Chapitre 3 : Sur la route de Khizaan

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L’aube naissante, elles rejoignirent la cour des hôtes et s’étonnèrent de voir que les trois guerriers Awsir semblaient les attendre depuis un certain temps, la longe de leurs chevaux à la main. Malgré l’appréhension presque palpable qui marquait les traits d’Anna, celle-ci n’avait pas manqué l'occasion de se préparer. Elle avait fait le choix d’une superbe tunique noire brodée d’arabesques argentées, un long fouloir semi-transparent lui était assorti, enroulé délicatement autour de ses épaules et de la moitié de sa chevelure brune cendrée. Kahina se pencha légèrement pour s’assurer que sa sœur avait au moins pris la peine d’opter pour un vêtement lui assurant la liberté de ses mouvements. Absolument tout, dans cette tenue, était voué à faire ressortir son teint et ses yeux, dont le maquillage leur donnait la beauté de ceux d’une gazelle pourvue d’iris de couleur bleue. On leur amena leurs montures dont elles saisirent également la longe, et c'est ainsi que débuta le voyage qui les mènerait à Khizaan.

Ifrin était la ville la plus densément peuplée de la Terre d’Adhamra. Les voyageurs venant quelques fois de contrées encore inexplorées arrivaient de partout, attirés par une force qu’aucun d’entre eux n’était jusqu’alors parvenu à expliquer. Celle que l’on surnommait la ville aux mille civilisations avait traversé les âges, aux pieds de Celle qui était quant à elle, et selon la légende, appelée à perdurer pour l’éternité : La Citadelle du savoir.

La population, principalement composée de commerçants, d’artisans et d’intellectuels, vivait principalement des exportations de différentes matières premières provenant des carrières de la ville de Khizaan. Sur leur passage, les locaux et les voyageurs avertis s’écartaient naturellement, ils connaissaient la réputation de ce clan. Tous, sans exception, la respectait.

Ils parvinrent aux abords de la ville, là où dorénavant la fréquence des habitations se feraient de plus en plus rare. Déjà se dessinait plus nettement le début du désert : brûlant et dangereux, mais pourtant incroyablement attirant. Une fois franchies les ruines du mur de ce qui avait jadis été une imposante forteresse, arriva le moment de monter en selle. Force fut de constater qu’elles étaient, aussi bien l’une que l’autre, de pitoyables cavalières. Kahina avait dû s’y reprendre par deux fois et Anna avait fini par diriger sa rage contre les ruines.

— Mais pourquoi ne restaure-t-on pas ce fichu mur ! S’emporta-t-elle.

— Allons, ce n’est pas ça qui t'empêche de montrer sur ton cheval Anna ! Répliqua sa sœur, au bord du fou-rire, avant d’ajouter :

— Et puis, pourquoi ? Voilà des siècles que nous sommes en paix ! D’ailleurs, à part le Conseil, personne ne sait plus pourquoi ces murs furent autrefois construits.

— Mais c’est vraiment très laid ! Continua de maugréer Anna, s’éreintant à grimper sur son cheval. Il convient de souligner que l'animal fit preuve d’une patience exemplaire.

Kahina entreprit d’apaiser sa sœur afin de s’éviter à elle-même d’éclater de rire, se forçant ainsi à éprouver de l’empathie pour son aînée. Et tandis qu’elle conseillait Anna, son regard s'attarda sur la Citadelle, magnifique bâtiment dont la blancheur contrastait avec la couleur carmin des autres constructions de la ville. La pierre utilisée pour la construire n’existait plus, ou du moins, il n’était pas encore fait état à ce jour, d’une quelconque carrière exploitable.

— Il faut que ton mouvement soit assuré et rapide, Anna... Reprit-elle, détournant son attention de la Citadelle.

Les Awsir assistaient au spectacle, impassibles. Le plus âgé d’entre eux finit par faire remarquer que la décision de partir à l’aube relevait peut-être d’une erreur d’appréciation. Leur chevaux s’impatientèrent, jouant de leurs sabots sur le sol mi-rocailleux, mi-sableux. Anna parvint finalement à monter sur son cheval.

Zahrédine prit la parole, le timbre de sa voix traduisant son exaspération :

— Tâche de ne pas nous rendre cette première partie de voyage pénible. Si tel était le cas, je t'abandonne à Khizaan, tu n’auras plus qu’à trouver une caravane pour te ramener ici, auprès de ton promis.

À ces mots et d’un geste assuré, il dirigea son magnifique étalon noir en direction du désert et ses hommes firent emboîter le pas de leurs chevaux à ceux du sien. Tandis qu’ils devançaient les deux sœurs, ces derniers firent tour à tour peser leur regard sur elles. Kahina et Anna se regardèrent, avant de chacune baisser les yeux.

Cette première partie de voyage s’annonçait morose. Kahina, intimidée par l’aisance des cavaliers sur leur monture, ne prononça pas un mot et se contenta de les envier secrètement du coin de l'œil. Anna l’imita, paraissant sombrer dans un ennui de plus en plus profond à mesure que les structures construites de la main de l’homme se raréfiaient. Les dunes s’étendaient désormais à perte de vue, et Kahina se plaisait à contempler ce que lui offrait cette étendue désertique sauvage, d’une beauté qu’elle trouvait jusqu’à présent sans pareil.

Le désert Awsirai était celui qui comptait le plus d’oasis, et les Awsir le connaissaient aussi bien qu’un homme peut connaître sa propre maison. Il était aussi le plus clément des déserts que comptaient le Continent. C’est précisément dans l’une de ses petites oasis qu’eux-mêmes et leur bêtes se reposeraient, avant de reprendre la route le lendemain. Tandis que la nuit posait délicatement son voile sur l’horizon, recouvrant peu à peu d'obscurité le sable que foulaient les sabots de leurs chevaux, ils aperçurent une minuscule étendue d’eau auprès de laquelle était plantée une tente solitaire. Zahrédine leva la main, leur intimant de stopper leur monture, il continua quant à lui d’avancer et lança un appel en direction de la tente :

— Zam, mon ami ! Nous sommes des voyageurs à nouveau venus demander l’hospitalité de ton oasis pour la nuit. Le permets-tu ?

Un pan de la tente entourée de bibelots, mais sobrement décorée se souleva, et il en sorti un vieil homme maigre aux traits du visage craquelés. Il n'avait pas de chèche, et portait une longue tunique brune dépareillée et rapiécée de tous les côtés. Un sourire découvrit les dents qui lui restaient, il ouvrit les bras puis désigna l’étendue d’eau d’un geste ample et révérencieux :

— Ma terre est la tienne, guerrier. C’est un honneur pour moi de partager mon eau avec toi, ainsi que la nourriture que cette terre fertile veut bien m’offrir.

Zahrédine descendit de son cheval, s’approcha de l’ermite, toucha ses lèvres de sa main droite et la déposa presque affectueusement sur le front du vieil homme. D’un signe de sa main gauche, il indiqua à ceux qui l’accompagnaient de s’installer. Ils mirent peu de temps à s’installer et après s’être posés chacun sur leur paillasse respectives, Kahina posa la première question, qui serait aussi la seule de la soirée :

— Qui est cet homme ? S'enquit-elle auprès de leurs compagnons de route.

— C’est Zam. Répondit le plus jeune.

— Ah oui ? Fit semblant de s’étonner Anna, avant de poursuivre sur le même ton moqueur : nous étions tellement distraites par tant d’agitation en arrivant, que nous n’avons malheureusement pas eu l’opportunité de prêter attention aux propos de Zahrédine !

Un éclair sembla traverser les yeux du jeune guerrier et celui-ci ouvrit la bouche pour répliquer, mais le plus âgé posa la main sur son bras pour le retenir. Il ricana dans sa longue et fine barbe blanche tout en se penchant vers son frère d’armes.

— Afsir allons, une petite histoire de temps à autre n’a jamais fait de mal, et a toujours diverti jusqu’au plus désintéressé des hommes. Il reprit sa posture initiale et entama son récit :

— Zam est l’ermite de cet oasis. Son âge ? Personne ne le connait, mais il est respecté de tous dans le désert. Vous n’êtes pas censées ignorer qu’ici, nous nous trouvons à mi-chemin entre Ifrin et Khizaan. Par conséquent, ce petit coin de terre fertile tombe à point nommé pour toute caravane ou voyageurs désirant faire une halte afin de se reposer. Néanmoins, il est convenu que tous doivent demander l’autorisation de Zam ! Nombreuses sont les caravanes lui offrant des cadeaux en guise de remerciement pour son hospitalité. Il lui arrive de parler tout seul, mais ne nous permettons pas de juger un être en qui les souffrances de la solitude ont trouvé repère.

Le conteur improvisé eut à peine achever son court récit que Zahrédine sortit de la tente de l’hôte des lieux, cherchant les sœurs des yeux. Une fois ces dernières trouvées, il fit une annonce en direction du groupe :

— Kahina, je dois m’entretenir avec toi.

Cette dernière se leva et voyant son aînée s’apprêtant à en faire de même, Zahrédine intervint :

— Non, pas toi. Tu peux rester là.

Anna se laissa retomber lourdement sur sa couche d’un air désabusé. Elle décida cependant de chercher misère au meneur de la troupe, le sourire aux lèvres :

— Ah Zharédine ! C’est un très vilain défaut que la rancune…

Zahrédine la toisa du regard, impassible, et s’en retourna dans la tente. Kahina tança sa sœur du sien qui lui répondit par un clin d’œil complice. Kahina leva les yeux au ciel et d’un pas hésitant, rejoignit Zahrédine dans la tente. A l’intérieur de celle-ci, qui était étrangement plus spacieux que l’extérieur, se trouvaient toutes sortes de choses, allant de la lampe à la jarre remplie d’épices. Mais comment un homme si démuni parvenait à se faire offrir autant ? Perdue dans son observation du lieu et des réflexions qui en découlaient, Kahina sursauta quand une voix enjouée bien que vieillie se fit entendre :

— Ne jamais sous-estimer le poids des traditions, mon enfant. Il suffit qu’elle soit bien établie pour être suivie sans hésitation. Et il l’invita à s’asseoir. C'est alors que Zahrédine prit la parole en langue vernaculaire :

— Les ruines que nous allons permettre aux étrangers du vieux continent de fouiller sont celles d’Urduni. Voilà quelques années que le désert nous révéle peu à peu les restes des colonnes imposantes qui avaient jadis servi d’entrée à la Cité. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le murmure du désert est rapide et perçant. Il a su trouver preneur aux oreilles des étrangers qui ont investi Khizaan. L’un deux est un ami du frère de ton futur beau-frère, et il ne fallut pas longtemps pour que la rumeur prenne de l'ampleur. Alim eu vent de l’histoire et ne manqua pas de profiter de l’occasion avant qu'elle ne tombe entre de mauvaises mains. Les rangs des mercenaires ont considérablement augmentés, et il devient de plus en plus facile pour un étranger de se faire accompagner à travers le désert.

Il marqua une pause, le vieillard l’écoutait, la candeur d’un enfant dans le regard, attendant que le monologue reprenne.

Est-il vraiment obligé de comprendre tout ? Se questionna Kahina.

— Tu as déjà entendu la légende des vers connus de la Cité du désert ?

Kahina dodelina du chef. Évidemment qu’elle l'avait entendue, cette légende. Enfin, elle en connaissait effectivement les vers connus, ainsi que ce qu’Aicha, la vieille conteuse d’Ifrin avait brodé autour. Elle ajouta :

— C’est elle, Urduni ?

— Très certainement. Répliqua Zahrédine avec un air pensif et un manque flagrant d’assurance dans la voix.

— Si d’aventure tu venais à découvrir une inscription ou un texte faisant état d’une autre cité oubliée cachée au cœur du désert…

— Ce serait… L’interrompit Kahina, se faisant couper la parole à son tour.

— Tu tiens les étrangers loin de l’endroit, tu m’en avises, et tu ne vas pas plus loin dans ton étude. Voilà ta mission. C’est peu probable. Mais le désert ainsi que ses tempêtes sont remplis de mystères, même pour nous.

Kahina n’osa pas tenter une objection, le ton était clair, sans équivoque. Elle se mit à étudier ses pieds pour tenter d’oublier le malaise qui s'était installé. Au bout d’un court instant, elle leva la tête et constata la présence de stries noires parcourant le blanc du pendentif de Zahrédine qui tortilliait les poils sa barbe, perdu dans ses pensées. Soudain, Zam reprit la parole :

— Ah oui, merci ! Tiens Zahrédine, en parlant de tempête, t’ai-je averti de celle qui arrivait ? Tu devrais faire rentrer le reste de ton groupe dans mon humble demeure. Je regrette mon ami, mais la nuitée à la belle étoile n’est pas pour ce soir. Oh...Vous aurez pleins d’autres occasions, nous en sommes certains !

Zahrédine était déjà debout à l’entrée de la tente quand la suggestion la plus pertinente de la soirée se fit entendre au dehors, et elle provenait d’Afsir :

— Je pense qu’il serait judicieux de se mettre à l’abri ! Venez !

Entre les pans de la tente gardée entre-ouverte par Zahrédine pour permettre à ses compagnons et à Anna de venir se réfugier, Kahina aperçut un épais nuage sombre. Ce monstre de sable opaque que rien ne semblait pouvoir arrêter était accompagné d’un bruit sourd qui accentuait son effet angoissant. Une fois tout le monde à l’intérieur de la tente, Zahrédine la referma si bien qu’on ne pouvait plus rien déceler de ce qui se passait à l’extérieur.

— Mmmh, celle-ci s’estompera dans la nuit. Dormez ! Demain, ce sera comme si rien n’était arrivé ! Lança avec entrain l’ermite en soulevant légèrement le bas de sa tunique pour enjamber ce qui se trouvait sur son passage. Comment ces vieilles guiboles toutes frêles tenaient-elles donc le coup ?

Le lendemain, ils constatèrent que rien sur l’oasis n’avait changé. Il n’y avait pas le moindre grain de sable sur leur affaires ou sur les bêtes. En revanche, les dunes entourant l’oasis paraissaient plus imposantes que la veille. Les guerriers entreprirent de ranger leurs affaires et d’équiper les chevaux.

— Mais… Commença Kahina, avant d’être interrompue par un hurlement émit par sa sœur.

— Quelle horreur !

Ils se précipitèrent aux côtés d’Anna. Elle avait les yeux rivé sur une main blanche, laissée à l'air libre par la tempête. Zam se précipita et commença à déblayer le sable autour du morceau de chair en décomposition, surexcité :

— Mais que nous a-t-il recraché là ? Vite, vite ! Dépêche-toi !

Tous se contentèrent de suivre la scène, muets. Kahina n’en croyait pas yeux, on aurait dit que Zam avait retrouvé la force de son jeune âge, un vent délicat semblant l’aider dans sa besogne. Bientôt, le corps n’était plus qu’à moitié ensevelit, à moitié décomposé aussi. La vie devait avoir quitté le pauvre bougre depuis un nombre conséquent de jours. Le nombre d’amulettes de pierres précieuses accrochées à son cou s’élevaient environ à une dizaine. Les bracelets en or autour de son poignet faisaient penser à une jeune femme Awsir le jour de ses noces.

— Ah, en voilà un dont le corps n’est pas parvenu à supporter le poids de sa cupidité… Fit remarquer Kahina. Les guerriers se mirent à rire. Zahrédine récupéra bien assez tôt son habituel sérieux :

— Son âme en est à présent délivrée. En route !

— Mais, il convient de l’enterrer ! S’indigna Anna.

— S'il te plait Anna, il est décoré comme le Tamaris de la cour d'une nouvelle épouse. Lui enlever ses parures nous prendrait trop de temps ! S'exclama Kahina. Les deux guerriers acquiésèrent de la tête pour marquer leur accord.

Zahrédine, déjà aux côtés de sa monture et prêt à monter en selle répondit platement :

— Les fourmis argentées se chargeront de son corps, et ce qui ne peut être mangé…

— Sera mon cadeau ! Acheva Zam en les saluant : Bon vent chers voyageurs !

Anna frissonna à l’idée de laisser un corps en pâture à ces horribles fourmis géantes, dont le corps argenté aveuglaient ceux qui étaient assez idiots pour les admirer durant leurs escapades nocturnes, moment où ces dernières se lançaient à la recherche de nourriture.

Et c'est ainsi qu'ils reprirent la route, laissant l'ermite Zam retrouver la solitude qui paraissait être le seul à ne pas remarquer. Ils atteindraient Khizaan en début de soirée. Là-bas les attendaient cinq archéologues et leur matériel, ainsi qu'une dizaine de guerriers Aswir qui composeraient la mission d'exploration.

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