03 août 1990, contingent koweïtien, base aérienne d’Ali Al Salem, Koweït.

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  • Ne tirez pas, on est avec vous !
  • Entrez, et magnez-vous le cul. Ça grouille d’Irakiens dans le coin.

   La section s’empresse de franchir les décombres du mur d’enceinte. La faille, assez large pour faire passer deux hommes de front, engloutit en quelques instants la vingtaine de rescapés. Il faut acheminer tout le monde au plus vite, une contre-offensive se prépare.

  • Je suis l’Adjudant El-Khasi, je gère ce merdier du mieux que je peux. Et vous ? Qu’est-ce qui vous amène dans c’putain de champ de bataille ?
  • Caporal Al-Jerrah, de la 26e Brigade Mécanisée Al-Soor. On était en route pour aider nos camarades de la 35e Brigade Blindée lorsqu’on est tombé sur la Garde républicaine irakienne. Ça a été une boucherie… On était 500, y a plus que nous. On… On a dû se replier, on n’a pas pu emmener les blessés…

   Le regard de l’adjudant balaye la petite vingtaine de soldats debout face à lui. Les visages sont fermés, les yeux éteints. Certains sont légèrement blessés, mais peuvent encore combattre.

  • Vous avez fait ce que vous pouviez. Mais là, de suite, on va avoir besoin de vous. Il faut tenir la base le temps que le soutien arrive depuis l’Arabie. Doit y avoir des munitions et de l’eau là-bas.
  • Vous avez entendu les gars ? On se met en position.

   Les soldats se rééquipent et s’hydratent. Le soleil glisse vers l’horizon, teintant le ciel de doux mélanges d’orange et de pourpre. La température accompagne le déclin de l’astre, le fond de l’air se rafraîchit. Il faut tenir la base aérienne d’Ali Al-Salem, dernier bastion avant la soumission. Une ultime lueur d’espoir dans l’épaisse nuit noire. Le hurlement silencieux du désert répond au cri muet des hommes. Personne ne parle, il n’y a rien à dire de toute manière. Leurs cœurs pleurent le décès de leurs camarades, de leurs amis, de leurs frères…

   Mais ils ne sont pas les seuls à souffrir. Un hélicoptère d’attaque revient et semble se poser avec difficultés sur l’espace bitumé. Le hurlement des turbines cesse, les pales ralentissent leur course effrénée. Le fuselage et le pare-brise blindé sont perforés. Le pilote quitte sa machine et vomit au pied de celle-ci. Je plisse les yeux et découvre un spectacle des plus macabre : le copilote en place avant a subi de plein fouet les tirs. Son crâne a explosé, sa dépouille a repeint le cockpit. Deux mécanos viennent extraire le corps, ou du moins ce qu’il en reste…

   Un sifflement grandit dans ce silence. Une déflagration retentit non loin des hangars. Puis une autre. Encore une. L’adjudant se rapproche en hurlant.

  • Artillerie, à couvert !

   Nous nous jetons tous face contre terre, priant pour ne pas être touchés. Une pluie d’acier s’abat sur la base aérienne, et ce déluge ne faiblit pas avant plusieurs minutes. Quand le calme revient enfin, l’ensemble des soldats relèvent la tête. Des cratères parsèment le sable alentour, deux hangars ont été détruits. Aucune perte humaine dans nos rangs, une bonne nouvelle.

   Les sirènes retentissent : ils sont là. L’armée irakienne approche, il faut tenir coûte que coûte. L’adjudant hurle ses ordres sans même reprendre son souffle.

  • Tous aux postes de tir ! Je veux une mitrailleuse pointée sur cette porte ! Et bordel, sortez-vous les doigts du cul avant que ça cicatrise !

   Les balles sifflent déjà au-dessus de nos têtes tandis que les véhicules blindés avancent vers le poste de filtrage de la base. La poignée de soldats tente tant bien que mal de ralentir l’ennemi ; sans réel succès.

  • Mon adjudant, il faut se replier dans les bâtiments !
  • Entendu, prenez vos hommes, on vous couvre.

   L’homme se retourne, réarme son fusil d’assaut et court jusqu’au mur en hurlant.

  • Venez, chiens ! Je jure devant Allah de vous faire payer le sang de mes frères !

   Ma petite équipe s’empresse de barricader quelques bureaux, les transformer en poste de tir. Les munitions vont rapidement manquer, les Irakiens sont nombreux. Même trop nombreux. Il faut lutter jusqu’au dernier instant. Qu’Allah nous vienne en aide…

**\*/**

   La nuit est tombée, la base aussi. Les forces irakiennes, en surnombre, ont pénétré nos défenses en quelques heures. De mon équipe, nous ne sommes plus que cinq. Faute de munitions, nous avons été obligés de nous rendre. Nous voilà alignés dos à un mur, face à la place d’armes. Les officiers ont été les premiers à être exécutés. Le général de la base vient d’être pendu au mat des couleurs. Son corps mutilé ballote au vent…

   Je regarde les dépouilles qui traînent autour de moi, puis les quelques soldats qui nous font face. Je ne suis pas sûr de revoir le soleil… Il n’y aura aucun prisonnier, aucun survivant. Je devrais être terrifié à l’idée de mourir. Pourtant, je sais que je rejoins un meilleur endroit : Jannah. Alors mon ultime pensée va à ma famille ; qu’Allah les protège.

   Les soldats irakiens arment leurs fusils, l’ordre est donné. Mon dernier souvenir sera l’éclair de feu à la sortie des canons.

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   Le 3 août 1990, Ali Al Salem a été la dernière base aérienne non occupée par l’Irak lors de l’invasion du Koweït. Le Général Saber Suwaidan (commandant de la base), quelques officiers et soldats sont restés pour se battre et organiser des missions de ravitaillement depuis l’Arabie Saoudite. À la fin de la journée, Ali Al Salem était submergée et tombait aux mains irakiennes.

   Le Général Saber Suwaidan a été pendu au mat des couleurs, le reste du personnel a été aligné le long d’un bâtiment avant d’y être exécuté. Le mat ainsi que les impacts de balles sont encore visibles aujourd’hui.

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