Le Prince et le Duc

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 Il était une fois, dans un pays lointain, un charmant prince qui avait pris pour épouse une duchesse, qui régnait sur un domaine dépendant, de sa seule volonté. Ce mariage, s’il ne fut jamais d’amour, fut un bon calcul, en ce qui concernait l’expansion territoriale de la principauté. Le prince et la princesse-duchesse n’avaient que peu de choses en commun ; quelques mois suivant leur union, ils eurent un fils, qui fut nommé Ursin. Il avait hérité de ce prénom car il était né velu, et qu’il aimait beaucoup la compagnie des animaux forts et au poil abondant comme le sien. Il était un puissant guerrier en devenir ; sa chevelure abondante était rousse, son corps charnu, mais point obèse ; il avait beaucoup de curiosité pour les choses de ce monde et de l’autre ; il se passionnait pour les Lettres et les armes. La duchesse était morte durant sa couche : 

 — Que tes jours coûtent chers à ta mère ; fais-en bon usage.

 Elle dit, puis elle expira. Mais il se trouva un autre enfant qui n’avait point quitté la matrice alors ; elle, car c’était une fille, en fut sortie par le médecin. On la prénomma Rhododactule, qui veut dire : « aux doigts de rose », car elle était née au moment où l’Aurore peignait le ciel de ce jour nouveau. Ursin et Rhododactule s’aimaient beaucoup, mais se voyaient peu, car leurs enseignement estoient différents.

 Dans le royaume voisin à la principauté, un garçon vint aussi au monde. Il descendait des empereurs romains, alors on le prénomma Auguste, car on lui avait prédit du succès. C’était un enfant à la grandeur d’âme, qui avait un goût pour l’amour courtois. Il était assez maladif, si bien que l’on pensait qu’à la mort de son père, les clans gagneraient en pouvoir. Il connaissait beaucoup les chiffres, la géographie, l’histoire et les lettres. Il n’avait certes pas toutes les vertus, mais il était agréable. Auguste eut ensuite plusieurs frères et sœurs, qui étaient gaie compagnie.

 Le royaume du père d’Auguste et la principauté du père d’Ursin se disputèrent : le prince fut vainqueur, et il obligea le roi à lui verser un lourd tribu :

 — Tu me donneras ton fils, dit le prince, que je le garde comme otage, auprès du mien.

 Mais bien qu’il fût un otage, Ursin fut généreux avec Auguste. C’était un prince attentionné, qui aimait Auguste comme un époux aime son époux. Il avait ambition de rester célibataire, mais ni le prince son père, ni le pape, ni la noblesse ne soutenait ce choix de vie. Rhododactule, quant à elle, fut un jour promise à un important seigneur de la belle Toscane. Elle fut accompagnée par son frère et par Auguste, puis elle fit ses adieux à tous.

 Le roi, père d’Auguste, proposa au prince de marier le duc à une de ses filles, pour marquer une réconciliation, à afficher à la face du monde. Le prince trouva l’idée tout à fait imbécile, car il y avait peu de choses à offrir en contrepartie. Mais si le contrat n’était pas des plus avantageux pour la principauté, le confesseur du prince, le père Allemant, réussi à le convaincre : s’il voulait rester bon chrétien, il devait pardonner et ne pas durcir son cœur. Il fallait aussi penser à la pérennité de la principauté. Un mois passa : le prince fini par accepter l’offre.

 Un autre moi le suivit ; Rhododactule fut renvoyée en sa patrie : le seigneur toscan venait de mourir, et elle n’attendait pas d’enfant. Auguste logeait dans une pièce voisine à celle du bel Ursin ; ce dernier avait demandé cette faveur à son père le prince, car Auguste était précédemment de l’autre côté du château. Comme les communications internent aux chambres n’étaient pas gardées, ils pouvaient se rencontrer dans le lit de l’un ou de l’autre.

 — Qu’allons-nous devenir ? se lamentait Auguste. Je souhaiterai tant être son époux…

 Ursin préférait attendre : si elle lui plaisait, il promettait à Auguste de continuer à le chérir ; si elle ne lui plaisait pas, rien ne changerait, il ferait des enfants à la future duchesse pour la simple raison que c’est là la finalité du mariage. Il arriva que cela arriva aux oreilles du roi, qui dit à sa fille, la duchesse Blanche-Marie, qu’elle ne devait pas s’inquiéter. Il avait quelques talents en magie, alors il prépara un breuvage, puis voyant sa fille avant qu’elle ne s’en aille, il lui recommanda de le donner à Ursin, pour s’en faire aimer. Arrivée à la Cour, la duchesse ne lui fit aucune impression particulière, qu'elle soit bonne ou mauvaise.

 Mais lors du mariage, Ursin se vit tomber suite à un faux-pas. La duchesse, cherchant à lui plaisir, le gêna plus qu’autre chose quand on fut à quatre pour relever son nouvel époux. Elle patienta sagement pendant trois semaines, mais elle n’arrivait guère à gagner son affection. Son père lui écrivit une lettre douce de conseils, dont celui d’utiliser le breuvage qu’il lui avait donné. Blanche-Marie vit une servante préparer deux coupes : une pour Auguste et Rhododactule, qui jouaient aux échecs, et une autre pour Monsieur le duc.

 Profitant qu’elle se soit absentée, Blanche-Marie versa toute la petite bouteille dans une coupe ; mais elle réalisa ensuite qu’elle ne savait pas quelle coupe fut pour qui. Quand la servante revint, elle prit une coupe, celle que la duchesse avait enchantée. Alors arriva un homme important qui demanda la noble femme, car le prince voulait la voir sur le moment. Ayant peur de décevoir son beau-père, elle le suivit, sans pouvoir s’assurer de la destination de la coupe enchantée.

 La deuxième femme apporta la coupe destinée à l’écuyer et à la dame. Blanche-Marie arriva quelques minutes plus tard, et elle se maudit quand elle constata que les herbes étaient restées au fond de la coupe. Le preux Auguste n’était plus avec Rhododactule, qui rêvassait à sa fenêtre :

 — Que puis-je pour vous, belle cousine ? demanda la dame à la duchesse.

 — Je venais discuter avec vous, mentit rapidement Blanche-Marie, pour pouvoir lier notre famille par le cœur, et vous témoigner toute mon affection.

 L’honnêteté de cette femme ravit la dame, qui l’invita à venir se promener dans les jardins. Elle raconta à la duchesse que, soudainement, elle s’était éprise d’Auguste, et que si elle lui faisait cette confidence, c’est parce qu’elle la pensait honnête, dotée d’un cœur sincère.

 — Ah, madame ? se lamenta Blanche-Marie. Je ne me pense pas si digne moi, une étrangère !

 — Il est vrai, mais il est votre frère, donc il est normal que je vous en parle. Sauriez-vous le convaincre de venir me voir pour danser avec moi, ce soir ?

 — Je lui en ferait part, dit Blanche-Marie en la quittant.

 Tout honteuse, elle écrivit au roi son père, pour lui conter le problème. Celui-ci s’en trouva fâché, alors il lui conseillait de garder une attention particulière à son frère et a sa cousine. Blanche-Marie, dans son malheur, se trouva rapprochée par son époux. Ursin avait entendu les rumeurs, vu Auguste, et son cœur était brisé. Il fit venir sa femme à la chasse, avec lui et sa Cour. Ils s’arrêtèrent pour se reposer, et Ursin s’éclipsa ; Blanche-Marie le suivit car il la demandait.

 — Il est, depuis un mois, une grande peine en mon cœur, car ma sœur et votre frère s’aiment.

 — C’est ce qu’on dit, mais je ne veux pas y croire. dit Blanche-Marie, tremblante.

 — Il me l’a avoué, Madame, dit le duc. Il l’aime, et elle aussi.

 Son épouse déglutit ; la honte l’empourprait, alors elle se baissa pour se mouiller le visage, prétextant que chevaucher si longtemps lui provoquait des rougeurs. Bon homme affligé, Ursin lui fit confiance. Il se fit plus doux, plus gentil ; il n’était pas amoureux, mais elle était la seule qui l’aimait vraiment, pensait-il. Quand un soir, elle vint lui faire confidences : elle avoua avoir enchanté les breuvages, en versant une mixture magique, confectionné avant son départ.

 — Pitié, n’enragez point, monseigneur ! Comprenez un cœur solitaire, qui ne voulait qu’être aimé. Et il n’existe point d’antidote.

 À dire vrai, elle n’en savait rien, mais elle espérait surtout qu’il ne la tue pas. Ursin se trouva à demi soulagé : ainsi Auguste l’aimait, son cœur était sous l’emprise d’un philtre. Mais il lui conseillât d’écrire sans délais au roi pour lui expliquer la situation. Le roi lui répondit en ces termes :

 — Madame ma chère fille, écoutez votre cœur, pour vous faire aimer de tout le monde, même du prince. Pour cette affaire de philtre, je ne connais aucun remède, sinon de voir provoquer une forte dispute, où l’un des amoureux doit dire, avec conviction, qu’il n’aime plus l’autre. Je ne sais s’il marchera, mais priez Dieu qu’Il vous soit favorable. Mais gardez-vous de vous hâter, au risque de mal faire !

 Blanche-Marie fit lire cette lettre à son époux, qui lui annonça :

 — Il veut faire annuler le mariage qui nous lie, pour marier nos frères et sœur !

 — Qui donc ?

 — Le prince, mon père !

 Blanche-Marie ne sut si elle devait être soulagée ou bien attristée.

 — Cela voudrait dire retourner chez le roi mon père, et abandonner mon frère.

 — Vous pouvez rester, Madame, je ne veux point vous voir partir : Vous seule m’aidez à avoir ma joie vivante.

 Devant cette si belle confidence, Blanche-Marie pleura d’émotions, et le couple s’aima toute la nuit. Malgré leurs tentatives, leur couple n’arriva à rien, leurs frères et sœur s’aimaient sans qu’aucune aigreur ne pointe. Et le prince souverain vint à mourir. Le duc Ursin succéda comme prince, alors il maria sa sœur et son ami ; il avait d’abord consulté son épouse, puis les concernés, qui s’étaient empressés de s’accepter.

 Le dernier jour des temps d’été un an après, le couple eut un fils, Jimihëndrix, dont l’étymologie nous est inconnue. Blanche-Marie ressentit une grande culpabilité, car elle savait qu’il n’était pas le fruit d’un amour véritable ; Ursin fut triste car il n’était pas l’autre père de cet enfant.

 — Nous aurions dû adopter, nous aurions dû vivre ensemble, et longtemps encore nous aurions dû élever cet enfant, régner en tant que co-princes et mourir en amants !

 La lamentation d’Ursin passa pour une plaisanterie, une scène très bien jouée, mais Blanche-Marie le regardait sans pouvoir ni savoir quoi faire pour l’aider. Elle était dans une résidence de ses amis, quand elle entendit parler d’une guérisseuse. Elle envoya un message à son époux pour lui parler de sa quête ; il lui envoya une réponse où il lui souhaita une bonne chance, bien qu’elle était imprudente. Cette réponse pouvait surprendre, mais elle était le résultat de sa dépression. Blanche-Marie s’en alla jusqu’aux frontières du Danemark. Elle rencontra cette femme sage, qui s’appelait Wolcanfe ; elle lui conta son histoire, puis la supplia de l’aider.

 — Je connais cette formule, dit-elle, ainsi que votre père, dont j’ai été la préceptrice, avant d’être renvoyée car j’avais laissé une femme mourir en couche. Point d’inquiétude, tendre princesse : car si les effets du filtre son longs, ils se finissent au bout de trois ans.

 — Mais mon père le roi...

 — C’était une ruse pour qu’il ne l’utilise pas ; il est si peu expérimenté... Rentrez auprès des vôtres, et n’ayez point de craintes.

 — Mais et l’enfant ? Que pouvons-nous faire des enfants conçut sans vrai amour ?

 — Le philtre est dangereux, les enfants nés sous ses effets auront bien des peines à surmonter si le couple n’est point fait pour s’aimer. Aidez-le du mieux que vous le pourrez.

 Blanche-Marie revint chez elle après presqu’un an d’absence. On ne l’avait plus vu depuis si longtemps, ni eut de nouvelles assez souvent, qu’on la cherchait depuis un mois. Elle rassura tout le monde pendant une semaine, et son époux dès le premier jour. Il fut soulagé de savoir qu’il ne restait qu’un an avant que les effets du philtre s’envolent.

 Blanche-Marie n’avait pas osé dire à son époux Ursin que leurs frère et sœur pouvaient être amoureux, même sans magie. Elle regarda plus souvent du côté des femmes, pour faire attention à Jimihëndrix, qui était sous le constante surveillance. L’humeur de son oncle Ursin s’était améliorée, il gouvernait fièrement. Il comptait les jours jusqu’à celui où le breuvage cesserait de faire effet.

 Auguste fut très heureux de revoir son ami d’enfance si bien en forme. Il baisa tendrement Ursin sur les lèvres, mais celui-ci eut une peine au cœur quand il se souvint qu’ils n’étaient qu’amis, car Auguste le repoussa quand il commença à devenir plus entreprenant.

 — Nous étions jeunes, dit-il. Et j'aime ma femme.

 La veille de la fin des trois ans, Ursin et Blanche-Marie commencèrent à imaginer plusieurs solutions si leur neveu n’était pas aimé par ses parents. Jimihëndrix n’avait jamais rien sut de l’histoire du breuvage magique ; il allait sans doute être très surpris du changement potentiel changement d’attitudes de ses parents. C’est alors à ce moment que minuit sonna. Ils partirent se coucher, puis ils prièrent pour que rien de grave n’arrive le lendemain. Ils se levèrent et attendirent. Durant la journée, Auguste arriva dans les appartements d’Ursin, qui lisait.

 — Je me réveille d’un sommeil de trois longues années ! déclara-t-il. Et pourtant, j’étais aussi éveillé, crois-tu ?

 Alors Ursin appela aussi leurs femmes, et tout fut clarifié. Mais le couple ne s’aimait que d’un amour fraternel, il leur était maintenant inconcevable d’être aussi familier que précédemment.

 — Et pour Jimihëndrix ? demanda Blanche-Marie.

 — Pourquoi devrait-il être au courant ? demanda Rhododactule. Cela ne va pas changer la situation puisque nous sommes ses parents et que nous sommes mariés.

 Pour la première fois en trois ans, Ursin et Auguste se rejoignirent dans la chambre du prince. Quand on entendit la nouvelle, toute la Cour se moqua : les chansonniers disaient qu’après trois ans de mariage, l’auguste époux était repartit à la chasse à l’ours ! Blanche-Marie consola Rhododactule, qui se réfugia dans l’éducation de son enfant. Elle avait apprit à aimer sincèrement le père de son fils.

 — Madame, dit Auguste à son épouse, m’aimez-vous ?

 — Bien sûr, je vous aime depuis le jour où nous nous sommes rencontrés ! s’énerva-t-elle. Mais non vous, qui aimez mon frère, qui aime aussi son épouse, qui a cette chance !

 Une guerre vint à se déclarer sur le continent, Auguste alla commander les armées princières.

 — Je trouve cela fort noble d’éloigner mon frère de vous, pour pouvoir soulager votre sœur, dit Blanche-Marie.

 — L’amour que j’ai pour vous est égal à celui qui anime mon cœur quand Auguste me hante. Hélas, il pourrit ma relation avec ma sœur que j’aime.

 Blanche-Marie demanda à son père ce qu’elle pouvait faire : il lui dit qu’il fallait utiliser une potion d’indifférence, mais elle abandonna cette suggestion : il y avait eut assez de problèmes avec la magie. Un jour, un pêcheur s’en venait des côtes, et il annonça que la flotte d’Auguste avait sombrée suite à une tempête et à une bataille navale. Un grand émoi bouleversa très fortement tout son ancien entourage. En fait, Auguste était sain et sauf, mais on avait déjà préparer des hommes pour partir à sa recherche.

 — S’il revient, pensa Rhododactule, ce sera pour Ursin et peut-être pour Jimihëndrix, mais non pour moi.

 Ursin sentit que sa vie l’abandonnait, il se résigna à l’idée de mourir. La mer était trop agitée, il voulait revoir Auguste.

  — Mais comment aller à sa rencontre ? se demanda-t-il, attendant la mort.

 Il demanda de rester seul avec son épouse. Cela attira le soupçon de sa sœur, qui écouta l’entretien, pendant qu’une fidèle guettait dehors. Ursin se plaignit, pleura de mourir sans Auguste. Il lui donna un anneau, gage de l’amitié entre les hommes.

  — Que si vous revenez avec une voile blanche, je le saurais avec toi. Que si vous revenez avec une voile noire...

 Blanche-Marie le comprit, elle se mit en mer peu de temps ensuite ; elle confia le frère à la sœur, et vogua à pleines voiles vers la Hollande. La jalousie sororale est si forte parfois, et la cruauté aussi. Blanche-Marie eut vite fait d’arriver et de se présenter à Auguste, qui fit ses bagages tout de suite pour repartir. Son cœur frémit quand il apprit qu’Ursin allait mourir. Quand, depuis la fenêtre, Rhododactule fut avertie du retour de Blanche-Marie et d’Auguste, elle en fit part au faible Ursin.

 — La couleur de la voile...? articula-t-il, avec difficulté.

 Avec incertitude et haine, elle dit que la voile était noire. Ursin ne voulut pas le croire, il lui redemanda pour être sûre. Contre sa volonté, mais conformément à ses propres espoirs, Rhododactule regarda encore, et la voile était noire. Mais elle avait regardé le mauvais bateau, et Ursin mourut. La sœur se lamenta, ce fut un cortège funèbre qui escorta Blanche-Marie et Auguste, qui se pressèrent à la chambre d’Ursin.

  —  Ainsi, Ursin le Preux est mort. dit Auguste, en poussant de grands cris.

 On le laissa seul à sa demande, et il mourut de douleur trois heures plus tard.


FIN

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