La Planète Bleue

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La Terre est constituée à 70% d’eau. À peu près. Une caractéristique qui fit sensation des siècles durant dans la communauté scientifique. De la flotte et des îles, certaines plus grosses que d’autres, voilà ce qu’on disait en substance. Il aurait été mal-avisé de ne pas savoir nager, ou pire, être allergique.

Il parait que des aliens un peu paumés ont quand même tenté leur chance. Selon une bande de bigots, ceux-là n’ont jamais pu quitter la Pennsylvanie, pas même la plantation de maïs dans laquelle ils avaient atterri. Décédés de quelques gouttes de rosée et d’un godet. Pouvoir voyager à une vitesse supraluminique, mais être incapable de remarquer que leur principale escale est en majorité constituée de leur mortel ennemi, il fallait réussir l’exploit. Comme quoi, il n’y a pas que l’Homme qui est né mal branché.

Des siècles plus tard, il n’est d’ailleurs plus là, l’Homme. Les trois quarts des bouts de terre longtemps émergés non plus. Cependant, là où la terre vallonne à présent les fonds marins, Sapiens n’a lui, jamais pris le temps de réapprendre à nager. Pourtant à en croire l’élite de l’espèce, se pâmant souvent devant la beauté de la planète bleue, on avait tous baigné dans la même soupe il y a longtemps.

Mais l’Homme est stupide, arrogant. Il a préféré se répéter que les machines qu’il construisait lui permettraient de survivre à la montée des océans. Sauf qu’une machine, aussi perfectionnée soit-elle, a besoin d’énergie et l’énergie d’un échange de bons procédés avec sa chère planète bleue.

Mais l’Homme, c’est bien connu, n’est pas plus poli que partageur. Il a préféré entuber l’hydrosphère, cogner l’écorce terrestre, éventrer ses voisins. C’était plus facile et réduisait soi-disant, la population trop nombreuse. La Terre, elle, commençait à en avoir assez.

Mais l’Homme s’en carrait. Il a joué la montre, persuadé que les nouvelles générations auraient moins de poison dans les veines. Convaincu qu’on pouvait tout arranger, même avec deux siècles de retard et la moitié de l’éco-système au Champ-des-Navets. Il a continué à rêver des astres, s’extasier pour le moindre grain de poussière et s’arracher le contrôle des terres qu’il ne voulait toujours pas partager.

Finalement, la Terre en eut assez.

Temps écoulé.

Retour à l’envoyeur.

L’Homme savait qu’il irait trop loin en forant les glaciers, mais il en voulait toujours plus. Les maux de Néandertal sont donc revenus au galop. L’Homme a résisté bien sûr. Comme tout bon parasite, il est résistant, s’accroche à son trône. Il a de fait survécu à des fléaux similaires au fil de son histoire, mais jamais avec une telle intensité. Confronté à son destin, il disparut un soir, balayé par l’océan. Sa carcasse rongée d’avarice sombrant dans les tréfonds qu’il ambitionnait d’aller bientôt tringler.

Depuis, la planète n’a jamais été aussi bleue. Dommage qu’aucun être pseudo-civilisé ne soit plus là pour en vanter la poésie. De l’humanité, il ne reste qu’une poignée d’astronefs égarés dans la voie lactée. Le reste demeure au fond des insondables abîmes océanes.

La vie, elle, a suivi son cours sous une infinité de formes diverses parties de rien. La plupart glissant sous les eaux, caressant le sable des abysses, participant au plus grand spectacle du monde, que si peu d’humains avaient pris le temps d’admirer. Certaines sont restées sur les terres encore émergées. D’anciennes montagnes, de minuscules archipels volcaniques, des îles naissantes. Elles vivent en paix, libérées de la folie de l’Homme.

La planète bleue mérite la paix, pas de fureter en submersible dans ses noirs abîmes.

Néanmoins, il préfère garder ses déductions et ses pensées pour lui. Déjà qu’il passe pour un crétin aux yeux de cet odieux prétentieux, incapable d’aligner plus de trois mots sans incendier le moindre péquin, il ne va pas s’évertuer à tenter une explication sitôt son retour à la surface.

En attendant, il a déjà fait le tour de l'îlot sur lequel ils avaient tous débarqué la veille au soir. Ce n’était pas bien grand, balayé par des vents contraires, recouvert d’une végétation aride et à l’a-pic d’une fosse océane.

Assis sur un rocher, occupé à faire ricocher des galets sur la mer, il est arraché à ses réflexions par l’autre.

- Donc… Chang, c’est bien cela ?

- Wetash.

- Je suppose que ça veut dire oui… Vous avez une idée de ce qui a bien pu se produire dans cet avenir ?

- Kabuna, ech docka morpher delco webney…

- Vous ne parlez vraiment pas une autre langue ? L’anglais à tout hasard ? Non ? Je suis sûr que vous savez plus de chose que vous ne le prétendez.

Chang interrompt son lancer et se tourne vers Leone. Il avait tiré la tronche quand il l’avait vu passer le portail la première fois. Dans son monde, son vrai présent, les cyborgs sont des ahuris, compensant à peine leur durite manquante de leur corps augmenté. Lui est différent. Posé, poli, astucieux et loin d’être un conneau, qui en plus parvient à canaliser la frénésie de Sanchez. Ou plutôt, à le rendre moins insupportable, surtout depuis que le professeur avait pu poser les mains sur son corps énigmatique.

En dépit de la sympathie qu’il lui inspire, Chang n’a pas la patience de batailler avec la langue de Molière pour lui communiquer une faible fraction de ses déductions. Sous le soleil de plomb, menacé au loin par d’inquiétants nuages chargés de tonnerre, il se contente de hausser les épaules.

Leone fait la moue et se rassoit, pour la troisième fois, contre une sorte de cactus dénué d’épines. En silence, ils attendent le retour du sous-marin de poche de Sanchez, parti seul, explorer les fonds océaniques. Bien du plaisir. Un miracle d’ailleurs qu’il ait réussi à lui faire passer le portail sans casse.

L’attente n’est plus très longue. Moins d’une dizaine de minutes plus tard, le petit submersible aux allures de scorpion crève la surface et vient rouler sur le sable blanc. À la vue des roues, Chang sourit, ce qui, comme souvent lui donne un air benêt qu'exècre Sanchez. Il peut reconnaître au moins au professeur son ingéniosité en matière de technologie.

Une des pinces du sous-marin serre un bloc de granite, vaguement sculpté, vestige probable d’un vieux temple humain, encastré dans la roche d’une montagne voisine. À l’horizon, la masse grondante de nuage s’est rapprochée. Encore dix minutes et ils sont barrés. Chang en met son pagne au massicot.

L’engin immobilisé, Sanchez bondit hors de l'habitacle. Vu son expression, il a ramené ce bout de roche juste pour ne pas revenir bredouille. Pas de rétro-ingénierie ce coup-ci non plus. Seulement de l’eau, des pierres, des siréniens, du sable et à l’occasion quelques gros léviathans se dorant la pilule à la surface, devant lesquels le professeur avait décarré en vitesse. L’océan ne souhaite plus la bienvenue à son ancien ennemi, d’ailleurs la tempête en vue, lui somme en quelque sorte de revenir d’où il vient, au risque sinon de finir comme ses semblables.

- Bon, lance Sanchez d’une voix forte. Mauvaise nouvelle, il n’y a rien ici. En tout cas, rien qui ne mérite mon attention. J’espérais au moins que notre espèce ait un peu évolué ou vive planquée quelque part dans les profondeurs, mais j’ai de sérieux doutes. L’humanité a aussi disparu ici.

- Voyez le bon côté des choses Eriko, la planète nous a survécu, dit Leone en train d’examiner le bloc de granite.

- Mychuno.

- Philosophez tant que vous voulez tous les deux, en attendant on se tire. Il y a des choses en dessous qui me donnent tout sauf envie de m’éterniser sur cette île et un ouragan approche au nord. Chang ! Arrête de jouer à l’eau et rouvre le portail. Le grand. Il faut refaire passer le Nautilus 500 à travers. Et que ça saute.

- Shanga day ?

- Parce que je te le demande, voilà pourquoi.

- Je peux peut-être aider, vous savez…

- Vous la Chouette, vous la fermez. Contentez-vous de m’aider à rapprocher mon sous-marin.

Chang grommelle des imprécations, pendant que l’improbable duo hisse le submersible sur le sol granuleux. Il était évident que balancer l’engin à l’eau était à la portée du plus crétin des simplets, mais le hisser sur la terre ferme allait forcément présenter des problèmes que ses frêles roues ne pouvaient surmonter. Évidemment, Sanchez n’avait rien voulu entendre. Il en paie le bazar maintenant.

L’assistant malgré lui vérifie les réglages de l’arc métallique, dernière itération en date de la machine, sobrement baptisée “Arc du Triomphe” dans un nouvel accès mégalomaniaque du savant. Ce n’est pas sexy, mais bien pratique, surtout pour transporter le merdier de son créateur. En plus ça règle enfin le problème de dissolution des textiles. Merci la Chouette de Novembre pour cette avancée, ainsi que sa force démesurée, sans laquelle le “Nautilus” serait à l’heure actuelle enlisé dans le sable.

Les batteries solaires du portail sont pleines. Chang ouvre le passage lorsque l’engin, toujours piloté par Sanchez, est à moins d’un jet de pierres. Le professeur passe le premier le vortex verdâtre. Peu pressé, Leone propose à Chang de filer à sa suite, mais celui-ci secoue la tête. Pas pour la beauté du paysage, à dire vrai, il ne peut déjà plus l’encadrer. Il faut seulement quelqu’un pour ramener l’arc. Hors de question pour Sanchez de l’abandonner ici, au même titre que prêter sa version miniaturisée, en permanence vissée autour de son bras. Retour à la méthode Manitou, à savoir : ouvrir un passage depuis le présent.

Après un dernier regard vers l’océan azur, Leone traverse donc le portail, transportant sous son bras mécanique deux lourds coffres, laissant Chang s’improviser Robinson. Reste que ledit a tout sauf l’envie de se fossiliser ici. Sans tarder, il commence à démonter l’imbroglio de tiges en titane enveloppé de panneaux thermiques et les ranger soigneusement dans un lourd coffre prévu à cet effet.

Alors qu’il ferme le couvercle, une secousse fait trembler l’îlot. Coup d’œil rapide vers la tempête. Elle est encore loin. Nouvelle secousse, cette fois-ci faisant vibrer la terre. Une corniche en amont s’effrite dans l’océan bouillonnant.

Chang plisse les yeux. Il y a quelque chose dans l’eau. Quelque chose de long et massif…

La surface se crève soudainement, projetant des trombes d’eau sur la végétation à la manière d’une éruption volcanique. Derrière Chang, l’air crépite, commence à se compresser. Le portail de Sanchez est sur le point de s’ouvrir. Tant mieux.

Une immense créature louvoie à quelques centimètres de la surface. Entre les vagues formées par ses mouvements, Chang discerne un corps écailleux, absorbant l’éclat du soleil et semblant bleuir au contact de l’air. La créature plonge, courbant son corps vers les abysses pour bondir à la surface, de l’autre côté de l’îlot. Chang n’a jamais vu une créature pareille, ni aucun être humain d’ailleurs. Sorte de croisement entre un alligator et une anguille, pourvue d’appendices tentaculaires aux extrémités des pattes. Une aberration darwinienne, un monstre de la taille d’un stade de foot.

La chose plonge à nouveau pour cette fois serpenter autour de l’îlot, secouant la roche, crevassant la terre. Bien qu’il soit insignifiant en comparaison de ce monstre, Chang a l’intime conviction qu’il le veut lui.

Comme pour le confirmer, la créature pousse un terrifiant cri guttural, qui manque de perforer les tympans de Chang. Juste après, la pointe de l’îlot est frappé d’un éclair céruléen. Ce n’est pas la tempête. La foudre vient de la mer, du monstre. Le corps de celui-ci est maintenant veiné de courbes électriques.

Le portail s’ouvre enfin. Il a mis le temps, mais dans l’immédiat, Chang s’en cogne. La créature a senti quelque chose. L’espoir ? Le soulagement ? Toujours est-il qu’une partie de son corps jaillit hors de l’eau en grognant.

Chang ne réfléchit pas. Il saisit le coffre et saute presqu’à travers le voile verdâtre entouré d’électricité, au moment où le monstre marin fracasse l’île en deux d’un terrible coup de patte.

L’Homme a fait son temps sur la planète bleue.

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