Chapitre 13. QUAND LE CIEL SE TÛT

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Au fort de Saint-Arnaud, les lourdes portes de la salle d’audience grincèrent en se refermant derrière les prêtres.
Dans les couloirs sombres, leurs robes balayaient la poussière du sol comme un nuage de cendres.
Leurs visages, tendus et froids, tentaient de cacher l’humiliation cuisante que le gouverneur Arnaud venait de leur infliger.

— Ne vous laissez pas troubler, murmurait l’un d'eux en ajustant son étole.
— Nous faisons la volonté de Dieu, répéta un autre d’une voix sèche, les yeux brillant d’une fierté blessée.
— C’est nous ses élus, que le gouverneur le veuille ou non !

Leurs mots étaient creux.
Leurs regards se fuyaient.
Leur pas résonnait sur les dalles comme une fuite honteuse.
Mais leur orgueil, lui, était intact.

Ils s’éloignèrent, laissant derrière eux un parfum de vanité et de fausse piété.
Ils ignoraient que, cette fois, ce n’était pas un homme qui les avait jugés.

Dans les hauteurs invisibles, au-delà du dernier souffle des nuages, Dieu observait.

Et Il se leva.

Ce geste simple ébranla tout le Royaume Céleste.
Les anges, qui chantaient depuis l’aube du monde, se turent d’un seul souffle.
Leurs ailes frémirent dans un frisson glacé.
Car le silence qui tomba n’était pas de ceux que l'on aime ;
c'était un silence lourd, grave, chargé d'une colère que même les étoiles, perchées aux confins du ciel, redoutaient.

Sous ce silence, les pleurs des hommes montaient depuis la Terre.
Pas des prières.
Pas des cantiques.
Mais des gémissements rauques, faits de poussière, de chaînes rouillées, de corps battus et de vent sec.

Les anges descendirent, les yeux bas, chacun portant un fragment de la douleur humaine.
Le premier posa aux pieds de Dieu un berceau vide, oublié dans un champ brûlé.
Le second tendit un manteau déchiré, encore tâché du sang d’un jeune homme pendu sans jugement.
Le troisième déposa une poignée de terre, celle qu'une mère avait pleurée toute une nuit, seule, après avoir enseveli son fils sans sépulture digne.

Mais aucun d'eux ne trouva les mots.
Car le langage du Ciel était trop pur pour habiller tant d'horreurs.

Un Archange, parmi les plus anciens, osa à peine chuchoter :
— Seigneur… Tu ne peux pas descendre... Tu es trop grand pour marcher avec les petits…

Dieu, debout dans Sa lumière, regardait la Terre.
Les montagnes qui chancelaient sous la violence.
Les rivières qui charriaient plus de larmes que d’eau.
Les villages qui n’étaient plus que des cendres.

Et Il répondit simplement, d'une voix sans colère mais sans appel :
— Alors Je me ferai petit.

Un autre ange, le regard baissé, ajouta :
— Aucun de nous n’a su Te dire ce qu’ils vivent...

Dieu, le regard fixé vers l’horizon brisé du monde des hommes, répondit :
— C’est pour cela que Je vais voir.

Alors, devant tout le Ciel, Il ôta Sa gloire.
Comme un roi quitte son trône, non par défaite, mais par amour.
Il laissa tomber son manteau de lumière, et il devint simple.
Si simple que même les anges en eurent le cœur brisé.

Puis, sans cortège.
Sans trompettes.
Sans écho.

Dans une nuit sans lune, Il descendit.

Pas vers un palais doré.
Pas vers les cathédrales majestueuses où l’on chantait Son Nom sans Le connaître.

Non.

Il descendit dans la poussière d'un sentier oublié.
Là où la lumière des torches s’éteint faute de mains pour les porter.
Là où les chants sont des pleurs, et les prières des gémissements sans voix.

Il descendit vers un village que les cartes des colons n'osaient même pas dessiner : Mbuma.

Un endroit simple, où les cases en terre s’alignaient en silence autour d’un vieux fromager géant, témoin silencieux des douleurs du peuple.

Là, dans le souffle tiède du vent nocturne, une enfant pleurait.
Awa.
Seule sous le ciel muet.
Sa petite silhouette recroquevillée contre un tronc d’arbre fendait la nuit comme un appel silencieux.

Et dans cette nuit où tout semblait abandonné,
Il descendit.

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