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Je crois que c’est lors de ces visites et des discussions en aparté que l’idée est vraiment apparue, déjà en latence dans les esprits. Nous étions deux ou trois à supporter des conditions extrêmes. Le projet était de nous amener à la porte de la mort, ou de la folie, dans un supplice extrême. Sa nature devait nous être cachée jusqu’au dernier instant. Il fallait notre accord, écrit devant un notaire, une préparation matérielle importante, et donc des coûts. Il fallait aussi une période assez longue pour nous préparer physiquement et psychologiquement à l’insupportable.

Ma première réaction fut enthousiaste, prêt et décidé à approcher cette limite après laquelle je courrais. Puis je réfléchis. Y laisser ma peau, ma foi, n’était pas le plus grave. Je risquais également d’en sortir amoindri, handicapé, physiquement ou mentalement. Enfin, si j’en sortais sans séquelles, que me resterait-il à aller chercher ? C’était un aboutissement. Il fallait que je me résigne à mourir dans d’atroces souffrances, la seule solution acceptable, mais non maitrisable.

Je changeais de décision avec chaque interlocuteur. Il parait qu’Armand et Lucas, mes compagnons d’expérience, faisaient de même. Je les connaissais à peine. Armand m’avait tapé dans l’œil et je m’étais promis de faire connaissance de façon approfondie. Lucas était aussi un adorable mignon, mais comme il fréquentait à des horaires très différents des nôtres, je ne l'avais jamais vu.

J’avais besoin d’en parler. J’aurais tant voulu en parler avec William ! Mais il était le dernier avec qui je pouvais le faire. Cette impossibilité était une grande souffrance. Je préférais les souffrances physiques à ces tortures mentales. Trois personnes seulement connaissaient la nature de ma relation spéciale avec William : Guillaume, Paul et, maintenant, Charles.

Je n’étais pas sûr des motivations de Guillaume. Je l’aimais énormément, mais je me suis toujours demandé s’il ne voulait pas m’éliminer pour retrouver son William. Charles était du côté des tortionnaires. Mener une expérience de ce type le motivait forcément. Seul Paul pouvait m’aider. Il s’était un peu éloigné, coincé entre son amour paternel et sa soif de sexe. Je savais qu’il fréquentait d’autres lieux, pas uniquement gays. Seule l’intensité du rapport comptait pour lui. J’en avais assez profité pour le savoir !

Paul me consacra beaucoup de temps. Sa première réaction fut extrêmement négative. Il me dit que j’étais manipulé, que j’étais un malade mental. Mais il était aussi un véritable ami, à l’écoute de mes questions. Il me laissa parler, exposer mes envies, mes craintes. Il avait arrêté de juger, se contentant de m’obliger à aller au bout de chaque argument.

La décision définitive se forgea ainsi. Sans que je lui demande, il se proposa de m’accompagner. Sans le savoir, il venait ainsi de lever le dernier doute.

C’est donc avec une grande sérénité et un grand calme que j’acceptais l’épreuve suprême. Armand et Lucas arrivèrent au même résultat, avec un cheminement aussi difficile. Une fois la réponse donnée, un calme bienfaisant s’installa en moi. Face à ce proche destin, je vivais dans un détachement des choses, proche d’un recueillement religieux. On me disait souvent que je rayonnais.

L’arrangement matériel était plus problématique. Il fallait trouver un lieu discret, pouvant abriter une trentaine de personnes pendant près d’un mois. En découvrant ces informations, je frissonnais : un mois de préparation, c’était un véritable entraînement ! Le résultat devait être phénoménal. Le lieu fut trouvé et donc la date fut fixée. L’épreuve aurait lieu début mai, la préparation commençant vers la mi-mars. Il me restait trois mois avant cette échéance. Je croyais pouvoir en profiter, mais on me fit comprendre que dès maintenant, nous étions pris en charge. J’ignore encore maintenant le nom des planificateurs de cette opération. La trentaine de personnes présentes, hormis les amis, seraient soit des préparateurs, soit des spectateurs. Les places s’arrachaient des sommes astronomiques, finançant ainsi cette opération. Enfin, trois médecins seraient présents. La distillation de ces informations participait à notre mise en condition.

Ma sérénité perdit de sa superbe à l’approche de la date de début. Une clause du contrat que nous avions signé stipulait que nous pouvions arrêter n’importe quand, sans justification et sans contrepartie financière. Bien sûr, le don de notre personne à l’expérience était volontaire et gratuit.

Les dernières nuits furent difficiles. J’avais fui William, comme s’il était responsable. C’est Paul et sa compagne du moment qui m’hébergèrent. Le matin du départ, je suis allé chercher William. Ce n’est qu’avec lui que je voulais gravir mon Golgotha.

Il me serra dans ses bras, comme pour un adieu. Une voiture s’arrêta. Deux hommes en sortirent, nous saluèrent. Nous montâmes à l’arrière. Avant de démarrer, l’un des hommes tendit un tissu à William qui me le passa.

— S’il te plait.

Je le dépliais. C’était une cagoule noire, comme celle qu’on passe au condamné avant l’exécution. Je déglutis. Un dernier regard à William. Il avait les yeux froids. C’était fini. J’aurais aimé qu’il me tienne la main, mais il se défit. J’étais dans le noir. Je ne savais pas où nous allions, combien de temps prendrait la « préparation », ce qu’était l’épreuve suprême. J’étais abandonné, à la merci de forces inconnues. Curieusement, nulle angoisse ne m’habitait, juste une curiosité pour l’étape suivante.

Le voyage dura longtemps. Je ne voulais pas réfléchir, faire des hypothèses sur l’éloignement réel. Cela n’avait plus aucune importance.

On me fit descendre. Des graviers sous les pieds. Un escalier extérieur de quelques marches, une porte, des échanges de voix. La main qui me guidait me poussa à nouveau. J’étouffais sous la cagoule. Un bruit de porte, on me pousse.

— Tu dois attendre que la porte soit fermée pour retirer la cagoule. Quand on vient, on frappe trois coups et on ouvre. Tu dois alors avoir remis la cagoule. Ce peut-être n’importe quand. À ta place, je la garderais toujours enfilée.

Il ne m’indiqua pas les sanctions en cas de manque. Pouvaient-ils y en avoir de pires que ce qui nous attendait ? La porte fermée, j’ôtais le capuchon. Une pièce nue, un seau, une faible lumière. À peine avais-je regardé que trois coups retentirent.

La porte à peine ouverte, j’entendis :

— À poil !

J’allais être nu en permanence, uniquement vêtu de bracelets de contention au bout de chaque membre, d’un collier-laisse et de la cagoule. La porte refermée, je n’avais d’autre solution que de m’allonger. Le sol était froid, sans que je puisse en déterminer la composition. La pièce était glaciale, à la température extérieure de cette fin mars.

Je n’avais aucun repère, juste une faim que j’attribuais à un artefact. Je savais que je ne devais pas penser, ni à l’instant ni au passé, encore moins au futur. Me vider l’esprit, accepter le moment présent avec ce qu’il apporte, bien ou mal.

Rapidement, une torpeur m’envahit doucement. Dormir, je pouvais. Trois coups. Le temps de réagir, il était trop tard. Un coup de pied ferré me fit comprendre mon erreur. Je ne devais pas quitter le masque.

— Qui t’a permis de te coucher ?

Ça aussi, alors, c’était sous leur contrôle.

Je restais debout, la cagoule sur le visage, n’osant même pas m’appuyer au mur. Supporter, ne pas prêter attention à la douleur de la position, ne pas penser à se mettre mieux, juste rien. Ne pas attendre non plus, car il ne se passera rien.

Ne pas analyser cette destruction de l’esprit, ne pas résister, ne pas accompagner non plus. Juste abandonner son moi, s’en remettre entièrement aux forces extérieures. Pourtant, l’esprit craint la folie qui arrive avec cette perte, il se rebelle, se ravage d’angoisse. Il lutte contre cette annihilation. Lâcher prise, accepter. Tout ce qui vient est bien, il n’y a rien d’horrible, juste une perception. Que vaut-elle ?

Combien de temps attendis-je ? Puis c’est l’extraction de la cellule, de lourdes chaines qui vous enserrent, le corps écartelé, écrasé, meurtri. Dans le noir, impossible de prévoir le prochain coup, de savoir exactement ce qui se passe. Cette sensation de piqûre, est-ce une pointe qui me transperce ? Ce liquide chaud qui me coule dessus, est-ce mon sang ? Je ne sais plus ce que je ressens, je ne discerne même plus la douleur.

Un bruit d’assiette, une odeur. On me donne à manger et à boire, dans l’obscurité la plus complète. Je ne sais même plus porter une cuillère à ma bouche.

Il y avait des choses récurrentes. Mon corps percevait la direction que l’on prenait et se préparait ainsi.

Celle qui revenait souvent, chaque jour, je pense, était notre exposition. Je dis "notre", car j’entendais mes deux autres camarades proches. Seules séances partagées. Je me faisais allonger sur une poutre étroite, en bois brut. Elle s’arrêtait au haut de mes fesses. Ma tête butait, recourbée, sur un montant vertical. Mes jambes étaient alors levées, puis attachées de chaque côté de la poutre verticale. Enfin, mes bras étaient descendus, liés également à la poutre verticale. Chaque fois, la tension était légèrement plus grande, comme si mes bras devaient être agrandis. Positionné ainsi, j’étais donc exposé avec mes fesses au tout venant. Cela avait lieu dans l’entrée, apparemment un lieu de passage. Les pénétrations se succédaient, alors que la chaleur du sexe précèdent n’était pas encore éteinte. Des jets d’urine sur mon corps ou ma figure complétaient la séance. Je ne valais rien, je devais être juste un objet méprisable. Mon anus et mes épaules gagnaient en souplesse.

Après avoir été détaché, les étirements suivaient. Tantôt, sur une large table, les chevilles prises complètement, j’avais les bras allongés au-dessus de la tête, écartés, chaque poignet dans une large attache. Une corde en partait qui permettait de m’écarteler en douceur. Il devait y avoir une roue au bout de la table, avec un cliquet qui tombait à chaque traction.

La variante était les deux bras liés ensemble au-dessus de la tête, attachés en hauteur à un mur, les chevilles également attachées au mur. Cette position, difficilement soutenable, dirait des heures.

Une autre épreuve répétée était celle de l’équilibre. Debout sur un rondin de bois, les mains attachées dans le dos, une corde autour du cou. Je ne risquais pas de me rompre le cou, juste de m’étrangler si le rondin roulait. Il me fallait vite le remettre en place et remonter dessus pour pouvoir retrouver ma respiration. Ce jeu durait des heures, m’obligeant à une vigilance permanente.

Une autre fois, j’ai été étranglé par une corde. J’ai cru que l’heure de l’épreuve était arrivée. La mort qui se rapproche, le corps qui hurle son refus, qui cherche à se détacher. Un film rouge, l’abandon à la mort. La goulée d’air qui vous brule la trachée, la respiration qui revient, l’horreur qui revient. Puis un apaisement. La corde revient encore, moins ferme, meurtrissant la gorge, vous comptant chaque lampée d’air. Ne pas se battre, accepter l’affolement de la survie, laisser venir l’extinction.

Dans quel ordre ? Combien de temps ? Les choses devenaient plus faciles, la souffrance banale, le vide réconfortant. Tout basculait alors. Il fallait recommencer, aller plus loin, supporter le pire.

Je me sentais évoluer, de plus en plus détaché de ce monde. La répétition des épreuves me montrait ma progression. Je savais que le jour approchait. Maintenant, je l’attendais avec confiance.

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