Chapitre 7 : Nellie l'Orpheline

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 - Non.

Nellie resta plantée devant Otto, les bras croisés.

 - Pardon ?

 - J'ai dit non ! Je refuse de t'aider sans contrepartie. Et ce n'est pas un "je reconsidèrerai ton offre" qui va me suffire. Je ne me ferais pas avoir une deuxième fois, je ne suis plus aussi naïve !

 - Vraiment ? Je ne dirais pas ça d'une gamine qui cherche à tout prix à suivre un inconnu dont elle ne sait ni qui il est ni où il va !

 - Je m'en moque ! Ce que je veux c'est quitter cette ville et les autres raisons me regardent !

 La jeune fille semblait décidée à camper sur ses positions. Elle toisa Otto d'un regard noir et d'une moue boudeuse. L'automate haussa les épaules :

 - Pas grave, je trouverais quelqu'un d'autre. C'est pas ce qui manque ici !

 Il tourna les talons pour sortir de la ruelle. Nellie resta interdite quelques secondes, déstabilisé par cette réaction qu'elle n'avait pas envisagé :

 - Non, attends ! Euh...

Elle bafouilla quelques mots avant de reprendre de sa superbe :

 - Tu comptes t'adresser à qui ?! Je sais que tu cherches des informations, la dernière fois c'était déjà le cas. Mais ici, les adultes sont tous ronds comme des queues de pelles et les autres enfants auront les mêmes exigences que moi. Et d'ailleurs, rien ne t'indique que les orphelins auront la réponse à tes questions !

 Otto émit un petit rire, tout d'abord pour l'expression que la gamine avait sûrement entendue au détour d'un des piliers de bar ; puis par ce soupçon d'arrogance qui faisait vibrer sa voix. Il croisa les bras et posa son épaule contre un mur d'un air désinvolte :

 - Et qu'est -ce qui me dit que toi tu les aurais ces réponses ?

 - Parce que je suis la seule qui s'intéresse aux automates ! Et en particulier à ceux de Smith & Stanway.

 Otto perdit sa posture et manqua de glisser le long du mur. Il se rattrapa d'une main avant de se pencher vers Nellie qui abordait déjà un sourire de victoire malicieuse :

 - Comment tu sais ça toi ?

 - Simple déduction. Tu es un automate qui dit être humain et je t'ai vu regarder en direction de la fabrique Wallace quand tu es arrivé. La dernière fois, tu ne l'avais même pas regardé, je suppose donc que c'est ce sujet-là qui t'intéresse.

 - Tu parais plus intelligente que mature, dis-moi. Sacré mémoire également, tu n'avais même pas 6 ans.

 La jeune fille secoua fièrement sa tête avant de plonger sa main dans sa poche et de sortir son oiseau mécanique :

 - Voilà ce que je te propose. Tu tiens ta promesse et je t'aide. Simple, non ?

Otto poussa un lourd soupir avant de poser sa main sur les cheveux en bataille de l'orpheline :

 - Marché conclu. Mais je t'interdis de me ralentir. Et tu m'obéis ! J'ai pas envie de me retrouver avec un boulet à trainer.

 - Pour l'obéissance, on verra. Pour le reste, je suis sûre que je te serais plus utile que tu ne l'imagines ! Et pas de mauvais coup, hein ?! Si tu ne tiens pas ta promesse, je te dénonce aux autorités !

 Otto ricana devant son petit air faussement menaçant. Comme si les autorités de cette ville pouvaient bien avoir un quelconque pouvoir. Mais Otto était un homme de parole et malgré tout, cette gamine l'amusait bien. Qu'elle le suive ou non, ça lui était égal. Peut-être même qu'elle pourrait lui servir de camouflage dans les villes trop curieuses :

 - Promis, pour preuve, tiens. Porte-la, comme ça tu me seras utile et ça m'empêchera de m'enfuir.

 Il lui tendit sa mallette. Nellie l'observa perplexe avant de la prendre. Elle l'entrouvrit légèrement avant de s'esclaffer :

 - J'y crois pas !

Elle posa le petit bagage au sol, dévoilant la panoplie d'outils et s'empara de quelques-uns :

 - Hey ! Ça te donne pas le droit de te servir, que j'sache !

 La gamine l'ignora royalement et se mit à bidouiller son oiseau. Elle ouvrit le coffrage situé au niveau du poitrail de l'automate et de ses petits doigts agiles, fit bouger quelques rouages. Un clic sonore raisonna dans la ruelle et le petit oiseau bondit sur ses pattes. Nellie referma le coffrage et la malle par la même occasion :

 - Et voilà le travail !

 Le petit automate tournait la tête mécaniquement, d'un côté et de l'autre à un rythme soutenu, puis ouvrit le bec pour en laisser s'échapper un petit piaillement. Otto s'accroupit pour l'observer. Sa boiserie était finement sculptée et les renforts de métal étaient ornés de gravures incroyablement légères :

 - Je croyais qu'il ne marchait plus ?!

 - Disons que j'ai fait en sorte que ce soit le cas quand je t'ai vu arriver ! sourit-elle

 Otto poussa un long soupir, il s'était fait avoir en beauté et par une gamine en plus ! Décidément, cette crevette avait de la ressource. Il n'avait pas le cœur ni la patience de chercher à annuler le marché qu'ils venaient de faire. Un détail attira brusquement l'attention d'Otto. Au niveau de l'ouverture du poitrail de l'oiseau, juste sous le bec, se trouvait une gravure différente des autres. Deux formes souples, semblables à ses "S", se superposaient l'une à l'autre formant une sorte de symbole d'infini :

 - Smith & Stanway...

 - Oui, Titus a été fabriqué là-bas. C'est pour ça que je m'intéresse à eux.

 - Où tu l'as eu ?

 - Un voyageur me l'a donné quand j'étais toute petite, je ne m'en rappelle pas bien. Je ne m'en sépare plus depuis ! C'est ma seule possession. Mon meilleur ami.

 Otto ne put s'empêcher de lâcher un rire nerveux. Amie avec un automate ? Cette enfant était bien spéciale et semblait étonnamment bien l'accorder :

 - Bon, on va pas s'attarder là-dessus, dit-il en se relevant. À toi de tenir parole et de répondre à mes questions. Mais pas ici. J'aimerais m'approcher un peu de la Fabrique si tu veux bien.

 Nellie acquiesça et lui emboita pour sortir de la ruelle. Le voici à présent avec une crevette sauteuse aux pieds, merveilleux. Pourtant, Otto avait le sentiment qu'il n'aurait pas pu trouver mieux comme source d'information, même s'il fallait encore qu'il trouve un moyen d'entrer dans la fabrique Wallace. Il se dirigea vers un bâtiment qui semblait ressembler à une auberge quand la gamine le saisit brusquement par le manteau :

 - Non Attend ! Quelle heure il est ? Je crois que ça va commencer ! s'écria-t-elle en pointa la fontaine Dragon du doigt.

 Une masse noire à peine plus haute que Nellie se s’agglutinait autour de la gueule du monstre de métal. Tous les orphelins de la ville se bousculaient pour s'en approcher le plus possible. Nellie s'élança dans la foule et se faufila jusqu'au bout :

 - Pas de panique, s'il vous plaît ! Que ceux qui ont été servis la dernière fois se mettent à l'arrière pour laisser passer ceux qui n'ont rien eu !

 Otto s'adossa à un mur et observa son nouveau pot de colle diriger cette foule d'enfants turbulents. Aucun d'entre eux ne rechigna, ils suivirent tous les ordres, non sans un joyeux bordel d'écho de voix et de bousculade. Soudain, le débit d'eau qui jaillissait de la mâchoire imposante de la bête s'intensifia, déversant à gros bouillons des gerbes agitées. Une masse noire aux reflets luisants se mit à scintiller au fond de la gorge du dragon et soudainement un énorme poisson sauta hors de sa gueule, survolant les longues dents acérées, avant de plonger dans la rivière artificielle de la ville. Les enfants semblaient retenir leurs souffles. Nellie plongeait presque la tête dans la bouche de la structure, les yeux brillant d'espoir. Un autre poisson jaillit, passant la barrière de dent. Puis un autre. Une bonne dizaine sautaient frénétiquement pour s'échapper du ventre du monstre, certains se poussaient en l'air et d'autres semblaient rester dans la gueule pour trouver le bon moment pour sauter. Soudain, l'un d'entre eux, légèrement plus petit et à la nageoire caudale abîmée, rata son saut, plana en l'air pendant quelques fractions de seconde avant de venir s'empaler lourdement sur les dents du dragon.

 L'ovation fut immédiate. L'intégralité de la foule d'orphelins se mit à hurler de joie, sautant, bondissant, fracassant le sol de leurs pieds nus. Nellie se jeta dans les bras d'une fillette près d'elle avant de venir se pencher une nouvelle fois au-dessus de la gueule. D'un geste de la main, elle intima les autres enfants à se reculer avant de faire de même. Une nouvelle vague de poisson jaillit des eaux pour tenter leur chance. Un deuxième malheureux vint s'embrocher le ventre, déclenchant une nouvelle salve de hurlements.

 Lorsque le débit d'eau revint à la normale, Nellie se jeta sur les deux victimes écailleuses sous les yeux larmoyants des orphelins. Elle brandit alors sa récolte sous les applaudissements des autres :

 - Vous connaissez la suite ! Aujourd'hui, tout le monde aura un morceau ! Je laisse aux plus grands le soin de les faire cuire et de gérer la répartition.

 - Mais et toi alors ? Tu reste pas manger ? s'étonna une petite voix anonyme au milieu des murmures des orphelins.

Nellie jeta un coin œil malicieux à Otto :

 - Moi j'ai déjà mon billet de sortie. Bon appétit !

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