64. Au cœur de leurs pensées

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Lyana

Saint-Gildas-de-Rhuys, oh jolie Bretagne. Je suis assise sur le sable, au bord de l’eau, et savoure la chaleur du soleil sur ma peau et le vent qui fouette mon visage, les odeurs typiques de la mer, le sel sur mes lèvres et le calme malmené par les vacanciers. J’ai quand même la chance d’être installée sur une plage peu connue du coin, que m’ont conseillée Yvette et René, mes hôtes. Tous deux sont retraités et vivent dans une grande maison qu’ils ont séparée en deux. Quand j’ai vu l’annonce sur Internet, je n’ai pu m’empêcher de penser à Théo et notre situation lorsque j’ai débarqué en Normandie, et je suis allée les voir parce que la location n’était disponible que durant une semaine. Il faut croire que leur retraite ne doit pas être très élevée, parce que proposer de payer le double et en espèces a suffi à les décider à me laisser ce petit tiers de leur maison pour une durée indéterminée. Je crois que tous deux ne sont pas dupes sur ma situation et qu’ils ont décidé de tendre la main à une âme en peine.

Je regarde à nouveau le message du flic qui me dit qu’il a arrangé la situation et que Théo va bien. Cet enfoiré m’a aussi dit qu’il allait le planquer à nouveau et que je ferais mieux de faire de même, mais loin de mon voisin pour le moment. J’espère qu’il lui a quand même donné mon petit mot parce que je ne me dévoile comme ça que très rarement. Comment ose-t-il me dire que Théo serait mieux loin de moi ? Je sais qu’il fait ça dans son intérêt, mais ça m’énerve quand même. Est-ce qu’il pense qu’il a fait mieux que moi, à Beaumesnil ? Parce que sa couverture était bidon, que les Russes l’ont trouvé en un rien de temps et qu’ils auraient eu l’occasion de le tuer un millier de fois. Parce qu’il ne l’aime pas comme moi je l’aime et qu’il ne fera donc jamais tout ce que je pourrais faire pour le mettre en sécurité.

Guizmo me fait la tronche depuis que nous sommes partis de l’hôpital il y a cinq jours et qu’il a compris que Théo ne serait pas avec nous. Là, il boude à mes pieds, fait comme si je n’existais pas. Il a même passé sa journée d’hier sur la terrasse des propriétaires, avec eux, et n’est rentré que lorsqu’il voulait manger. Satané chien qui me fait des infidélités. Comme si j’avais eu le choix ! Je devais partir avant qu’Henri ne change d’avis et me coffre, et je devais trouver un lieu safe pour Théo et moi. Je doute que mon beau voisin se laisse faire, et j’espère bien qu’il fera en sorte de me retrouver. Je lui ai laissé son sac, il devrait y trouver les numéros qui lui permettront de savoir où je suis.

Je soupire en sélectionnant le contact de Suzie pour l’appeler. Elle ne doit pas avoir eu de nouvelles de mon voisin, mais je ne peux m’empêcher de la harceler depuis que je suis installée ici. Je m’ennuie à mourir, toute seule ou presque, et je suis surtout super inquiète pour mon amoureux. Mon amoureux… Ça me fait déjà bizarre de me le dire dans ma tête, autant dire que lorsqu’Yvette m’a demandé qui je semblais attendre avec autant d’impatience, j’ai lâché ça si naturellement que je me suis littéralement arrêtée dans ma phrase pour encaisser mes propres mots.

— Salut Suzette chérie ! Je sais, je t’ennuie à t’appeler autant, non, ce n’est pas du harcèlement, oui, je sais que je suis chiante et je suis désolée mais je ne peux pas m’en empêcher, la coupé-je d’entrée en riant.

— Wow ! Bonjour ma petite Linette adorée ! Tu déprimes à ce point-là que tu fais les questions et les réponses en même temps ?

— Je te coupe la chique, ma biche, avant que tu ne me rabâches les mêmes phrases. Des nouvelles de Théo ?

— Non, mais par contre, tu as vu les infos ? Je crois qu’il y a un reportage sur tes amis russes…

— Quoi ? Qu’est-ce que… Ils parlent de notre accident ? Qu’est-ce qui est raconté ?

— Eh bien, ils parlent d’un règlement de compte entre deux dealers qui ont été retrouvés morts à côté de leur voiture. La police est en pleine investigation pour éclaircir quelques points, si j’ai bien compris, mais ils ne s’attendent pas à avoir plus d’éléments. Ils ont fait un appel à témoins, tu devrais les appeler, se marre-t-elle. Je suis sûre que tu aurais des détails croustillants à leur partager et eux, peut-être qu’ils auraient des infos sur ton petit chéri à te donner ?

Henri s’est pas mal débrouillé, il est un peu con sur certains points, mais il a les contacts dont nous avions besoin, c’est déjà ça. Et Suzie prend ça avec une légèreté déconcertante. C’est fou… Moi qui avais peur qu’elle me tourne le dos après cet incident.

— Tu peux arrêter de vider mon compte en banque, au fait. Ça ne sert plus à rien. Et pour avoir des nouvelles de Théo, j’ai des messages de son protecteur du moment. Même si elles sont très vagues. J’espère qu’il va trouver ton numéro et finir par t’appeler. Ça commence à devenir long, là, dis-je avant de rire. Je suis devenue une nana accro, c’est horrible.

— Ouais, ben il y a de quoi devenir accro. Tu as vu le joli cul qu’il a, ton minot ? Des fois, j’en rêve encore ! Tu es sûre qu’il n’a pas un petit frère ? Ou un grand ? Je ne suis pas difficile, tu sais ? Et puis, comme ça, je pourrais lui montrer la petite nuisette que j’ai achetée avec ta carte. Elle est presque transparente, si tu veux, je t’en achète une aussi. Vu que ça vient de ton compte de toute façon, je peux me montrer généreuse !

— Non, ça va aller. Aucune utilité, une nuisette, je dors nue et il aime ça. Elle ne me servirait pas à grand-chose et passerait bien plus de temps au sol que sur mon dos, ris-je. Tu m’appelles dès qu’il te contacte, hein ?

— Je ne sais pas, me nargue-t-elle, un sourire dans la voix. Peut-être que je ne lui dirai où tu es qu’en échange de quelques moments de plaisir en ma compagnie… Pourquoi faudrait-il qu’il n’y ait que toi qui en profites ?

— Suze, tu ne veux pas arrêter ça ? Je te jure, ça me donne envie de t’étriper à chaque fois. Désolée pour toi, mais c’est chasse gardée.

— Eh bien, peut-être que c’est ça dont j’ai envie ? Que tu viennes m’étriper ! Pourquoi tu ne rentres pas ici, à la maison ? Tu crois toujours que ce n’est pas un endroit sûr pour toi ?

— Pas pour l’instant, non. Et puis… maintenant que j’ai goûté à la vie loin de la ville, je ne suis pas sûre de revenir vivre à Paris. J’aime trop le calme de la campagne. J’ai l’impression d’avoir pris un coup de vieux, ris-je.

— Tu m’étonnes. Tu veux te caser et vivre à la campagne. Tu es sûre que tout va bien ? Tu t’es pris un coup sur la tête ou quoi ? Reviens vite me voir, ma Puce. Tu verras qu’on vit bien près de Paris. Tu as oublié tout ce qu’on a pu faire quand on était ados ?

Oh non, je n’ai rien oublié. Ce sont ces souvenirs qui m’ont fait tenir pendant mes premières années sous la protection de Pavel. Pavel… que j’ai achevé. Mon Dieu, pourquoi est-ce que je pense encore à lui ?

— Je n’ai rien oublié, Suzie, j’ai juste grandi. Tu devrais essayer, je te jure que c’est pas mal aussi.

— Ouais, en fait, je t’envie. Tu te rends compte que de nous deux, c’est toi la première qui vas se caser ? Et en plus, avec un mec comme Théo. Putain, cette barbe sur ce visage aussi innocent, il est vraiment à croquer.

— Arrête de suite avec ces pensées coquines, Suzie, sinon je te jure que la prochaine fois qu’on se voit, je risque de devenir violente, lui dis-je sérieusement avant de rire.

— Oh, laisse-moi fantasmer. Je sais bien que c’est toi qui vas en profiter. Il te dévorerait toute crue s’il pouvait. Et là, je suis sûre qu’il ne pense qu’à toi. Le pauvre chou… Maman veut le rencontrer au fait. Et qui sait ? Peut-être qu’elle aussi fantasmera sur lui ?

— Mais arrête ça, bon dieu ! T’es folle ou quoi ? C’est… Mon dieu, arrête, pitié ! m’égosillé-je. Je te laisse, je vais finir par gerber si tu continues comme ça.

— Eh, avoue que pendant au moins cinq minutes, tu n’as pas déprimé, rit-elle. Tu vois que tu as besoin de moi ? Tu reviens quand tu veux, hein ? Et dès que le beau barbu m’appelle, je te l’envoie en colis express ! Promis, ma Belle !

— Je ne déprime pas, je m’impatiente, c’est tout ! Merci, Suze. Je… Tu sais que tu comptes énormément pour moi, hein ?

— Je sais bien, soupire-t-elle. Et j’ai hâte que toute cette histoire se termine, qu’on puisse passer du temps à deux. Et… je rigole avec ton Théo, mais je suis vraiment jalouse, tu sais ? J’aimerais tellement rencontrer le Grand Amour comme toi. Moi, j’ai juste le droit à des Paul qui me laissent sur ma faim… La vie est injuste, tu sais ?

— Eh bien, ça viendra, j’en suis sûre. Mais tu sais, il faudrait que tu leur laisses vraiment une chance, aux mecs. Tu ne peux pas les utiliser et les jeter comme des mouchoirs en papier, ma biche. Il faut apprendre à les connaître.

— Et c’est toi qui dis ça ? commence-t-elle, avant de se reprendre. Oh, mais c’est ça que tu as fait avec Théo ! Promis, je me trouve un Apollon gentil et attentionné, et je fais ça tout de suite !

— Vas-y mollo quand même, fais gaffe à toi. Certains hommes sont fous ou malintentionnés. Mais… je suis persuadée que tu vas te trouver quelqu’un de bien. N’oublie pas de me prévenir pour Théo, hein ? Même si t’es en rencard ou en pleine partie de jambes en l’air, d’ailleurs.

— Promis, dès que je sais quoi que ce soit, je te préviens. Bisous, ma Chérie ! A très vite, j’espère !

— A bientôt, oui. Bisous ma biche, et bisous à ta mère.

Je raccroche avec un sourire que je conserve quelques secondes avant de me rallonger sur ma serviette de plage et de constater à quel point je me sens seule, là. Théo me manque vraiment beaucoup et je déteste cette sensation d’être dépendante de sa présence pour aller vraiment bien. Je devrais me réjouir d’être en sécurité et qu’il le soit aussi, du moins aux dernières nouvelles. J’espère qu’Henri fait bien son boulot, parce que je n’ai aucune envie de devoir partir en mission pour le retrouver. Et surtout aucune envie de recevoir un coup de fil qui me dira que le Russes l’ont chopé. Aux dernières nouvelles et selon Sacha qui m’a envoyé un mail, les gars sont en sommeil pour le moment, mais on n’est pas à l’abri d’un abruti qui veut se faire mousser et part en solitaire achever la mission.

Ne me reste donc plus qu’à croiser les doigts et patienter tranquillement chez mes petits retraités. Pas trop tranquillement quand même, j’ai promis de donner un coup de main à Yvette pour retapisser leur salon. Et j’ai aussi un chien à séduire de nouveau d’ailleurs, parce que son côté boudeur ne me plaît pas trop.

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