Le jupon rouge
C’est une fleur en jupon rouge, éclose un matin dans un écho de fanfare lointaine.
Ses pétales semblent de taffetas et se déploient en courbes gracieuses, cinq pans à peine froissés qui se chevauchent légèrement. Le pourpre intense et carminé tranche avec la fragilité de l’ensemble, à croire que des gouttes d’un sang lourd ont pleuré du ciel, teintant la virginité originelle cachée dans la gangue verte qui vient de s’ouvrir. Une robe de buvard avide et assoiffé.
Un pistil ocré et poudreux tire un orgueil bien déplacé en la circonstance, s’élevant et s’offrant aux regards d’une façon presque obscène. Je l’ignore.
Je sais que la fierté de la fleur est feinte, elle n’a que deux, trois jours tout au plus pour s’abreuver de ciel et ployer sous le moindre souffle d’air. C’est peu.
Et comme je parle aux plantes qui me font la grâce d’habiter mon jardin, je lui murmure des mots que j’espère aussi délicats que la pure explosion de beauté qu’elle m’offre et la rassurer sur le sens de sa parade éphémère.
Je sais qu’au fil d’heures bien trop courtes, surtout si un soleil ardent inonde le jardin, elle baissera la tête sans le vouloir vraiment, refermera autour d’elle les pans de sa robe qui tomberont comme le lourd rideau de velours d’un théâtre éteint et silencieux. Une jolie révérence ombrée d’une petite tristesse sucrée.
Quelques jours suffiront à la transformer en une petite chauve-souris sanglante, collante et ratatinée, que je caresserai néanmoins de mes yeux toujours emplis de sa récente magnificence. Un petit ploc accompagnera sa chute, dans la fraîcheur de la nuit ou les promesses d’un matin déjà clair.
C’est une fleur en jupon rouge.
Une fleur fragile prisonnière de son arrogante apparence.
Une fleur qui me parle de la course d’une vie résumée à quelques jours.
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