Chapitre 11 : L'Oasis

6 minutes de lecture

 Otto accéléra le pas en direction du campement de l'Oasis, un amas de tentes beiges entourant un large puits. Plusieurs silhouettes blanches encapuchonnées allaient et venaient en tous sens. L'une d'entre elles s'arrêta net en apercevant l'automate qui courait dans leur direction. Elle se précipita alors vers eux :

 - Seigneur ! D'où venez-vous étrangers ? Depuis combien de temps arpentez-vous ces terres ?

Otto se mit à genoux :

 - Pas le temps d'expliquer, occupez-vous d'elle ! Donnez-lui à boire et à manger.

 D'autres encapuchonnés se précipitèrent pour prendre délicatement la jeune fille et l'emmener dans une tente :

 - Et vous Monsieur ? Vous devez avoir besoin de soins ou de repos pour avoir ainsi porté cette demoiselle !

 - Non, moi ça va.

 - Laissez-nous vous examiner et vous offrir un repas.

 Ce qui devait être une femme sous cette capuche blanche tendit ses mains vers Otto pour enlever son haut-de-forme, mais il se déroba en grognant :

 - Je suis qu'un putain d'Automate, j'ai besoin de rien ! Aller vous occuper de la gamine ! aboya-t-il excédé.

 Il n'allait pas perdre son temps à expliquer pour la énième fois ce qu'il était. Et ce n'était pas une fanatique religieuse qui allait pouvoir y comprendre quelque chose. La femme resta figée quelques instants sous l'effet de l'incompréhension avant de tourner les talons en s’inclinant. Otto poussa un long soupir de soulagement. Au moins, Nellie était entre de bonnes mains et il n'avait remarqué personne sur leur trace pour le moment. Il se laissa glisser au sol et observa les va-et-vient des ombres blanches. De par leur dialecte, Otto avait reconnu qu'il s'agissait des Adorateurs de l'eau. Une sorte de religion pacifiste qui prônait l'altruisme et l'amour du prochain. Il n'était donc pas étonnant de voir que l'Oasis était gérée par eux. Otto n'avait aucun apriori à leur propos, il avait eu l'occasion d'en croiser dans certaines grandes villes, dans les hôpitaux ou les Orphelinats. Il était d'ailleurs étonnant qu'ils ne soient pas allés mettre leur altruisme au service de Scuttlebury.

 Il resta assis par terre, oscillant nerveusement sur son postérieur jetant par moments des coups d'œil vers la tente où Nellie avait été emmenée. Le campement de l'Oasis était organisé en cercle autour d'un large puits où les Adorateurs de l'eau allaient et venaient sans cesse pour en puiser son précieux contenu qu'ils dispatchaient ensuite dans les différentes tentes. Elles se ressemblaient toutes, seule leur taille différait. L'agitation des encapuchonnés blancs était principalement autour des plus grandes.

 Otto balada son regard de personne en personne et finit par fixer une silhouette différente des autres. C'était une jeune femme, les cheveux ternes tout juste bruns attachés en chignon. Elle était assise sur un petit banc devant une des grandes tentes et observait le ciel. Elle ne portait pas de capuche comme les Adorateurs, seulement une simple robe de chambre blanche. L'un des altruistes se pencha sur elle et l'invita à retourner dans la tente. Lorsque d'un pâle sourire la jeune femme lui tendit sa main pour qu'il l'aide à se lever, Otto remarqua une faible tache noire sur sa peau. Il se leva prestement et attrapa l'épaule d'un Adorateur qui passait devant lui, sans quitter des yeux la tente où la femme était entrée :

 - Hey, toi. Dis-moi, qui sont les personnes dont vous vous occupez dans ses grandes tentes ?

 - Ce sont des malades, Monsieur. De pauvres ères touchées par le mal de la Main noire.

 Otto le laissa repartir. Il n'avait donc pas rêvé. Il s'approcha alors de la tente avant de se faire arrêter par un encapuchonné qui en gardait l'entrée :

 - Vous ne devriez pas entrer, Monsieur. Nous ne savons pas comment la maladie se propage, vous pourriez être infecté.

 - Je l'ai déjà été. Ne vous en faites pas pour moi, je n'ai plus aucun organe à présent.

 L'Adorateur le regarda perplexe, mais ne lui opposa pas plus de résistance. Otto le contourna et entra dans la tente. De chaque côté se trouvaient des rangées de lits, presque tous occupés par des gens de tout âge en robe de chambre. Autour d'eux, les Adorateurs se déplaçaient en tous sens, le pas rapide et précis. Ne se gênant nullement les uns les autres, ils se déplaçaient tous à la manière d'esprit, frôlant à peine le sol pour se déplacer. Otto repéra la jeune femme de tout à l'heure qui était assise sur un lit. L'Adorateur qui était avec elle lui donna un plateau avec de la nourriture et quelques gélules dans un petit verre. Les mouvements de la femme étaient lents et saccadés, mais elle prit les médicaments en refusant la nourriture. L'Adorateur s'inclina et partit voir un autre malade.

 Otto s'approcha d'elle :

 - Vous devriez manger.

Elle sursauta en se tournant vers lui :

 - Vous m'avez fait peur.

Elle avait de grands yeux verts qui semblaient analyser doucement le visage de l'automate :

 - Vous êtes un Adorateur ? Pourquoi êtes-vous habillé différemment ?

 - Vous trouvez vraiment que j'ai une tête de fanatique ?

Elle émit un rire léger :

 - Non en effet, mais vous portez le même genre de masque.

 Otto chercha des yeux l'un des encapuchonnés et scruta son visage. Il était vrai que tous ceux se trouvant dans cette tente portaient un masque de filtration semblable au sien. Mais dans leur cas, il s'agissait sûrement là d'une précaution pour éviter la contamination. Otto se tourna de nouveau vers la femme et attrapa une chaise qui se trouvait près de son lit pour s'y asseoir :

 - Non, je ne suis pas comme eux. Je suis davantage comme vous...Du moins, je l'ai été.

 La jeune femme le regardait avec un regard serein et empli de douceur. Elle n'avait l'air nullement étonnée par son discours :

 - Vous avez l'air de quelqu'un qui a vécu beaucoup de choses. Quel est votre nom ?

 - Dans cette vie-là, je m'appelle Otto.

 - Et dans les autres ?

Otto aurait voulu sourire. Il se contenta d'un petit hochement de tête :

 - Et vous, Madame. Racontez-moi votre histoire.

 - Il y a si peu à dire, vous savez. Je ne suis qu'une simple mère au foyer, exilé et banni de mon village à cause de cette maladie. Et me voilà donc ici...à attendre la mort.

 Les grands yeux verts de la femme se remplirent d'une profonde tristesse. Mais loin d'être du désespoir, elle avait dans les yeux et la voix cette forme de résolution sans angoisse qu’Otto connaissait si bien.

 La maladie de la Main noire. Il s'agissait d'une dégénérescence cellulaire, ciblant partiellement les organes et certaines zones de la peau. Le corps se nécrosait alors peu à peu jusqu'à ce que la douleur soit trop forte ou que la maladie atteigne le cœur. Il était impossible de déterminer à quel moment la mort allait survenir. Et à ce jour, aucun remède n'avait été trouvé, seulement des antidouleurs pour aider à supporter l'attente vers la fin. Otto n'avait pas entendu reparler de cette maladie depuis qu'il y avait lui-même succombé. Il était étonnant de voir que durant certaines périodes cette affliction se répandait à toute vitesse et que parfois aucun cas n'était recensé pendant plusieurs années.

 La femme se mit à tousser frénétiquement, elle plaqua sa main contre sa bouche et son corps se secoua de spasmes. Otto se leva d'un bond et la retint doucement par les épaules. Reprenant difficilement son souffle, elle prit un petit mouchoir sale qui se trouvait dans sa poche et essuya sa main et sa bouche d'où s'échappaient quelques gouttes de sang. Otto l'aida à s'allonger sur le lit. Elle avait les yeux dans le vague. Sa respiration sifflante et saccadée démontrait que la nécrose avait attaqué ses poumons. Elle tourna son visage exténué vers Otto et lui sourit avant de fermer les yeux pour s'endormir.

 Otto se rassit. Il la regarda, impuissant et compatissant. Il se souvenait de tout ça. Il se souvenait des quintes de toux infernales. Des jours où il travaillait, les mains tremblantes et presque incapables d'assembler quoi que ce soit. De son incapacité à marcher par moments. Et de la douleur. De tout ce qu'Otto se souvenait de sa vie d'homme, c'était la douleur brûlante et lancinante de son corps entier mourant à petit feu. Il observa la femme, posant sa main sur la sienne. Mais ce n'était pas elle que son cerveau percevait. Face à lui, il n'avait que le voile fantomatique d'une vision du passé. Son autre main vint se poser contre sa poitrine, là où se trouvait la montre à gousset dans sa poche intérieure. La montre à gousset de Levi Smith.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire LiifHana ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0