11.

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- Je ne vous forcerai pas, mais dépêchez-vous, dit Sanchez. J’aimerai arriver en-bas en évitant de mettre en rogne la présidente. Soyez sûr que vous en serez tenu pour responsable.

Cela achève de convaincre Emeryx, qui va même jusqu’à presser le bouton de fermeture. Les portes chuintent, l’ascenseur poursuit sa lente descente. Les secondes s’égrènent, silencieuses, inconfortables, surtout pour l’assistant qui caresse langoureusement la cabine de son regard de dorade.

- Dites… demande-t-il les yeux fixés au plafond. Est-ce que vous savez…

- Sanchez, reculez ! s’écrie soudainement Imo, faisant bondir Emeryx contre les portes.

- Byah ! D’où est-ce que vous sortez, vous ?! braille l’ingénieur pianotant désespérément le panneau de commandes pour immobiliser la cabine.

- Recule-toi si tu veux vivre !

- Quoi ?

Ce sera son épitaphe. Une secousse agite le ventre de l’ascenseur, manquant de faire tomber tout le monde à la renverse. La cabine s’agite, grince, puis le calme revient. Bref. Quelques secondes plus tard, un objet long et effilé traverse les portes coulissantes pour venir embrocher la première personne qui a eu le malheur de rester trop près.

Le visage d’Emeryx se gondole de surprise. Un court instant, ses yeux se perdent dans la contemplation de la lame lui traversant l’estomac. Puis vient la douleur, qu’il n’a pas le déplaisir d’éprouver, car la lame a tôt fait de prendre un virage perpendiculaire et de trancher sa panse, avec les portes. Sa bouche s’arrondit en un cri silencieux, avant qu’il ne bascule en arrière, dans les bras de son bourreau, en train de forcer son passage à travers les portes lacérées.

Celui-ci se débarrasse du corps aboulique d’un revers de main, l’envoyant percuter la paroi du trémie, et s’écraser, non sans ricocher sur les aspérités, une bonne dizaine de mètres en dessous comme une vieille pastèque, mais personne n’est là pour profiter du spectacle. De fait, Sanchez et Imo sont trop occupés à jauger le nouveau venu.

Vêtu d’un haori noir, drapé autour d’une sorte de kimono foncé, semblant onduler de sa propre volonté, à l’instar de la lame sombre du katana maculée de raisiné, le Samouraï de Minuit sait faire des entrées remarquées. Ses lèvres gercées se retroussent, dévoilant des dents jaunâtres, taillées en pointe que les ombres créées par la lumière instable du néon, rendent plus terrifiantes encore. Pour une personne normale.

Qui a dit que les deux occupants représentent le seuil de normalité ?

Le Samouraï n’a même pas le temps de pavoiser, que Sanchez lui tire dessus. L’onde de choc le projette contre les portes quasi-rompues, manquant de l’envoyer rejoindre l’épigénéticien. Il rebondit contre la paroi, se raccroche au chassis acérés, s’ouvre probablement quelques veines, mais tente tout de même de faucher l’air de son sabre.

Imo se baisse et, d’un mouvement fluide, le projette à nouveau à l’extérieur. Malgré sa position précaire, le SuperZ a anticipé une telle contre-attaque. Aussi prend-il appui sur le mur pour bondir de nouveau à l’intérieur de l’ascenseur. Excepté qu’il a oublié l’arme de Sanchez.

Le scientifique fait à nouveau feu, plutôt deux fois qu’une d’ailleurs, et renvoie le Samouraï lécher les parois du trémie, où il file s’écraser en-bas, sur une dalle de carboradium. Malheureusement, si le canon à cosmo-impulsion a du bon pour se débarrasser des adversaires les plus irritants, il n’est pas non plus l’outil le plus délicat pour préserver l’intégrité de la cage d’ascenseur.

Suite à la deuxième secousse, le limiteur de vitesse pète et le treuil s’affole, offrant un surplus de mou à la cabine qui n’a rien demandé. Ses occupants, si. Plus tôt, ces derniers n’auraient rien eu contre un peu plus de célérité, ce qui aurait évité à Sanchez cette interminable discussion oiseuse avec le feu Emeryx et les aurait conduit à destination en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire. Maintenant, la situation est un peu différente.

L’ascenseur triple subitement sa vitesse malgré le sifflement du frein et fonce droit sur le dallage du niveau G, où le Samouraï cloué entre marteau et enclume assiste, impuissant, au dernier instant de son existence.

- Eh merde, a-t-il le temps de prononcer.

Puis l’ascenseur vient concasser ses os, dans une ratatouille sordide d’un nouveau genre.


Silence. Partiel. La mécanique fume et le métal hurle. Au sein des entrailles de la cabine, Sanchez se redresse. Il n’est pas facilement impressionnable, ni d’une grande sensibilité, néanmoins son épaule gauche le fait souffrir. Un rapide regard lui apprend qu’elle est déboitée. Pas de déchirure ou de perforation. Ça pourrait être largement pire. D’un mouvement brusque, il la remet en place en grognant. Pas agréable, mais toujours mieux qu’une luxation. Il a pourtant frôlé la catastrophe.

Ses yeux à demi-larmoyants finissent par s’accrocher sur la silhouette d’Imo. La chute a été moins tendre avec l’immortel, que la pointe du katana, brandie une dernière fois par son propriétaire, a empalé jusqu’au cerveau à travers le sol pourtant cuirassé… où Sanchez se tenait encore, une poignée de secondes avant l’impact.

- Merde, dit-il à son tour, avant de se rappeler, qu’au fond, son acolyte ne risque pas grand chose.

Comme pour le confirmer, celui-ci remue et bientôt parvient à se dégager en sacrifiant de manière relative son foie, sa rate et trois bons mètres d'intestins sanguinolent. Il se traine, gargouillant jusqu’au mur le plus proche, où il s’adosse en soupirant. Croisant le regard dégoûté de Sanchez, il force un sourire dégoulinant de mucus écarlate.

- Les aléas de l’immortalité, déclare-t-il en pointant son corps ravagé. Je vous conseille de détourner les yeux.

Impensable pour Sanchez qui au contraire se rapproche et inspecte le katana fiché dans le sol, ainsi qu’au passage, les morceaux d’anatomie d’Imo trainant sur le sol gluant. C’est bien ce qu’il lui semblait. La surface noire de la lame du SuperZ ondule à la manière de vaguelettes granuleuses.

- Fascinant, commente-t-il en plissant les yeux.

- Ce sont des nanorobots… cet enfoiré en imprègne sa lame pour… détruire l’organisme de ses victimes, articule péniblement Imo en soupirant, avant d’ajouter avec un sourire baveux : À votre place professeur Javeloo, je ne m’approcherai pas. Ces machins ont tendance à s’autonomiser un peu trop sans leur propriétaire.

Sanchez hoche la tête. Il se recule et se tourne vers Imo, toujours les tripes à l’air.

- Vous allez vous en remettre ?

- Ah… oui, normalement, répond Imo. C’est comme des plantes, ça repousse. Vous connaissez la chanson, il faut juste que je meurs ou…

- Et vous allez crever dans combien de temps ?

- Quel coeur de glace, glousse-t-il à coups de glaires pourpres. Je suis du genre résistant, mais…

Imo s’interrompt, pris d’un tremblement. Ses pupilles se dilatent et son oeil gauche paraît soudainement s’embraser. Sa bouche s’ouvre, presqu’à s’en déboîter les mandibules et un son épouvantable, inhumain, oscillant entre un gémissement et un grognement guttural s’échappe de sa gorge. Le jeune immortel convulse, tente de glisser une main dans sa poche droite, avant de la plaquer sur son oeil flamboyant.

- M… Ma poche… bafouille-t-il la bouche pleine de sang. ‘ttrapez le… truc… vite !

- Qu’est-ce qui vous arrive ? interroge Sanchez, flegmatique.

- Vite, b… bordel !

Sanchez s’exécute. Hors de question de perdre sa seule escorte valable. Le scientifique s’agenouille et fourrage un brièvement dans le jean poisseux d’Imo jusqu’à refermer ses doigts sur un flacon-injecteur. Sanchez reconnait la substance grenat. Un Mirage.

- Plantez… plantez-le moi dans le bras !

- Dites, je suis pas votre larbin, faites-le donc v…

Imo se raidit. Son bras tombe mollement le long de son corps, révélant de nouveau l’éclat spectaculaire de son oeil. Si une flamme semble d’ordinaire y pulser lentement, ici, un brasier entier brûle la pupille d’une lueur céruléenne. Il pousse un terrifiant grondement, fixant Sanchez de sa rétine folle.

Le scientifique remise aussitôt son aigreur au placard. Mieux vaut ne pas prendre de risque. D’un geste précis, il plante l’injecteur dans la plus grosse artère brachiale et lui injecte toute la fiole.

L’effet est quasi-immédiat.

À peine a-t-il retiré l’injecteur, que les convulsions d’Imo cessent et celui-ci s’ébrouent. Sous les yeux ébahis de Sanchez, les tissus arrachés se retissent, son intestin, remis machinalement en place par Imo, se reconstruit, à l’instar de son anatomie disparue. Cinq secondes plus tard tout au plus, l’immortel a bondi sur ses pieds, comme neuf. Même les traces d’hémoglobine qui souillaient son corps, ont disparu, absorbées par son épiderme pris d’un accès de voracité.

Sanchez est bouche bée. Son regard glisse vers le katana toujours en place, au même titre que la rate déchirée et le foie pourfendu, gisant dans une flaque tirant vers le noir.

- Comment est-ce que c’est possible ? murmure le scientifique.

- Soyez pas si surpris, répond Imo en s’étirant. Les Mirages augmentent les capacités latentes des gens, non ? Chez moi, ça stabilise mon Lien, ce qui m’arrange pour beaucoup de chose.

- Votre Lien ?

- Oh non, pas encore… Pas le temps pour les explications. Contentez-vous de savoir que ma régénération retrouve son fonctionnement naturel et que ma présence est plus malléable. Je m’en serai servi si l’affrontement avec ce fou furieux se serait éternisé…

- Précaution inutile, je suis là.

- Mais vous n’êtes qu’un humain. Intelligent, mais un humain, vieux de surcroit.

- Je vous emmerde.

- Pareil, allez, on y va maintenant ! Zou ! J’ai hâte ! À la suite ! Allez !

Imo jaillit hors de la cabine, le diable au corps. Sanchez le suit, sourcils haussés. Quelle mouche le pique soudainement (29) ?

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