La Belle et le Goujat

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Je me présente, Lucie Klein, animatrice de l'émission "Le morning de Lucie" sur une grande chaîne de télévision privée.

J'ai décidé, dans un soudain élan de vérité, de vous dévoiler, à vous mes amis, un morceau de mon quotidien, les dessous d'une de mes interview.

Mes questions et les réponses de l'invité. D'abord celles que les spectateurs verront lors de mon émission de vendredi, puis celles qu'il m'a données spontanément pendant ma pré-interview en coulisses, lorsqu'il était seul avec moi.

Réponses que je l'ai supplié de "remanier un peu" (avec mon aide...) afin que son histoire colle avec l'objet de ma chronique...

" Bonjour à toutes et à tous.

Comme tous les vendredis, nous allons démarrer l'émission avec un témoignage qui va nous remettre du baume au cœur en ces temps difficiles et nous prouver que les chemins de la vie peuvent parfois mener les gens vers d'extraordinaires et magnifiques destinations.

Aujourd'hui, nous avons le privilège d'accueillir en exclusivité Aurore et Philippe qui vont nous raconter leur merveilleuse histoire tout droit sortie d'un conte de fée.

Aurore, Philippe, bonjour.

- Bonjour Lucie.

- Philippe, c'est vous qui allez répondre à mes questions, Aurore ayant quelques difficultés à communiquer. Nous comprendrons plus tard pourquoi. (Sourire figé de l'intéressée).

Commençons par le commencement. Comment et quand vous êtes vous rencontrés?

- Eh bien c'était il y a 5 ans, sur la plage de Saint-Raphaël, dans le sud de la France. Elle se baignait seule. Je lui ai malencontreusement envoyé mon ballon dans la figure. Je suis venu m'excuser et je n'ai pas pu détacher mon regard de son visage (main de Philippe posée sur celle d'Aurore).

C'était il y a 5 ans, sur la plage de Saint-Raphaël. Je jouais au ballon dans l'eau avec mes potes. Quand je l'ai vue, nager comme un fer à repasser, je n'ai pas pu résister à l'envie de lui envoyer mon ballon sur la tête. Je me marrais quand elle est venue m'engueuler et m'insulter. Et là je n'ai pas pu m'arrêter de la regarder.

- Parce que vous la trouviez belle ?

- Oui, elle était étonnante, éblouissante.

Non non pas du tout, c'est pas ça. C'était parce qu'elle avait une pustule énorme sur le menton. Comme j'en avais jamais vu avant. Vous savez, comme les sorcières dans les dessins animés. Je ne pensais pas que c'était possible.

- Et ensuite, que s'est-il passé ?

- Nous sommes tombés amoureux. Certains pensaient que ce n'était qu'une amourette de vacances mais pour nous, c'était bien plus que ça. On passait nos journées ensemble à nous raconter nos vies. Je lui parlais de mes envies, elle me racontait son quotidien avec sa belle mère affreuse. La sorcière, comme elle aimait l'appeler. 

(Petit sourire en coin de Philippe, toujours le même sourire figé d'Aurore).

On a commencé à sortir ensemble. Je m'amusais bien avec elle, les rares moments où elle voulait bien faire autre chose que discuter. Elle passait son temps à me bassiner avec sa belle mère. Cette vieille pie qui ne supportait pas de la voir avec moi.

- Et vous avez finalement du vous quitter à la fin de vos vacances?

- Oui. Mais nos parents venant tous les ans au même endroit, on s'était promis de se retrouver l'année suivante pour revivre les mêmes moments.

Oui. Et une partie de moi était soulagée parce que je n'arrivais plus à la supporter à longueur de journée. Elle ne me lâchait plus d'une semelle et je ne pouvais plus faire la fête avec mes potes. Mais je me suis quand même senti obligé de lui promettre de revenir l'année suivante quand elle m'a supplié...

- Vous vous êtes finalement revus ?

- Non, Aurore n'est jamais revenue... Je l'ai attendu avec impatience pendant plus d'une semaine. Plus les jours passaient, et plus je m'inquiétais de ne pas la voir arriver. Et puis je me suis fait une raison : elle ne reviendrait pas.

Non. En même temps je n'ai pas vraiment cherché à la retrouver. Je ne savais même pas si elle était là ou non. Je me suis dis que si on se revoyait ça pourrait être fun mais que dans le cas contraire tant pis pour elle. Ce n'était pas comme si on était vraiment amoureux après tout.

- Dans ce cas, racontez nous comment et quand vous l'avez retrouvée.

- C'était il y a trois mois. J'ai tapé son nom sur internet et ai retrouvé sa trace sur un article de journal.

- Pourquoi avoir fait cela après cinq années sans nouvelles ? 

- Depuis l'été où je ne l'ai pas retrouvée, je croyais être passé à autre chose. Mais je me suis rendu compte qu'il m'arrivait encore souvent de penser à Aurore (petit regard complice entre eux) et que c'était sans doute pour ça que ça ne collait jamais avec les autres femmes. Je n'ai jamais réussi à être aussi bien avec quelqu'un d'autre que je ne l'étais avec elle.

Ça faisait cinq ans que j'avais passé l'été avec Aurore et depuis, je n'avais plus eu aucune relation. C'est pas faute d'avoir essayé pourtant, mais c'est la seule femme qui ait jamais voulu de moi... Alors je me suis dis qu'il fallait que je la retrouve. Avec un peu de chance elle n'était pas encore casée. 

- Où était Aurore, que s'était-il passé pour qu'elle vous fasse faux bond?

- J'ai appris par le biais de cet article que, sur le chemin du retour des vacances cette année là, elle avait eu un accident de voiture. Son père conduisait et, sans raison apparente, il a entraîné la voiture contre un arbre. Plus tard, Aurore m'a raconté que juste avant l'impact, elle se disputait avec sa belle-mère qui lui reprochait d'avoir passé la totalité de ses vacances avec un petit idiot - moi - plutôt qu'avec sa famille (oohh réprobateur du public). Pendant la dispute, qui devenait violente, sa belle-mère la menaçait avec son aiguille à tricoter. Les deux derniers souvenirs qu'Aurore garde de cet instant sont les paroles de la sorcière - tu aurais mieux fait de rester au lit et de dormir le jour où tu l'as rencontré - et une douleur au niveau de l'index - l'aiguille s'enfonçant dans sa chair au moment de l'impact. Après cet accident, Aurore est tombée dans un profond coma. C'est dans cet état que je l'ai retrouvée, cinq ans après. 

(Mouvement de surprise de ma part, main posée sur le cœur et bouche ouverte en un "o" d'étonnement)

Elle était dans le coma depuis nos vacances c'est pour ça qu'elle n'est pas revenue l'année suivante. Je savais bien qu'elle n'aurait pas pu se passer de moi si elle n'avait pas eu une bonne raison. J'étais vraiment dégoûté... Vous vous rendez compte : c'était la seule femme que je pouvais espérer avoir et elle était incapable de faire quoi que ce soit. Quelle malchance. Et puis je me suis dit : au moins elle n'est pas casée, il y a peut être une chance qu'elle se réveille et à ce moment là je serai sur le coup... Tout ça à cause de sa vieille folle de belle-mère. C'est elle qui lui a jeté un sort, moi jvous le dis. Une vrai sorcière celle-là. M'étonnes pas que son père se soit jeté contre un arbre avec ces deux là.

- Mais, si Aurore était dans le coma il y a encore trois mois, comment se fait-il qu'elle soit ici avec nous aujourd'hui ?

- Dès que j'ai su où elle était, je suis allé la voir à l'hôpital. Je ne pouvais pas rester sans rien faire maintenant que je l'avais retrouvée. Quand je suis entré dans sa chambre et que je l'ai vue, allongée sur son lit, ses cheveux blonds en cascade autour de son visage paisible, je n'ai eu qu'une seule envie : l'embrasser. J'ai essayé de me retenir, mais c'était plus fort que moi. C'était comme si une force extérieure me dictait mes gestes et me forçait à m'avancer vers elle. Je n'ai pas pu m'en empêcher. Je me suis penché au dessus d'elle et je l'ai embrassée au moment où une infirmière entrait dans la chambre. A partir de là, tout s'est passé très vite. Les machines ont commencé à faire des bruits étranges et à s'affoler, tout comme l'infirmière qui venait d'arriver. Elle a appelé des médecins, beaucoup de gens ont accouru dans la chambre. Pendant ce temps là, j'observais toujours Aurore. Sa main dans la mienne, j'ai vu ses paupières bouger doucement avant de s'ouvrir. 

J'avais l'espoir qu'elle se réveille un jour alors je suis allé à l'hôpital où elle était. Quand je suis rentré dans sa chambre, la première chose que j'ai vu, sans vous mentir, c'est la pustule gigantesque sur son menton. Je me suis approché pour la voir de plus près. Elle était effectivement toujours là. Est-ce qu'une pustule peux rester cinq ans sans diminuer d'un poil ou est-ce que le coma vous fait rester dans l'état où vous étiez avant d'y tomber? En tous les cas, j'étais penché au dessus d'elle quand j'ai entendu la porte s'ouvrir derrière moi. J'ai paniqué parce que je ne voulais pas avoir à justifier cette position et j'ai fait la première chose qui m'est venue à l'esprit : je l'ai embrassée, pour faire comme dans les films. Et là j'ai fait un bond en arrière. Ses yeux venaient de s'ouvrir d'un coup, et elle me regardait avec un air horrifié, comme si elle se réveillait en plein cauchemar. Elle a eu un hoquet puis j'ai eu l'impression qu'elle arrêtait de respirer. L'infirmière qui venait d'entrer dans la chambre a poussé un petit cri et est partie chercher les médecins.

- Vous êtes en train d'essayer de nous faire croire que votre baiser l'a réveillée ?

- Oui. Je n'ai pas la prétention de pouvoir vous expliquer comment c'est possible mais l'infirmière m'en est témoin.

Eh oui ! J'avais tellement envie qu'elle se réveille que ma force mentale a fait en sorte que ça se produise. Jsuis trop fort, un vrai héros. C'était sûrement de la télépathie ou un truc dans le genre. Comme dans les films jvous dit. Il faudrait peut être que je réessaye avec quelqu'un d'autre à l'occasion, ça doit être un pouvoir comme les super héros.

- C'est un vrai conte de fées que vous nous racontez là ! 

- Exactement. On vit un conte de fées. Je bénis chaque jour que Dieu fait la chance que j'ai d'avoir pu retrouver Aurore et de vivre à nouveau avec elle (nouveau regard complice et ohhh extasié du public). Maintenant notre prochain but c'est qu'elle arrive à nouveau à parler comme avant.

Un conte de fées ? J'appellerais pas vraiment ça comme ça... Vous savez que quand quelqu'un sort d'un long coma il ne sait plus parler, marcher, se laver correctement? Parfois j'ai l'impression qu'elle ne comprend plus rien à la vie. Je dois tout lui réapprendre. Elle fait même pipi au lit comme une gamine vous imaginez.

Moi (passablement énervée par cet énergumène sans aucune pitié ni compassion) : oui eh bien visiblement il va falloir prendre votre mal en patience si vous comptez pouvoir encore dormir dans le même lit qu'une autre personne !

Oui malheureusement...

Mais bon sang, si vous êtes si horriblement déçu et que vous n'aimez pas Aurore avec qui vous n'êtes pas heureux pourquoi être venu nous raconter votre vie dans une chronique censée raconter de belles histoires qui se finissent bien ? 

Ben on me proposais de passer à la télé, j'allais pas refuser. Eh puis Paris, c'est cool à visiter."

Voilà ce que vous pourrez voir demain lors de la diffusion de mon émission et ce que vous ne verrez pas.

Vous verrez un témoignage qui respire la sincérité, l'amour, l'espoir pour toutes les familles de personnes plongées dans un coma prolongé. 

Je parierais même que, dès demain, un grand nombre de parents, amis, frères, sœurs, se mettront à chercher d'anciens prétendus amours de vacances de leur proche endormi, sans penser une seule seconde qu'un "miracle" n'a aucune chance de se produire deux fois.

Le pouvoir de la télévision. Donner de l'espoir aux téléspectateurs là où il n'y en a quasiment plus, ou au contraire les plonger dans un désespoir encore plus profond lorsqu'ils comprennent que la magie n'opérera pas pour eux et que les contes de fée n'arrivent qu'aux autres.

Mais moi les amis, je vais vous confier un petit secret, juste entre nous : les contes de fées, dans la vraie vie, ça n'existe pas, ça n'a jamais existé et ça n'existera jamais, pour vous et pour n'importe qui d'autre. J'en veux pour preuve l'histoire d'Aurore et Philippe...

Eh oui, dans la réalité, toutes les femmes ne sont pas des princesses parfaites des pieds à la tête. Tous les hommes ne sont pas des princes charmants romantiques dévoués corps et âme à leur bien aimée. Les accidents de la vie laissent des cicatrices et des séquelles aux corps et aux cœurs. Les méchants ne sont pas les seuls à avoir des boutons et des pustules, la beauté extérieure n'étant pas le reflet de la beauté intérieure. Et les histoires ne se finissent pas toujours par "ils furent heureux et eurent beaucoup d'enfants"....

Mais n'est ce pas là que réside toute la beauté de l'existence, dans ce qu'il peut y avoir de beau à l'imparfait ? Eh puis, si notre vie était un conte de fées, on n'aurait plus besoin de rêver et plus besoin de belles histoires à raconter pas vrai ?

Demain, pour continuer à vous faire rêver, pour continuer à vous faire espérer, je vous présenterai Aurore comme une Belle au Bois Dormant des temps modernes même si je sais très bien qu'il n'en est rien. 

C'est juste une pauvre fille qui n'a pas eu de chance, tombée sur un goujat qu'elle à l'air d'aimer de tout son cœur qui va pouvoir continuer à la faire souffrir, tout ça parce qu'il a une affreuse haleine de chacal.

Oui parce que moi je peux vous dire que c'est son haleine fétide qui l'a réveillée quand il l'a embrassée. J'en suis certaine. Quoi d'autre sinon ? Son charme, sa gentillesse, la force de son amour ? Aucune chance...

Dommage qu'on ne puisse pas avoir la version d'Aurore...

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