16.

5 minutes de lecture

La descente se poursuit. Lentement, très lentement, silencieusement aussi. Aux abords du niveau G cependant, Imo s’agenouille soudainement. Ses pupilles se dilatent, sa mâchoire s’ouvre, manque de se déboiter et un son terrifiant, oscillant entre un gémissement et un grognement guttural s’échappe de sa gorge.

Tremblant, le jeune immortel plaque une main sur son œil gauche, que Sanchez a juste le temps de noter bien plus brillant que ce à quoi il l’a toujours habitué. Comme Imo se recroqueville sur le sol, le scientifique exaspéré s’emporte :

- Non, mais c’est pas vrai ! Et vous prétendez être immortel ?! Ah ça pour se vanter d’avaler de l’essence et du vitriol il y a du monde, mais dès qu’il y a plus d’aspirine, vous jouez les emo. C’est quoi le problème ?

- C’est… Ce n’est pas parce que je suis immortel que je ne peux pas souffrir, okay ?!

- Pauvre choupi. Vous voulez une tisane, un petit remontant ? Un câlin peut-être ?

- A… Allez-vous faire foutre. J’ai jamais ressenti un truc pareil !

- Chacun son fardeau. Comptez pas sur moi pour vous consoler.

Imo marmonne un truc, mais reste en PLS. Sanchez attend. C’est pas comme s’il pouvait faire autre chose alors que l’ascenseur termine sa descente.

Finalement, après un temps lui paraissant une éternité, sinon une insulte à la relativité restreinte, Imo se remet à genoux et va s’adosser contre la paroi la plus proche. Doucement, il rouvre ses paupières palpitantes et découvre son œil gauche. Pour le coup, même Sanchez qui a pourtant assisté à plus d’une fin du monde, cille. Jamais ses yeux n’ont eu la sensation de s’égarer dans les profondeurs de l’abîme.

D’ordinaire, une sorte de feu follet semble pulser au fond du globe oculaire d’Imo. Dans le cas présent, la lueur s’est mué en brasier céruléen. Magnétisé, Sanchez ne peut s’empêcher d’être clairement mal à l’aise à mesure que son regard se perd dans la pupille brûlante. Il a la furieuse impression de contempler l’oeil d’un prédateur mort, prêt toutefois à lui bondir dessus pour l’éviscérer. Il finit par se détourner.

- Vous allez vous en remettre ? demande-t-il en fixant le panneau de contrôle.

- Il y a pas de raison, répond Imo en glissant le long du mur pour se remettre debout.

L’ascenseur s’immobilise. Ils sont arrivés.

Les portes coulissent, révélant une large pièce cubique, très similaire au hall de sécurité du 13e sous-sol. Un peu moins haute et large, mais sans dégradation apparente. Une grande salle toute en angles et en nuances ternes, donnant la part belle à la tuyauterie et aux câbles graisseux serpentant aux murs, de toute évidence en carboradium. Vide, aseptisé, ne figure qu’une seule et unique guérite déserte, encadrée de portiques, positionnée à un jet de gravillons de l’ascenseur.

Au début, Sanchez a pensé qu’ils sont seuls, mais Imo lui fait signe de ne pas avancer plus avant. Derrière la guérite, légèrement excentré, donc partiellement visible, un homme est assis dos à eux.

Même de dos, Sanchez, qui ne l’a pourtant croisé qu’une fois, deux, s’il compte la dégelée éclair dont l’a gratifiée Leone, reconnaît sans mal le Samouraï de Minuit. L’aversion que lui procure sa cuistrerie passive, ne risque pas de se muer en élan affectueux. Sentiment partagé par Imo, accroupit à son côté.

- Il ne nous a pas vu, précise-t-il.

- Merci Watson, j’avais remarqué.

- On se débarrasse de lui ensemble. Par surprise ce sera vite plié.

Sanchez porte une main à ses lèvres, se gratouille la lippe, puis le menton, pèse le pour et le contre, enfin il hoche la tête. Son autre paluche extirpe son canon à cosmo-impulsion de sa blouse et le règle à pleine puissance. Il mourrait d’envie de le tester sur une cible humaine, quoi de mieux donc qu’un SuperZ pour jouer au ball trap ?

- J’envoie une charge et vous allez au contact, d’accord ?

- On fait comme ça, répond Imo en s’étirant. Quand vous voulez.

Sanchez vise la guérite de laquelle dépasse une épaule du Samouraï et tire. La détonation est assourdissante, l’onde de souffle fait vibrer les parois, arrache des plaques entières de sol bétonné qui filent s’écraser sur le SuperZ projeté au fond de la pièce.

“Qu’est-ce que…” a-t-il tout juste le temps de prononcer avant que son minois ne vienne s'ébrécher sur les jointures d’Imo. L’immortel a profité du souffle de l’arme pour bondir à travers la pièce et lui asséner une pluie de gourmades. Les dents taillées en pointe du Samouraï pètent, ses os découvrent de nouvelles articulations. Un dernier coup de poing à la vinaigrette envoit sa nuque s’écraser sur le mur en carboradium dans un craquement très déplaisant.

Sa bouche se déforme, grimace, se fige en un long cri silencieux qu’Imo entreprend d’élargir à pleines mains, avant qu’une nouvelle onde de choc ne les fauche tous les deux.

Ensemble signifie en coopération. Pas admirer son partenaire passer ses nerfs sur un péteux en kimono. Au moins, du point de vue de Sanchez. Les doigts du scientifique pressent une nouvelle fois la détente, rasant la pièce d’un souffle destructeur.

Sa cible et le dommage collatéral demeurent un instant étendus au sol. Imo bondit le premier sur ses pieds, pestant.

- Pourriez au moins prévenir ? râle-t-il en s’époussetant.

- Pas le temps, ni envie de m’éterniser ad nauseam ici et encore moins, me faire devancer par les autres.

- Oh ? Esprit de compétition ?

- Qu’est-ce que ça peut vous ? Et puis, pourquoi on bavache là ? Allez terminer le travail, ce snobinard est en train de se réveiller.

Chose exact et non, pour une fois, une transition foireuse pour dévier une conversation en perdition côté sciences et avenir. Sur le point d’ajouter un dernier trait de rhétorique, Imo hoche la tête et marche jusqu’au Samouraï de Minuit.

La mâchoire disloquée, la colonne en charpie et globalement l’organisme en okayu, le SuperZ croasse des mots confus. C’est à peine si Imo arrive à discerner les termes “honneur”, “enfoiré(s)”, “loin” et un truc similaire à “moitié”, à moins que cela ne soit “pitié” ou “inanitié”. À vrai dire, il s’en fiche. D’une torsion des poignets, il lui brise la nuque, puis d’un coup de semelle concocte une marmelade pas piqué des cancouennes, pour peu que ses consommateurs aient des vues sur l’anthropophagie.

- Finish ! clame Imo en essuyant ses écrase-merdes sur le kimono sombre de son adversaire.

Sanchez lève les yeux au ciel, ici bétonné.

- Il a son compte, vous êtes sûr ?

- Oh oui ! Privé de cerveau, il y a plus grand chose à en tirer. Si vous voulez faire des prélèvements par contre, le moment est tout trouvé.

- Je passe.

- Vous êtes sûr ?

Sanchez ne répond pas. Il traverse la pièce en slalomant entre les débris des portiques de sécurité et les morceaux de béton fumants. Non loin de la dépouille du Samouraï, une double porte assez massive, mène au réacteur. Elle est surmontée d’un trèfle radioactif jaune et noir, barrant les T d’emblée.

Enfin, ils touchent au but (32).

Annotations

Vous aimez lire Naethano ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0