Chapitre 1 : L'homme-Automate

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- Voilà, c'est terminé. Ton système commence à se mettre en marche et tout à l'air de fonctionner correctement. Je ne peux malheureusement pas rester pour tout t'expliquer. Mais je sais qu'on se reverra. J'ai confiance en toi. Je sais que tu ne t'arrêteras pas. Pas avant de l'avoir retrouvé.

 Otto entrouvrit les yeux. Cette voix aux tonalités chaudes et douces ne cessait d'obnubiler ses rêves. Ces quelques phrases qu'il avait entendues à son éveil, il y avait de cela 57 ans, ne cessaient de lui revenir en tête. À ce moment-là, il n'avait pas vu qui était l'homme qui lui avait parlé, ses yeux n'ayant pas encore commencé à voir. Cela avait été déstabilisant pour lui de se réveiller ainsi, dans le corps d'un automate. Mais tout cela c'était passé il y a bien des décennies déjà. À présent, Otto se trouvait à l'arrière d'une charrette de marchand, au milieu des caisses de carottes, de navets, de betteraves ainsi que d'un étrange légume large en forme de carotte blanche. Le cahot de la carriole manquait parfois de faire chavirer la précieuse marchandise.

 Brusquement, le visage joufflu d'un petit garçon se planta à deux centimètres d'Otto :

 - Papa ! Papa ! Le Totomate il dort plus !

 - Ah ! Enfin ! T'as dormi presque tout le trajet, mon gars. Je savais pas que les automates dormaient ! Je t'ai cru éteint. tonna la voix franche du marchand à l'avant de la charrette :

 - Je vous l'ai déjà dit, je ne suis pas un automate.

 Otto en avait vraiment plus qu'assez de répétés cette phrase. Ce n'était pourtant pas compliqué ! C'était un humain comme eux tous, mais pour survivre à la maladie, on lui avait fabriqué un nouveau corps dans lequel on avait attaché son cerveau. Du moins, c'était ce dont il se souvenait :

 - Elle est quand même dure à avaler ton histoire mon gars ! J'vois pas comment on peut attacher un cerveau à du bois et du métal, et que ça fasse bouger le tout. Et puis c'est assez crade à voir.

 - Vous n'aviez qu'à pas m'enlever mon chapeau. rétorqua Otto

 - Moi veux voir ! Moi veux voir !

 Le gamin s'agitait dans tous les sens en tentant d'escalader l'homme-Automate pour saisir son haut de forme usé. Otto saisit le lardon par les aisselles et l'assit à côté de lui. Ses membres cliquetèrent à chaque mouvement et les pompes qui contrôlaient de débit d'air de ses poumons artificiels soufflèrent un grand coup. Le petit garçon, fasciné par la symphonie mécanique qui émanait du grand homme, resta sagement près de lui :

 - Papa, Tomate il est comme dans les histoires de maman !

 - Ha c'est vrai qu'on pourrait que tu sors d'un conte pour enfants, mon gars. Un automate vivant, on en voit pas tous les jours !

 - Oui ! L'histoire Papa, tu racontes l'histoire ?

 - Oh non, ça c'est le boulot de ta mère, hein !

 Le gamin fixa Otto des yeux, le regard scintillant. Face à tant de curiosité, Otto retira un des gants qu'il portait et dévoila la mécanique de ses mains. La paume et chacune des phalanges étaient finement sculptées dans un bois sombre. Chaque articulation était couverte d'une petite coque en métal qui protégeait le mécanisme de rotation. Et sur le dos de la main, une série de tout petits rouages tractait des filins de métal accroché au bout de chaque doigt. La rotation de ses rouages, dans un sens ou dans l'autre entrait le mouvement des doigts avec une fluidité impressionnante. L'enfant, attiré par la rotation des petites roues crantée, y approcha le doigt. Celui-ci se cogna doucement sur une petite paroi transparente qui protégeait le système. Otto ne put s'empêcher de sourire. Mais rien ne transparaissait sur son visage. Masqué du menton jusqu'au nez par un système de filtration respiratoire et le haut du visage camouflé sous une grosse paire de lunettes d'aviateurs ; il était presque impossible de distinguer le moindre mouvement d'émotion. De loin, la surface découverte de son visage ressemblait à de la peau. Mais en y regardant plus en détail, la matière donnait une impression dure et figée. Son indéterminable visage semblait à la fois homme et machine.

 La carriole se secoua vivement et les bourriques qui la tractaient se mirent à piaffer nerveusement :

 - On arrive en vue de la cité, Monsieur l'Homme-Automate. Tenez-vous à carreau et on n’aura pas de pépin en théorie.

 Otto se pencha au-dessus des caisses de légume. Face à eux, au bout de la route bosselée qu'ils parcouraient depuis plusieurs heures, s'élevait une gigantesque muraille à la porte imposante. À leur distance, Otto distinguait la silhouette de deux géants contre les battants immenses de la porte :

 - Qu'est-ce que c'est ?

 - Ça mon gars, c'est la cité industrielle de Crowmeere. Les deux grands trucs qui bloquent la porte c'est simplement son mécanisme. Tu devrais t'y plaire là-bas, c'est rempli d'automate. Ils s'en servent pour tout !

 À mesure que la charrette s'avançait, Otto parvenait à distinguer les dis Automates. Il s'agissait effectivement de deux colosses de bois et de cuivre, figés dans une position d'athlète forçant à bout de bras comme pour maintenir la porte fermée. Leurs pieds étaient habillés de mousses et de champignons qui remontaient jusqu'à leurs chevilles à la manière de chaussettes. Le marchand stoppa ses mules à bonne distance de l'entrée close et leva la tête vers les hauteurs du rempart. Une nuée d'oiseau noir tournoyait au-dessus de la ville. Un petit éclat brillant fut jeté du haut de la muraille et retomba lourdement sur le sol au pied de la carriole. C'était une sorte de palette de métal à l'éclat argenté. L'un des volatiles se détacha de la ronde et plongea en direction du sol et vint se poser sur le palet. C'était un magnifique corbeau au plumage rutilant et poli. Des cliquetis mécaniques s'échappaient de son coup à chaque mouvement. Son bec fait de cuivre reflétait les rayons du soleil. La peinture épaisse qui recouvrait le bois de son corps s'écaillait par endroit au bout des plumes et au niveau des serres. Il ouvrit le bec et une voix monocorde et grésillant sortit de sa gorge :

 - Veuillez décliner votre identité. Je répète, veuillez décliner votre identité.

 Le marchand sortit un petit bout de papier de sa poche et le mit dans le bec de l'oiseau qui s'envola vers les hauteurs en emportant le palet dans l'une de ses pattes. Otto observa en silence. Il se souvenait avoir entendu parler de cette ville, la Cité surveillée. C'était ainsi que le reste du pays l'appelait. Il avait vaguement entendu parler des fameux corbeaux de surveillance, dont les yeux photographiaient les moindres recoins de la ville. La dernière fois qu'il était passé par là, l'accès lui avait été refusé, surement à cause de cet étrange petit papier que le marchand venait de fournir :

 - Tu as d'la chance de nous avoir croisés en chemin. Les voyageurs sont interdits ici, il n'y a que les marchands avec une licence et les habitants qui peuvent passer ces portes.

 - Éloignez-vous des portes. Je répète, éloignez-vous des portes.

 La voix du corbeau, provenant des hauteurs, fut masquée par un bruit sourd et tremblant. Les deux colosses mécaniques s'ébranlèrent, la terre au niveau de leurs pieds s'effrita sous leur poids. Leurs bras, agrippés aux poignées géantes, firent grincer leurs rouages. Les deux battants de bois se mirent à trembler et acceptèrent de s'ouvrirent en gémissant. Les deux automates gigantesques reculèrent pas à pas jusqu'à ce qu'ils se retrouvent dos à la muraille. Le marchand fit claquer les rênes de ses mules et pénétra dans la cité. Deux hommes habillés de plastrons métalliques s'imposèrent devant l'entrée :

 - Bienvenue Monsieur Cox. Vous et votre fils êtes autorisés à séjourner pendant les trois jours réglementaires. Puis-je vous demander qui est l'autre homme dans la charrette ?

 - C'est mon nouvel automate, il m'aide à décharger les caisses. J'me fais vieux, vous savez. sourit poliment le marchand

 Le garde acquiesça d'un léger mouvement de tête et sortit trois bracelets de sa poche. Il en enfila un au marchand avant de se diriger vers l'arrière de la carriole. Furtivement, le gamin se pencha sur Otto :

 - Fais le mort !

 L'homme enfila le second bracelet à l'enfant avant de saisir fortement le poignet d'Otto. Ce dernier ne broncha pas. En dehors du fait qu'il ne voulait pas débattre une énième fois sur le fait qu'il n’était pas réellement un automate, l'avertissement du marmot lui avait mis la puce à l'oreille. Il était vrai que les étrangers étaient interdits de passage dans cette ville et Otto n'avait pas l'intention d'en découvrir les conséquences tout de suite. Le garde finit de fixer le bracelet au poignet de l'automate et tourna les talons. L'automate baissa discrètement les yeux pour observer son nouvel accessoire. C'était une sorte de montre avec une petite lumière verte en son centre. Elle n'avait rien d'extraordinaire hormis cette petite diode verte et le compteur en bas affichant un 3. Il n'avait donc que 3 jours à passer à Crowmeere.

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