Les meilleures des boussoles

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Les yeux captivés par les gestes doux de sa psychotérapeute, Mathilde trépignait à l’idée de lui partager les progrès qu’elle avait fait. Elle crut mourir d’impatience quand Léto déposa avec la grâce qui lui était propre le plateau du service à thé sur la table ronde.

_ Quel thé désirez-vous déguster aujourd'hui ?

Mathilde poussa un petit cri de surprise quand elle se rendit compte que sa thérapeute lui avait adressé la parole. Son regard interloqué amusa Léto qui lui répéta sa question.

_ Quel thé voulez-vous boire aujourd'hui ?

Sa patiente regarda le coffre contenant les boîtes de thé avec un léger air paniqué. Elle ne savait pas du tout quoi prendre.

_ Choisissez pour moi, s'il vous-plaît.

Eh bien, pensa Léto en elle-même. Il nous faudra encore travailler sur la prise de décision. Le regard de la psychotérapeute s’illumina quand ses yeux accrcohèrent une boîte d’un jaune éclatant. Elle la saisit, elle sa patiente s’émerveilla quand elle aperçu des dragons d’or virevoltant autour d’une inscription en lettres noires : “THÉ DE L'EMPEREUR - thé Jun San Yin Zhen ”, .

Mathilde se retint de poser toutes sortes de questions, attendant patiemment que la thérapeute le lui présente.

_ Le thé jaune est un thé impérial chinois, commença Léto, avec le même amusement dans le regard. Sa qualité était telle que sa consommation était réservée à l’Empereur lui-même. Le jaune étant la couleur de la robe impériale, c’est par cette couleur qu’on désigna les thés de très grande qualité.

Les joues de la quinquagénaire rosirent. Elle était touchée par ce choix. Sa psychothérapeute versa directement les bourgeons de thé dans la théière d’un bleu magnétique, et les laissa infuser. Elles attendirent en silence quelques minutes, puis la jeune femme versa une eau d’une couleur d’ambre dans sa tasse. Émerveillée, la patiente admira les bourgeons gorgés d’eau flotter à la surface dans une grâce presque surnaturelle.

Mathilde poussa un soupir de soulagement quand sa psychothérapeute lui demanda de lui faire part des dernières nouvelles.

_ Je l’ai fait ! s’écria Mathilde.

Elle posa sa main sur ses lèvres dans un geste d’excuse, mais poursuivit presque aussitôt dans le même enthousiasme.

_ J’ai réussi à ne pas tenir compte des moqueries de mon mari et j’ai pris mes premiers cours de danse. De la salsa ! C’était tellement libérateur, si vous saviez ! Cela faisait tellement longtemps que je ne m'étais pas autant amusée.

Ces merveilleuses nouvelles firent monter une vague de chaleur joyeuse en Léto. Mathilde était si enthousiaste que la jeune femme la laissa poursuivre. De toute façon, enjouée comme elle était, il aurait été difficile de l’interrompre. Un flot de paroles continu ne cessait de se déverser de la bouche de la quinquagénaire, tandis que sa thérapeute écoutait en silence, sirotant gaiement sa tasse de thé. Il était vrai que Mathilde n’était plus la même. Un éclat tout nouveau perlait dans ses pupilles. Même sa posture avait changé. Elle semblait transformée par cette nouvelle liberté à laquelle elle avait goûté ces dernières semaines. Cette vision dégageait une beauté si humble et si douce que Léto en eut du mal à contenir ses larmes.

_ Vous ne savez pas à quel point entendre ceci me fait plaisir, Mathilde, dit Léto une fois que sa patiente eut terminé de tout lui raconter.

Mathilde sourit de fierté. Elle était réellement fière d’elle-même. Il y avait tellement longtemps qu’elle n’avait pas ressenti cette sensation. Celle d’être elle-même la seule raison de sa fierté.

_ Et concernant votre mari, reprit Léto. Avez-vous pu discuter avec lui de ce qui pesait sur votre cœur ?

La patiente porta son attention à sa tasse. Un voile de tristesse assombrit son expression. La jeune femme grimaça intérieurement.

_ Oui, oui je lui en ai parlé. Il m’a dit qu’il comprenait, mais depuis il ne m’adresse la parole que pour me demander un service. C’est comme si je n’existait plus.

L’enfoiré, pensa la jeune femme en elle-même. Elle se gifla presque instantanément en pensée et se reprocha son manque de professionnalisme.

_ Il vous inflige le traitement du silence, dit-elle simplement.

Mathilde l’interrogea du regard.

_ Il vous punit, consciemment ou non. Bien qu’il ait voulu sauver les apparences en vous disant qu’il comprenait, je pense qu’il vous en veut. S’il s’en rend compte ou non, ça je ne peux pas vous le dire.

Mathilde poussa un long soupir, et replaça nerveusement une de ses mèches grisâtre derrière son oreille. Elle était lasse.

_ Mais qu’est-ce que dois-je faire ? questionna la patiente, une pointe de désespoir dans la voix. Je lui ai déjà avoué ce que je ressentais. J’ai de l’amour propre moi aussi. Je ne peux pas le supplier de bien vouloir me pardonner pour lui avoir fait part de mes sentiments.

_ Je suis bien d’accord avec vous, Mme Lechanal. Vous excuser n’est pas une bonne idée. Dites-lui simplement que vous êtes prête à parler de ce qui l’irrite, seulement s’il arrête de vous punir en vous ignorant. S’il coopère, alors vous pourrez déjà avancer tous les deux dans le dialogue. Mais s’il refuse en connaissance de cause, et sachant que cela vous blesse, alors c’est de l’abus émotionnel. Il est de votre devoir envers vous-même de lui exposer vos limites. Personne n’a le droit de vous abuser émotionnellement.

Léto avait dit cette dernière phrase avec une dureté qui étonna sa patiente. Cela ne lui ressemblait pas. Du moins, Mathilde ne l’avait jamais remarquée. La psychothérapeute sembla elle aussi l’avoir décelée, car elle se racla nerveusement la gorge.

_ Ne suivant pas votre époux, je ne peux pas distinguer clairement ce qui l’anime et à quoi est dûe sa réaction. Mon conseil, pour le moment, c’est de dialoguer. Si cela mène à une impasse, je vous conseille de faire appel à un spécialiste en relation conjugale. Il semble que votre mari accepte mal la transition que vous avez commencée.

Mathilde ne répondit pas, soucieuse. Elle n’aurait jamais pensé que la poursuite de son propre bonheur se heurterait à la désapprobation de son mari. C’était douloureusement ironique. Léto sembla remarquer son état, car elle reprit la parole d’une voix qui se voulait rassurante.

_ Ne vous inquiétez pas, nous n’y sommes pas encore. Ayez confiance en votre époux pour vous comprendre et vous accompagner dans ce que vous vivez. Ouvrez-lui votre cœur, parlez avec honnêteté, et en fonction de ce qui en découlera, nous aviserons à la prochaine séance.

Mathilde acquiesça dans un sourire reconnaissant. Sa thérapeute avait raison. L’espoir et la bienveillance étaient toujours les meilleures boussoles.

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