Vide

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Le silence.

Pas de son, pas de vent. Une étole de vide, comprimant les tympans, aspirant toute intrusion.

Pas de ciel, pas de terre. Seulement un sol dur, éraflé, sous un astre aveuglant. Une étoile mourante, à la fois si proche et si loin, dont l’ardeur d’antan décline depuis l’origine du temps.

Leone est le premier à se redresser, à regarder autour de lui. Son corps paraît lourd, mais ses mouvements si fluides. Il n’y a pas un son, aucun bruit, pas même celui du battement de son cœur ou de son anatomie. Rien. Au loin, perdu dans le silence de l’horizon, il distingue de légers reliefs rocheux, sinon grenus et morcelés, loin de la lisseité du sol en apparence infini.

Une chose est sûre, il est tout sauf arrivé à la destination visée. Au moins pas à la bonne époque. Sanchez a vraiment raté le coche ce coup-ci, ce qui ne semble pas inquiéter le concerné, bien au contraire. Déjà occupé à tenter de gratter des échantillons du sol, c’est à peine s’il a montré le plus petit signe de trouble à leur arrivée.

Quant à l’immortel… Imo, il s’est simplement assis en tailleur, les yeux levés vers l’astre luminescent. Leone ne peut s’empêcher de faire de même. Une orbe, un soleil détraqué, privé de couleur et de chaleur, subjuguant la conscience, magnétisant l’attention.

- Votre quartier général est bien différent de ce que j’imaginais, déclare Leone, d’une pique.

Du moins, il essaie. Sa langue s’agite silencieusement, les mots glissent sans un bruit vers la sortie, mais aucun son ne résonne. Il n’y a que le vide absolu, parfait, dépourvu de vie, de chaleur, de froidure, d’entropie. Et pourtant, eux sont là. Debout dans un non-monde, respirant un air qui n’existe pas.

- Qu’est-ce qui se passe ?! demande Leone plus fort, sans parvenir pour autant à rompre le silence. Où sommes-nous ? Eriko ? …Imo ?

Ses deux compagnons ne lui prêtent aucune attention. Les yeux plissés, Sanchez scrute les très fines rainures, pratiquement imperceptibles, qui quadrillent le sol. Il n’a pas encore remarqué le phénomène.

Leone abat son poing vrombissant sur la surface.

L’impact ne cause aucune vibration, pas la moindre sensation de choc. Son poing n’égratigne même pas la surface au coloris inclassable, dénué d’équivalent dans le spectre humain. Des nuances vaguement grises ou topaze, brouillant la perception lors de sa contemplation, évoquant la solitude et la fin des temps.

Leone va se planter devant le seul qui n’est théoriquement pas concerné par cet enjeu. Imo ou Tobias, interrompt sa contemplation et l’observe.

- Vous savez où nous sommes ? articule lentement Leone, pour lui laisser la possibilité de lire ses lèvres.

L’immortel secoue la tête, fait des signes d’apaisement puis entame une gestuelle que Leone ne comprend pas.

- Une langue des signes évidemment. Y a-t-il une chose que vous ne savez pas faire Imo ? demande silencieusement Leone.

L’autre sourit, agaçant profondément Leone. Il se tourne et va chercher Sanchez, à son tour en pleine contemplation du seul astre présent. Mais comment demander des explications, lorsqu’il est impossible de communiquer ?

Le professeur hausse les épaules. Visiblement, il n’a aucune idée de la raison de leur présence dans cet endroit, ni ce qu’il en est précisément. Remarquant la gestuelle de Tobias, son visage se déride un peu. Eux pourront quand même communiquer.

- Vous connaissez cet angle droit ? interroge Sanchez en moulinant des mains.

- Quoi ?

- Soleil blanc. Sol. Vide.

- Non, je ne connais pas. Erreur de coordonnées ?

- Aucune. J’en suis plein. La famille ne m’a jamais fait ça.

- La famille ?

- Oui. Je viens de le miner.

- Ce n’est plutôt la machine que vous vouliez mimer ? demande Tobias, en articulant le mot de ses lèvres.

- Vous m’avez compris ! Je ne sais pas où nous plantons. Vide. C’est tout ce qu’il y a. Et le soleil blanc là-haut.

- Votre niveau est horrible. Arrêtez de jouer au chef d’orchestre. Contentez-vous d’articuler, je lirai sur vos lèvres.

- Celui-là fait très mal si je vous l’enfonce où vous savez, conclut Sanchez d’un dernier geste universel.

L’échange se poursuit, bancal, n’apportant aucune information digne d’intérêt. Le brassard de Sanchez refuse de fonctionner, figé sur la date maximale. Alors, privé d’alternative, ils commencent à marcher.

Le temps passe ou non. Qu’ils courent ou marchent, les reliefs dans le lointain ne semblent se rapprocher. L’astre demeure statique à la surface des cieux clairs et sans vie.

Altération. Tobias, le premier, la sent. Une subtile variation dans le vide ambiant, une frêle étincelle au milieu du néant. Leone perçoit un frisson. Le contact du ciel sur ses membres de substitution. Quand Sanchez note quelque chose, la lueur de l’astre gagne en intensité. Son rayonnement dissipe le désespoir astral, atténue la tristesse du sol. D’une bise tiède, le temps déchire le vide et ramène les anomalies dans ses méandres tortueux.

Ici, le Vide demeure.

Le silence aussi.

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