Seule dans sa chambre, elle pleurait. Je pouvais l'entendre vider le réservoir de ses larmes à coup de soubresauts et de "pourquoi" qui s'étalaient comme un écho persistant sur le papier peint de sa chambre. L'amour de sa vie comme elle le disait si bien, s'en était allé, encore et encore. Un autre visage, une autre personnalité, un autre beau-père qui s'était enfui, la laissant seule dans cet amour qu'elle avait tant idéalisé. Ma mère était de celles qui aiment à en mourir, à faire saigner les lignes de ses poignets, à se lamenter et se faire plaindre sur les raisons et la manière dont cela s'était achevé. Elle aimait souffrir autant que d'être aimé. Dans le salon, dans la marée de vyniles dispersés à la volée, elle avait sorti son éternelle alliée qui marquait une période que je ne connaissais que trop bien. France Gall faisait sa réapparition.
Un verre ambré au bout des doigts, elle virevoltait dans l'appartement, chantant avec justesse toutes les fausses notes de son amour perdu. Elle laissait Tout pour la musique hurler comme un battement de cœur essouflé, pendue à Ses Évidemment. Elle cherchait un peu de Musique pour noyer ses pleurs, et dans le creux de la nuit, elle criait : Résiste, même si tout s’effondrait autour d'elle.
Et moi, je grandissais avec cette idée que l'amour faisait souffrir de quelque manière que ce soit. Quant à France Gall, elle continue, malgré elle, à hanter mes pensées les plus sombres.