un film de fantasy est une manière de faire de la science-fiction, mais à moindre frais dans la mesure où il est possible de se passer des effets spéciaux. Cela donne lieu à des budgets à la fois confortables mais néanmoins réduits. Notons que l’absence des effets spéciaux est relative. Disons qu’ils sont moins nombreux et moins élaborés. Si nous regardons le cas de Dragon Heart (1996), de Rob Cohen, l’ensemble du budget des effets spéciaux a été englouti dans la création du dragon. Le résultat est à la hauteur, mais au détriment des autres effets spéciaux (le vol du dragon).

À l’origine, en 1997, le budget du 13th Warrior était de 50 M$, un budget plus que confortable pour un film avec peu d’effets spéciaux, sans autres vedettes qu’Antonio Banderas (encore loin d’avoir le statut d’une star américaine malgré les différents succès auxquels il a déjà participé) et une brève apparition d’Omar Sharif. Pourtant, à la fin de la réalisation, en 1998, le film accuse un dépassement de budget estimé entre 60 et 80 M$, soit plus du double de son budget initial. Il est devenu le film le plus cher de cette époque produit par les Studios Disney, après Armageddon (1998), de Michael Bay. Toutefois, ces investissements financiers supplémentaires n’apparaissent pas de manière habituelle dans le film. À vrai dire, si les effets spéciaux sont quasi absents c’est parce qu’ils ne se voient pas. McTiernan a pris le contre-pied de l’une des règles de l’époque, dans le cinéma hollywoodien, qui voulait que chaque dollar investi dans les effets spéciaux soit vu à l’écran afin que le spectateur ait l’impression d’avoir bien dépensé son argent en allant voir le film.

McTiernan a préféré le réalisme au factice. Il a ainsi fait construire les éléments du décor dans leur totalité et en grandeur nature. Il a fait bâtir un village entier et un drakkar. Ce dernier sera réutilisé en studio pour la scène de la tempête. Le réalisateur tourne dans des décors naturels, au large du Canada, ce qui implique le transport des acteurs, des techniciens et du matériel. Enfin, il filme beaucoup et longtemps, car il imagine un film d’au moins deux heures. C’est une durée qu’il considère comme normale pour un récit d’heroic fantasy. La manière dont est filmé le récit relève aussi de l’heroic fantasy. Elle fait la part belle aux personnages, aux décors et à l’ambiance.

Pourtant McTiernan joue sur l’économie des moyens. Il ne filme pas les batailles avec grandiloquence, musique pompeuse et effets de mise en valeur du héros. Ces batailles n’ont pas seulement un retentissement cinématographique (défis techniques et savoir-faire dans la mise en scène pour renouveler un passage obligé de l’heroic fantasy). Elles intègrent le récit et la progression narrative des personnages.

Cette économie ne s’applique pas seulement aux batailles. Elle se retrouve aussi dans les regards et les expressions des personnages notamment pour la scène de la veillée funéraire sous la tente, ou encore dans la sobriété des gestes, avec la scène de la ferme, ou celle qui précède la première bataille dans la maison fortifiée. Dans cette dernière scène, aucun acte de bravoure, aucune scène festive avant la bataille. D’un simple geste, un Viking montre qu’aucun d’entre eux ne va boire plus que de raison ce soir-là. Quelques brefs plans montrent que les Vikings ne dorment pas non plus, mais restent aux aguets, et un plan semi-obscur sur le regard de Fadhlan montre sa peur, en contraste avec celle, maîtrisée, des faux dormeurs.

Il y a aussi ce geste de la femme qui caresse l’encolure du cheval de Fadhlan lorsque celui-ci part, avec ses compagnons, à la chasse aux wendols. Une autre version du film aurait, paraît-il, montré une relation plus étroite entre Fadhlan et cette femme. Ici, dans cette version, ce geste révèle la fatalité du destin, à la base des croyances des Vikings. Aucun des deux personnages ne se retourne. Il peut y avoir une autre signification à ce geste. Nous avons vu que les Vikings ne dévoilent pas leurs sentiments. À ce stade du récit, Fadhlan est intégré à la troupe de Buliwyf et imprégné de leurs us et coutumes. Il est donc normal qu’à l’instar de ses compagnons, il ne montre plus ses émotions. Cette scène prouve qu’un mouvement interne s’est opéré dans sa totalité chez l’ambassadeur arabe qui s’est métamorphosé en guerrier viking. Filmer l’émotion au travers de son absence relève du défi. C’est peut-être pour cela que McTiernan choisit de filmer un geste aussi simple mais éloquent.

Le choix des personnages relève aussi de l’esthétique de l’heroic fantasy. Buliwyf est le physique du film. Lui et ses hommes, par leur stature, par leur tenue vestimentaire, par leur manière de se mouvoir, de parler ou de rire, mais aussi par la profondeur psychologique qu’ils dévoilent au cours du récit acquièrent une épaisseur que leur ruse, leur bravoure et leur dextérité au combat consolident. Ils ne possèdent pas la musculature d’Arnold Schwarzenegger. Ils ne sont pas pour autant de faible constitution, mais ce qu’ils ont perdu en muscles, ils l’ont gagné en intelligence. L’intelligence échoie aussi à Fadhlan.

Mais, les frontières ne sont pas aussi définies que dans l’heroic fantasy originel. Buliwyf n’est pas seulement le muscle et la force brute. Il a toutes les caractéristiques d’un héros. Il est bon, noble et généreux. Il est aussi loin d’être stupide. Il participe activement à la stratégie qui consiste à ne pas montrer qui ils sont. Le deuxième personnage, Fadhlan aurait dû être son faire-valoir, et surtout "l’esprit". Or, il n’en est rien. Fadhlan et Buliwyf n’officient pas au même niveau. Lorsque l’un est sur le devant de la scène, l’autre est en retrait. Le rôle de Fadhlan est celui du narrateur. Il est le personnage auquel le spectateur s’identifie. En ceci, The 13th Warrior diffère d’un heroic fantasy traditionnel qui veut que le spectateur s’identifie plus au héros qu’à ses acolytes. Enfin, Fadhlan n’est pas seulement l’esprit, il est aussi la force. Il se bat aux côtés des Vikings. Il se fait même faire une arme à sa mesure pour mieux se battre et ne pas constituer une faiblesse pour ses compagons.

The 13th Warrior met face à face l’obscurantisme et la modernité : aux Wendols, les actes et les croyances obscures, et aux Vikings, les mœurs progressistes, parfois cruels pourtant aux yeux d’une autre civilisation, comme le montrent la séquence de la veillée mortuaire et celle des funérailles des rois vikings.

Certes, la frontière pourrait être mince, pour un étranger, entre les mœurs des Vikings et celles des Wendols. Mais chez les uns, il y a une trace évidente de civilisation au travers d’une structure sociale, tandis que chez les Wendols, celle-ci reste indéfinie. McTiernan suggère que les mœurs des Vikings sont plus civilisées que celles des Wendols, ne serait-ce que dans les rites qu’ils entretiennent avec les morts. Ils ne font pas de leurs victimes des trophées. Le réalisateur met en scène cet aspect de deux manières différentes : il accorde une séquence, dont Fadhlan est le narrateur, à l’immolation du roi viking, mais ce que les Wendols font de leurs morts est d’abord expliqué (« Ils emportent leurs morts. ») avant d’être montré dans la séquence de la grotte. Fadhlan et ses compagnons les voient ainsi ronger des os humains. Ensuite, les Vikings découvrent, en traversant l’une des chambres de la grotte, qu’ils marchent sur des os. Enfin, le repère de la mère des Wendols est tapissé de têtes décapitées, suspendues à des lianes. Tout comme la séquence d’immolation du roi à laquelle Fadhlan assiste, les actes des Wendols sont découverts au cours de l’incursion des Vikings qui les observent et en découvrent l’horreur. Bien que préparé, l’impact visuel n’en est que plus fort. Fadhlan et les Vikings sont du même côté. Leur point de vue devient celui du spectateur. La question de McTiernan devient implicite : si le spectateur a accepté les mœurs des Vikings est-il pour autant prêt à admettre celles des Wendols ?

Au travers du traitement du récit, McTiernan donne sa réponse. Il filme la violence, mais il n’en fait pas le sujet principal du film. Il cherche à montrer les vraies valeurs de l’Homme malgré cette violence. Il rejoint ainsi la thématique essentielle des récits d’heroic fantasy : mettre en scène des valeurs positives, même si, pour cela, il faut passer par un retour à la primitivité.

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