Ah les vacances!

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Il y a trois jours, j'arrivais de Paris. Pendant le trajet en voiture, je repensais à ces reportages vus à la télé, où on présentait la région comme une plaque tournante de la drogue, du crime, et de l'échangisme... Sans accorder d'importance à ces émissions racoleuses, je tâchais de retrouver dans ma mémoire les souvenirs de mes premières vacances au Cap d'Agde.

On est au début des années 90, j'ai des couettes et mon maillot de bain est rose et bleu. Ça sent la mer jusque dans la tente où je dormais avec mes cousins. À l'époque, mes angoisses n'avaient pas encore de pouvoir sur moi, et je me fichais pas mal de partager un lit avec quelqu'un ou de me promener toute nue.

Le gîte qu'on a loué les filles et moi se trouve dans un quartier peuplé de vacanciers. Il y a les retraités qui passent ici la moitié de l'année ; en face l'appartement en rez-de-jardin, toujours grand ouvert, d'où entrent et sortent des hordes de jeunes en short de bain ; derrière, deux couples, la cinquantaine énergique, toujours à rire aux éclats et à faire des « Roh ! qu'il est vulgaire ! » en applaudissant très fort. Il y a de la vie, et ça fait un bien fou. Très vite, les tracas du quotidien, le boulot, tout ça disparaît dans le siphon de la douche avec les grains de sable beiges.

La douche ! Parlons-en justement. Moi qui avais appréhendé pendant des heures la promiscuité forcée de la colocation ! Maintenant, je prenais ma douche dehors, derrière un brise-vue en tek. L'intimité était réduite à son minimum, mais puisque cela ne choquait personne, je m'y étais habituée.

Je souris en entendant les voisins faire l'amour la fenêtre ouverte. Ils se chuchotent des « Je t'aime ma reine » et des « Viens mon beau ». On dirait qu'ils ont vingt ans. Moi je goûte l'eau sur ma nuque, j'oscille doucement pour en faire profiter mes reins, je me tourne pour la sentir dévaler sur ma poitrine et sur mon ventre. J'ai bronzé, je crois. Ça ne se voit pas encore. Mon corps a toute l'année des reflets caramel, résultat d'un père franco-espagnol et d'une mère taiwanaise. J'ai hérité de la chevelure lisse et belle de l'un, et de la peau soyeuse, sans odeur, de l'autre. Mes amants apprécient. Ils disent que je suis toujours délicieuse.

En versant dans le creux de ma main un peu de shampoing, je pense aux regards qui se sont posés sur moi aujourd'hui. Sur la plage, personne ne s'observe ouvertement, mais derrière les lunettes noires... des dizaines d'yeux mi-clos dévorent les corps nus. J'ai un peu joué. Un peu souri à ce trentenaire qui m'aguichait avec son torse puissant, à la toison délicatement taillée. Il avait eu l'air d'apprécier quand j'avais, d'un geste anodin, dégrafé mon haut de maillot. Ses potes étaient venus le chercher par deux fois. Non, je vais rester encore un peu ici. Tu m'étonnes ! Allez, cadeau. Je m'étais retournée, langoureuse, et mes petits seins aux pointes brunes s'étaient dressés sur l'horizon, comme deux monts inexplorés. En tout cas, c'est comme ça qu'ils les avaient regardés : non pas un, mais deux Everest. Good luck mon beau ! Personne n'a osé l'ascension depuis un bail, tu sais.

En repensant à lui, j'imagine son sexe durci frapper contre son short de bain. Je me demande quel goût il a. Bon sang ! Les « Oh! » de la voisine m'ont donné chaud !

— Noémie t'a fini ?

Un réflexe pudique et ma main s'éloigne de mes cuisses. Émilie attend son tour pour la douche.

— Ouais, presque.

— Allez, dépêche, je peux pas me laver en haut, il y a la queue.

La queue ! Mon entrejambe vibre.

Et puis soudain, sans attendre de réponse, elle entre dans la cabine.

— Pousse-toi un peu, je me mouille juste.

Moi aussi.

Émilie se presse entre le brise-vue et moi, nos peaux font plus que s'effleurer. Je tente de dissimuler ma gêne, cela fait bien longtemps que je ne me suis pas retrouvée nue avec une autre femme. La piscine municipale, j'ai quinze ans. Je fais semblant de m'en foutre.

— Passe-moi le shampoing s'il te plait.

Le volume de sa voix s'est adapté à la promiscuité de la cabine. Je lui tends le flacon en lançant un sujet de conversation au hasard pour masquer mon émoi.

— On va où ce soir ?

— L'Amber.

Et la voilà qui se met à me raconter sa dernière soirée à l'Amber, cette boîte vraiment super, tout à ciel ouvert. La fille qu'elle y a rencontré — tiens, elle aime les filles ? — qui en fait était venue avec un copain, avec qui ils avaient fait l'amour sur un balcon quelque part de l'autre côté de la ville.

Je m'aperçois que je viens de laver mon épaule pendant deux bonnes minutes, en cercles concentriques. Il est temps de sortir. Je m'enroule d'une serviette, pousse le battant de la cabine improvisée et traverse le jardin en vitesse.

***

Une demie douzaine d'heures plus tard, minuit. J'ai bu exactement la bonne quantité, je m'en félicite. Je ne sais plus trop où sont les filles, mais qu'est-ce que je m'amuse ! J'ai dansé avec des inconnus pendant des heures, j'ai ri, j'ai flirté, je ne m'étais pas lâchée comme ça depuis longtemps.

Mon énergie m’abandonne doucement. Je décide de m'éloigner un peu de la foule. Il fait toujours aussi bon, la mer ronronne derrière les dunes. Je marche le long du quai, mes talons à la main. Les lattes en bois sont douces sous mes pieds nus. Ma robe tunique est largement échancrée, la brise tiède s'y engouffre un peu. Parvenue au bout de la jetée je m'assoie sur le dernier banc, et pense avec plaisir à ces vacances que je suis en train de passer. Ma tête est légère, ma vision à peine troublée. J'ai envie qu'on me touche. Mes seins se sont agités toute la soirée sous le tissu fin, mes fesses se sont frottées à d'autres, mes jambes nues ont caressé la peau inconnue. Il n'est pas trop tard pour trouver quelqu'un, je n'ai qu'à retourner danser.

Au moment où je me lève, j'aperçois deux silhouettes sur la plage non loin. Je ne les avais pas vues. Elles étaient là juste derrière le quai, dans l'ombre de la lune. Allongées l'une sur l'autre, il n'y a aucun doute sur ce qu'elles font. Les corps ont ce rythme typique, plutôt lent, déterminé. Pas une seule fois il me vient à l'esprit de regarder ailleurs. Je reste là, appuyée contre le banc, les talons à la main. J'ai toujours été un peu voyeuse. Dans mon appartement à Paris, j'aime épier les voisins lorsqu'ils font l'amour la lumière allumée. J’adore voir les hommes et les femmes marcher nus de la salle de bain à la chambre. Mon moment préféré, c’est quand le beau gosse d'en face se touche devant son écran.

Et là, cerise sur le gâteau. Il y a un couple qui baise à vingt mètres. Ils n'ont pas l'air de m'avoir remarquée, et puis de toute façon, ils ne vont pas me courir après. S'ils ne voulaient pas être surpris, ils n'avaient qu'à faire ça à l'hôtel.

Je ne les vois pas bien. L'homme est au-dessus, l'ombre de ses fesses tranche l'horizon puis se fond dans la noirceur de sa partenaire avec régularité. Quelques secondes de ce régime et c'est mon moteur qui s'éveille. Je suis sa partenaire, il me prend comme ça, dehors, au vu et au su de tout le monde.

Ils changent de position, la femme se retourne, se redresse un peu, passe à quatre pattes. Le bas-ventre de l'homme frappe la cadence, lentement, profondément. Elle se cambre, arrondit le dos, est-elle prête à jouir ? Je scrute sa silhouette à la recherche d'une réponse. Ma main s'agrippe à ma robe, la relève. Contre mes fesses, le banc, dur. Mes doigts se posent sur ma culotte. Soudain, je croise son regard. L'homme me fixe. Depuis combien de temps ? Je ne bronche pas. Bon sang ! Ce n'est plus moi aux commandes de mon corps.

Il sourit. Je souris aussi. Il n'y a pas de mal. Il se concentre à nouveau sur sa partenaire. Elle a l'air de prendre son pied. Elle remue les reins avec empressement, comme si elle n'en avait pas assez de ces coups de boutoirs qu'il lui donne. Les corps se cabrent, les dos s'emboîtent. Elle a joui. Pas moi. Pendant quelques secondes ils s'embrassent et se caressent à peine. Puis soudain ils me regardent. Je réalise que je suis appuyée contre un banc, une main agrippée à ma robe, l'autre dans ma culotte. Je me fige. Merde !

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